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Jean Clavreul , psychanalyste et homme exceptionnel malgré lui

Jean Clavreul , psychanalyste et homme malgré lui exceptionnel

 

Il fut mon professeur à Vincennes ...
À l'époque ce qu'il disait me semblait évident tant cela entrait en résonnance avec mon adolescente ingénuité, avec l'espoir qui me portait, avec la révolte légère qui me soulevait. Aujourd'hui, avec le recul forcé des années qui ont passé, avec le discernement auquel j'ai été forcée par les expériences, (où qu'a forgé mon expérience) après m'être frottée à la réalité des petites luttes de pouvoir et autres guerres intestines qui ne s'avouent pas. Après m'être heurtée et m'être sentie bousculée, parfois maltraitée, par la prétention, la morgue, l'arrogance de tous ceux qui n'ont pas sa modestie mais se serve de son charme et de son ascendant pour anoblir leur image... Aujourd'hui oui je prends conscience du caractère exceptionnel d'un homme et de son enseignement. Et je mesure la chance de l'avoir reçu recevoir et d'en avoir bénéficié, en toute liberté ...
Assister à ses cours me semblait naturel, ils constituèrent cependant un véritable trésor, que je choie aujourd'hui... Ils autorisaient et affirmaient à la fois la liberté tout en invitant à l'esprit critique et au sens du respect sans lesquels elle ne peut s'exprimer.
Je l'en remercie du fond du coeur et me félicite que mes pas m'aient menée jusqu'à lui, à la salle où il enseigna, dans cette université folle que fut Vincennes, il y a bien longtemps et où j'eus aussi le bonheur d'écouter :Deleuze ... Et quelques autres ... Dont, dans un autre domaine, voisin cependant, Henri Laborit ... Un vent de générosité ...



Virginie Megglé






Ci-dessous, un article de lui paru dans

Le Monde daté du 19 janvier 1980

L'église Freudienne de Paris - 19/01/80 Par JEAN CLAVREUL


C'est à la lettre qu'il faut lire Lacan, comme il nous a appris à lire Freud. Il faut lire sa lettre de dissolution.?II est vrai que l'EcoIe freudienne était devenue une Eglise. Elle avait ses messes, blanches et noires, ses dévots et ses théologiens contestataires, ses inquisiteurs et ses sorcières. Le dogmatisme de certains transformait les analyses en confessions des péchés antilacaniens : on y pratiquait ouvertement la direction de conscience. À l'Ecole même, c'est le catéchisme qu'on y enseignait. On y répétait Lacan comme ailleurs on répète Freud, Marx ou l'Evangile. On y attendait moins que la Vérité s'y révèle que d'y recevoir un enseignement sur la Vérité révélée.
Le religieux ne vient pas de ce que certains parmi nous témoignent de leurs liens avec leur religion d'origine. Le religieux ne vient pas non plus de ce que certains d'entre nous conservent ; les mêmes attitudes qu'ils avaient auparavant dans leur parti politique.
Ce qui nous rapproche du religieux. C'est plutôt que nous disons que l'homme n'est pas ce qu'il croit, qu'il est traversé par le langage, comme ailleurs on annonce le primat du Verbe. On pourrait dire cela aussi du marxisme qui dit que l'homme se détermine pour d'autres raisons (matérielles) que ce qu'il croit dans son idéologie. Quand on a reçu une telle révélation sur soi-même, quand on a été dépossédé de ce qu'on croyait savoir sur soi. On se concocte avec ceux qui ont eu la même révélation... Le "Moi" étant cassé, on le reconstitue dans l'unité du groupe et on s'emploie à ce que le groupe lui tienne le coup : cela donne une Eglise.
Quand on a reçu la psychanalyse comme Vérité révélée, on entre en analyse comme ailleurs on entre en religion ou au parti communiste. On Jure fidélité à la Vérité révélée, et on refuse de s'interroger sur l'auteur de la Révélation, Dieu, Marx, Freud ou Lacan. On n'oserait faire autre chose que de répéter. C'est le rôle de l'Eglise. C'est aussi la fonction de l'Université que de répéter. Elle est héritière des facultés de la théologie.
Les psychanalystes de l'EcoIe Freudienne sont allés à l'Université et ils s'y sont très mal conduits. Car, pour les psychanalystes, pour Freud, la répétition, Miller a repris en main le département de psychanalyse à Vincennes et tout y va pour le mieux. J.-A. Miller est un excellent universitaire et il a mis son talent au service de Lacan en se faisant le curateur de ses séminaires : il a droit à notre respect et il avait sa place à l'Ecole freudienne. Mais, il traîne l'Université partout où il met les pieds. Aussi s'est-il attiré l'animosité des psychanalystes de l'Ecole Freudienne. Quand il dit que Lacan " a toujours été idéologiquement minoritaire dans son Ecole ", il se trompe. C'est lui qui est minoritaire. Et, surtout, c'est lui qui prend Lacan pour un idéologue. C'est normal : c'est parce que pour lui la psychanalyse fonctionne comme une Vérité révélée par Lacan.
Ainsi croit-il que les psychanalystes ont " horreur " de leur pratique : " La réalité de leur opération professionnelle est si évanescente qu'il faut l'Autre, supposé psychanalyste, qui les rassure au moins sur le fait qu'il n'en sait pas plus long... d'où la fonction de l'Autre qui se présente comme de bonne foi et fait preuve pour toute la compagnie. "?He bien ! Non. Tout cela fait lacanien Parce qu'on croit y reconnaître quelques mots, quelques formules, mais cela ne l'est pas. Qu'est-ce qui pourrait " faire preuve pour la compagnie " quand Lacan noua, dit " le psychanalyste ne s'autorise que de lui-même " ? Et qu'en est-il de ce concept; de " bonne foi " ? Il est vrai que Melman dans son sermon au directoire d'octobre1979 avait parlé de " bonne foi " et de " mauvaise foi " pour distinguer les bons des mauvais lacaniens. Mais cela ne nous garantit pas qu'il s'agisse d'un concept psychanalytique, alors que cela nous renvoie à l'évidence au religieux.
Et puis, surtout les psychanalystes ne peuvent entendre sans hurler - ou rigoler - que la " réalité " de leur pratique est " évanescente ". C'est sans doute nécessaire à J.-A. Miller de le croire pour établir que la théorie psychanalytique est Vérité révélée par Lacan. Mais Lacan dit tout le contraire et " père sévère " dans sa lettre : ce qu'il sait, il ne le doit qu'à son " expérience " qui n'est sans doute pas si évanescente que ça ! Cela explique pourquoi on pouvait être à l'Ecole réticent à l'égard de J.-A. Miller, justement parce qu'on est lacanien.
Sur cette expérience, j'ai eu la chance de travailler avec Lacan, non seulement dans une analyse et un contrôle personnels. Mais aussi en contrôle collectif chaque semaine de 1953 à 1956 et au jury d'agrément depuis onze ans. Pourquoi Lacan aurait-il consacré tant de temps et d'énergie pour construire et protéger de tels lieux de travail s'il n'y puisait la source de son élaboration théorique ? J.-A. Miller nous assure que le psychanalyste, après son travail, " raconte des histoires, fait de la littérature, est visité par des visions ". Lacan, à l'évidence, témoigne qu'il entend tout autre chose des analystes.
Il est vrai qu'il est difficile de rendre compte d'une psychanalyse, mais cela tient au fait que c'est la théorie qui est toujours insuffisante et insatisfaisante. Par exemple, je ne peux rendre compte que maintenant du fait que ma toute première patiente a été "guérie" par la psychanalyse, alors qu'elle ne pouvait qu'être enfoncée par les psychiatres dans la " schizophrénie" qu'ils avalent diagnostiquée. Et cela tient à ce que je ne possédais pas en 1953 les développements théoriques donnés depuis par Lacan. Des faits de cet ordre, tous les analystes les rencontrent, par exemple en contrôle où ils interrogent après coup ce qui a été opérant dans ce qu'ils ont fait. C'est ça le rôle de la théorie, qui ne peut alors aucunement apparaître comme vérité révélée. Quand on fonctionne ainsi, on ne risque pas d'être lacanien par référence idéologique comme le dit J.-A. Miller ou par fascination pour le Maître comme le dit Roustang. On est à la fois émerveillé par l'outil théorique et on le trouve insuffisant. C'est pourquoi Freud et Lacan n'ont cessé de le perfectionner.
Lacanien sans le savoir
Ainsi on peut être lacanien sans le savoir ou sans savoir ce que cela veut dire (comme moi en 1953). Ainsi Lacan a pu dire de Freud qu'il était lacanien. Il l'a dit aussi de Françoise Dolto. Cela explique qu'il ait laissé paraître au?" Champ freudien " des auteurs très discutables sur le plan théorique, mais il ne l'a pas fait pour les mêmes raisons (de copinage) qu'invoque pour lui-même J.-A. Miller pour sa trop tolérante ( ? ) direction d'Ornicar. Si Lacan se déclare contre toute censure, ce n'est pas par vain libéralisme, mais parce que cela appartient à l'éthique même du psychanalyste : c'est parce qu'on sait que chacun en dit toujours plus qu'on ne croit et qu'il ne croit lui-même. Sinon on se retire toute possibilité de pratiquer l'analyse !
Il est vrai que Lacan nous libère en proclamant la dissolution de l'Ecole. Personnellement, je suis libéré de la position de curé de gauche où j'étais coincé, pestant contre le Sacré-Collège et le Saint-Office presque autant que contre ceux qui nous mettent des bâtons dans les roues quand on veut préserver au Jury d'Agrément un lieu où il soit possible de parler de psychanalyse.
Chacun se demandait si Lacan allait parler car il parlait de moins en moins. Pour être cohérent," avec sa propre théorie, il vaut mieux se demander d'où il peut parier. II n'y a plus de possibilité de parler de cette place où nous l'avions mis, celle d'un pape " avec ce que cela comporte d'infaillibilité " : mais de la place où il s'est mis, celle de la dissolution, il peut dire : " Je parle, avec ce que cela comporte d'inconscient ". Personne ne peut douter que dans sa lettre, Lacan ne parle, et de façon terrible : " Je parle sans le moindre espoir de me faire entendre notamment. " Dès le lendemain, ses dévots se précipitaient auprès des médias pour expliquer qu'ils avalent compris. Quoi ? Qu'ils étaient les élus et les autres les damnés. Mais quel groupe veulent-ils former sur la haine de cette expérience " évanescente ", la psychanalyse ?
Les autres, les damnés, avalent aussi compris. Quoi ? Qu'il y avait derrière tout cela une opération machiavélique. Mais quel groupe peuvent-ils former sur la base d'une exclusion de Lacan et d'une soumission de la psychanalyse au juridique (qu'il n'est nul besoin d'être psychanalyste pour en connaître le dérisoire?).
Lacan " ne se plaint pas des- dits membres de l'Ecole freudienne : " Plutôt les remercié-je d'avoir été par eux enseigné d'où moi, j'ai échoué, c'est-à-dire me suis pris les pieds. "
Espérons qu'il n'aura pas à se plaindre des membres " dissolus " de l'Ecole freudienne.
Jean Clavreul








Cette citation prise sur l'Effet Freudien

L'éthique psychanalytique en question (p.64)

"... Ce que la psychanalyse montre avec certitude, c'est qu'on revient toujours vers les signifiants qui ont été formateurs, qu'ils soient familiaux ou culturels. Il n'existe pas d'homme nouveau créé ex nihilo, et l'idée d'un Homo psychanalyticus, né d'une psychanalyse réussie, est contradictoire avec ce que nous enseigne notre expérience. Nous sommes les produits des expériences, notamment psychanalytiques, qui nous permettent d'avoir accès à cette histoire ; et nous ne pouvons nous désolidariser du frayage qui a rendu possible un tel accès. Là se situe la dette symbolique. Ce qui exclut tout autant qu'on fétichise les paroles, les écrits envers qui nous sommes redevables : car c'est à nous-mêmes qu'il appartient de les reprendre à notre compte afin qu'ils prennent la force et la dimension propres à ce qui fait acte." Jean Clavreul "Le désir et la loi"






Et enfin ces quelques mots d'Élisabeth Roudinesco paru dans la rubrique nécrologie du Monde


Nécrologie
Jean Clavreul




Le psychanalyste Jean Clavreul est mort samedi 28 octobre. Il était âgé de 83 ans.

Né à Vitré (Ille-et-Vilaine) en 1923, Jean Clavreul était issu d'un milieu catholique. Passionné de navigation à voile, ce Breton aimait la Méditerranée et l'Italie autant que la psychanalyse. C'est au lendemain de la seconde guerre mondiale qu'il poursuit des études médicales qui le conduiront vers la psychiatrie puis vers le divan de Jacques Lacan, lequel fut son analyste de 1948 à 1953 et ensuite, après une supervision collective, de 1958 à 1962.
Lacanien fidèle, sinon orthodoxe, il eut un rôle majeur dans l'Ecole freudienne de Paris (EFP), dont il fut le secrétaire pendant plusieurs années avant d'être membre du jury d'agrément. Excellent clinicien, il forme de nombreux psychanalystes de la quatrième génération (née entre 1944 et 1950), tout en s'intéressant aux relations entre le droit, la médecine et la psychanalyse à travers l'oeuvre du juriste viennois Hans Kelsen.
En 1967, avec ses amis Piera Aulagnier, Guy Rosolato, François Perrier et Jean-Paul Valabrega, il participe à la publication d'un ouvrage qui fera date dans l'histoire de la psychanalyse en France : Le Désir et la perversion (Seuil). Loin d'aborder la question sous l'angle d'un moralisme étriqué, les auteurs montrent que la perversion, en tant que désir, serait une structure propre à l'être humain.

LA PRATIQUE CLINIQUE

Clavreul participe également à la création, en 1967, de la revue L'Inconscient, qui réunit des psychanalystes de toutes tendances. Huit livraisons paraîtront sur des thèmes divers : la transgression, la clinique, la paternité, etc.
En 1978, il publie L'Ordre médical (Seuil), dans lequel il tente de montrer que le discours psychanalytique ne peut se constituer que comme une clinique du sujet - à l'écoute de la souffrance - indépendante de celle de la médecine centrée sur l'organe et le corps. Dans cette perspective, il critique sévèrement la médecine dite "psychosomatique" qu'il traite de "tentative de replâtrage entre psyché et soma".
Dans un recueil d'articles paru en 1987 (Le Désir et la loi, Denoël), il fait part de son amertume envers la communauté psychanalytique : "A la lecture des innombrables revues qui se réclament de la psychanalyse, comment ne pas se demander souvent si celle-ci n'est pas un simple marchepied pour les ambitions littéraires des auteurs, et plus fréquemment encore, si l'arsenal conceptuel qui s'y déploie n'est pas une forme moderne du langage de Diafoirus ?"En fait, Jean Clavreul ne se remit jamais ni de la dissolution de l'EFP ni de la mort de Lacan et c'est la raison pour laquelle, à partir des années 1990, il s'éloigna progressivement des activités des sociétés psychanalytiques pour se consacrer à sa pratique clinique, non sans cesser de rêver d'une époque où le rayonnement de l'oeuvre de Freud débordait de son enracinement viennois pour enthousiasmer artistes et philosophes.

Elisabeth Roudinesco
Article paru dans l'édition du 04.11.06



in

Le Monde

du 4 novembre 2006



On peut aussi écouter Jean Clavreul, sur le site du CNRS dans le cadre d'une série de documentaires

PAROLES DE PSYCHANALYSTES qui dont distribués en salle?du 3 décembre 2006 au 27 février 2007 au MK2 Beaubourg à Paris
Paroles de psychanalystes est une série de films réalisés par Daniel Friedmann, chercheur au CNRS. Une présentation de la série est accessible sur

psychanalyse en mouvement off


Avec Eduardo Prado de Oliveira, Elisabeth Roudinesco, François Roustang, Georg Garner, Ginette Raimbault, Isi Beller, Jean Clavreul, Jean-Bertrand Pontalis, Jean-Paul Valabrega, Laurence Bataille et Markos Zafiropoulos.

Pour qui n'aura pu assister à leur projection en salle, certains de ces films peuvent être visionnés directement sur le site du CNRS.

16/02/2007
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