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Le Bonheur d'être responsable Vivre sans culpabiliser

Le Bonheur d'être responsable Vivre sans culpabiliser

Introduction

Longtemps, je me suis sentie fautive... Mes succès enfan- tins, j’avais le plus souvent l’impression de ne pas les mériter. Ce sont les « autres », des oncles, des tantes, des cousins, des voisins, des amies, qui me les rappelaient, m’informant en quelque sorte des bénéfices qu’ils pensaient que j’en tirais. Cela m’intimidait. J’avais l’impression que la réussite ne m’était pas autorisée et, dès lors, à mon insu, tout en la pour- suivant avec assiduité, je ne lui reconnaissais pas de valeur lorsqu’elle m’était offerte ! Comme malgré moi, je la laissais de côté. Quelque chose me faisait douter de la légitimité de ce que j’avais gagné. Un « quelque chose » qui m’aurait interdit d’en profiter et ramenée, tel Sisyphe poussant son rocher, à chaque fois comme à la première, tout au bas de la montagne. Quelle faute avais-je commise ? Ce n’est pas tout à fait en ces termes que cela se posait, mais il m’est arrivé de penser d’une réussite que « je ne l’avais pas méritée ».

Chaque jour se jouait un peu comme une répétition du premier. Et certaines de mes nuits étaient agitées par un angoissant sentiment de ne jamais « y arriver ».

J’ai fini par découvrir – à mon grand soulagement – que mon sort n’était pas rare, loin de là, même s’il n’était pas tou- jours vécu dans les mêmes termes ni avec une semblable acuité. Nombreuses en effet sont les personnes qui se vivent intimement soumises à la répétition ou qui ne se sentent jamais à la hauteur, quand bien même elles sont considérées comme les plus douées par une immense majorité, et que leur parcours fait des envieux ! À leur instar, je vivais, tout en don- nant le change, sans rien (ou presque !) laisser transparaître de ce mal-être. Nul n’aurait pu le deviner. J’avançais plutôt confiante et heureuse de vivre. Tout se passait dans l’ombre, et c’est dans l’ombre que je peinais à m’affirmer ! Il me fallait en tout instant veiller à ne heurter personne, et ce risque sup- plantait toute autre réalité ; c’est lui qui me guidait, me frei- nait, me marquait d’interdits, m’imposait de donner la priorité à l’autre, comme si j’avais ordre de rester petite pour me pré- server un droit de vivre...

Je me souviens aussi que, lorsque j’étais enfant, toute entreprise de dénonciation, à la maison comme à l’école, me plongeait dans un désarroi sans fin ni fond... C’était viscéral, le besoin de réparation l’emportait chez moi sur la nécessité de trouver un coupable. « Peu importe qui l’a fait, on n’a qu’à réparer tous ensemble ! », (me) disais-je, sitôt qu’un verre était brisé ou un paquet de biscuits dérobé... Et, s’il le fallait, je devenais la « tous ensemble » qui s’appliquait à réparer.

La chasse au coupable me semblait vaine et cruelle et, paradoxalement, plus encore quand c’était sur un autre que moi qu’en rejailliraient les effets pernicieux.

Aucune punition en réaction à un geste maladroit ne sem- blait justifiée ! Je détestais que l’on soit puni et, si la punition humaine me semble toujours aussi peu justifiée, je me dis aujourd’hui que je n’avais de cesse, ce faisant, que de me... punir !

Il m’a fallu du temps avant de comprendre pourquoi ces moments consacrés à la dénonciation me perturbaient au-delà du raisonnable. Je n’avais alors aucune idée des mécanismes qui entraient en jeu dans ce qui se traduisait tantôt en besoin de révolte, tantôt en une inhibition effrayante. Je n’aurais pas su expliquer pourquoi la vie en ces moments – et pas seulement la mienne – me semblait menacée. À peine d’ailleurs en avais-je conscience.

Dispute, tension, inquiétude, défiance... « Qui a cassé ce verre?», «Qui a fait tomber la craie par terre?» «Qui n’a pas essuyé ses pieds en entrant ? » « Qui a fini la crème au chocolat ? », « Qui a trempé le couteau du beurre dans la confiture ? » Le moindre méfait aboutissait presque toujours à une dispute qui assombrissait le climat familial ou scolaire... La discorde était encouragée au détriment de l’accord ! Les mésententes en ressortaient chaque fois accentuées, et une nouvelle faute bientôt se produirait sans qu’aucune punition ne répare jamais le verre ni ne nettoie le couteau à beurre plongé dans la gelée de myrtilles !

Depuis, recherches, expérience, formation personnelle et professionnelle m’ont permis de mieux comprendre ce qui se jouait sur le plan individuel aussi bien que collectif et d’envi- sager des solutions plus salutaires qu’une chasse au coupable blessante et désespérée. Ayant chaque jour, dans le cadre de ma pratique, l’occasion de constater que le sentiment de culpa- bilité reste l’un des plus présents, l’un des plus pénibles à sup- porter au quotidien, l’un des plus dévastateurs, en termes de bien-être psychique, la nécessité d’en libérer les consciences, ou tout du moins de participer à cette libération, s’est imposée. Celle-ci ne peut être que progressive, mais les bienfaits recueillis chez qui s’engage dans une telle démarche se sont vite imposés à leur tour.

Qu’elle soit admise ou l’objet d’une dénégation éperdue, la culpabilité demeure douloureuse au cœur de notre huma- nité. Connaissant son insistance et le besoin qui anime la plu- part d’entre nous d’en finir avec elle, existe-t-il, lorsqu’elle nous hante, d’autres possibilités que de la subir ou de la refouler ?

Par ailleurs si la culpabilité fait partie du vocabulaire psychanalytique, il n’en va pas de même pour la responsa- bilité, et, pourtant, c’est bien vers elle que tend une démarche psychanalytique qui se proposerait d’alléger le patient de la culpabilité.

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Devenir acteur conscient de sa vie, sans plus se glisser (inconsciemment) dans la peau d’une victime ni d’un bourreau – que ce soit de soi-même ou d’un autre –, ne plus suffoquer sous le poids de la culpabilité, autrement dit, oser être et deve- nir soi, nous mène à déranger l’ordre coutumier des choses, et à en supporter les conséquences. Sortir de la culpabilité incite en effet à assumer sa pensée et à oser l’originalité créa- trice, sans plus rester soumis à une certaine idée de la bien- pensance – et même de la bienfaisance –, tributaire elle-même d’un immobilisme frileux et régressif qui répond artificielle- ment à un besoin de sécurité pourtant réel.

Ainsi avons-nous assisté, en 2010, à l’éclosion réjouissante d’un succès en librairie. Stéphane Hessel, à un âge générale- ment défini comme celui de la sagesse ou de la résignation, pour ne pas dire de la régression, osait faire appel à l’indi- gnation1 ! Ce succès populaire, même s’il a été contesté par certains, témoigne d’un désir étouffé d’échapper à un consen- sus qui ne nous ressemble pas, et de faire entendre de nou- velles voix. Il m’a renforcée dans l’intuition qu’il s’agissait, pour nombre d’entre nous, quel que soit nôtre âge, d’échapper (enfin) à l’emprise de motivations inconscientes qui nous poussent, par exemple, à nous taire ou à rester tout petit, par peur de perdre la face ou l’amour des siens !

La crainte de ne plus correspondre à ce que l’«on» attend de nous maintient un statu quo qui n’a cependant de confortable que l’apparence. Se libérer de la culpabilité, oser exprimer ce que l’on s’interdit d’exprimer dans la mesure où l’on pense au-delà de ses seuls intérêts personnels pourrait signifier alors tendre vers une légèreté qui confine au bonheur.

Une telle démarche nous incite à nous aventurer hors des sentiers battus ; et, à l’heure où aucune manipulation de l’image n’est impossible grâce aux nouvelles technologies, à ne plus nous contenter des seules apparences ! Cette démarche, qui accepte l’a priori de motivations inconscientes, nous exhorte à revisiter certains pans d’un passé douloureux, qu’il soit personnel, familial ou historique – pour aller à la rencontre de l’enfant que nous fûmes, entravé dans notre désir de grandir par des voix inquiétantes nous interdisant d’écouter la nôtre.

Devenir responsable serait une invitation à se sentir non plus «pas à la hauteur», mais «enfin à la hauteur»; une invitation à ne plus se résigner à « ne pas avoir les moyens » mais à en découvrir de nouveaux, quitte à les inventer. Une invitation à se mettre à l’écoute d’imperceptibles peurs, afin de les comprendre, les dépasser et se soustraire à ce qui en sourdine les alimente.

La culpabilité nous hante le plus souvent incognito. En quoi s’origine-t-elle? Comment fonctionne ce qui nous freine et nous retient dans notre élan vital? Pourquoi, malgré l’intime conviction de mériter quelque chose, nous interdisons-nous de l’acquérir, faute de nous sentir à la hau- teur ? Quels sont les mécanismes à l’œuvre dans nos fuites et dans nos évitements ? Ne peut-on les convertir de façon qu’ils participent dorénavant de notre avancée ? Comment oser être soi à l’écoute de son désir plus que de ses freins ? Ces questions s’étant imposées à moi, c’est naturellement que j’ai eu envie de partager les bienfaits des ouvertures qu’elles proposaient.

La nécessité de dégager de nouvelles perspectives pour nos enfants, nos descendants, bien sûr, mais dès aujourd’hui pour chacun de nous, ici et maintenant, commençait à devenir réalité. L’humanité aujourd’hui serait comparable à cet enfant qui peine à grandir tout autant qu’il le désire et qui, ce faisant, reste partagé entre sentiment d’impuissance et aspiration à la toute puissance.

S’autoriser, par-delà certains déterminismes, à devenir auteur de sa vie, responsable avéré et consentant de la majorité de ses actes participe d’un élan libérateur. Auteur, auto- rité, autorisation ont en partage la même racine « aut- » : avec elle il est question de s’augmenter pour devenir et assumer, dans la joie, ajouterai-je, cette augmentation de puissance.

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Pourquoi ne pas envisager alors le bonheur d’être res- ponsable au détriment de la culpabilité comme celui de l’enfant qui, s’identifiant à son héros favori, parvient à déve- lopper en lui-même les atouts fabuleux qu’il attribue à celui- ci ? La foi en soi comme en l’humanité – qu’elle soit ou non liée à une pratique religieuse – est, en ces instants, extraor- dinairement porteuse.

Choisir de répondre à ses aspirations premières les plus profondes, pour participer avec plaisir à l’avancée de l’humanité, est un pari qui mérite d’être relevé. Il va de soi que l’on ne peut ressentir le merveilleux du bonheur que lorsqu’on se sait intimement en accord avec l’humanité. Celui-ci nous pro- curant alors cette indéfinissable sensation d’être en paix avec l’univers.

Ce livre a donc été imaginé en pensant à celles et à ceux qui aiment la vie et qui souffrent de ne pas se sentir à la hauteur de cet amour.

Si nous prenons conscience de l’ardeur et du sérieux qu’il nous a fallu depuis notre « arrivée sur terre » pour survivre au traumatisme de la naissance1, apprendre à marcher, parler, lire, nouer des relations, nous pouvons saisir la puissance du désir à la source de la vie, et la nécessité qui en découle de considérer nos humaines difficultés non pour nous y résigner, mais dans l’intention de stimuler nos forces créatrices, à l’œuvre depuis le premier instant de notre vie.

Si la culpabilité agit à notre insu comme une véritable pandémie à laquelle il n’est pas simple d’échapper, apprendre à la repérer évite de se laisser piéger et qu’elle ne prolifère. À cette fin, je vous invite, dans un premier temps, à en décor- tiquer patiemment les processus pour, dans un second temps, mieux vous en libérer et vous engager ce faisant sur le chemin de la responsabilité.

Virginie Megglé
Copyright Editions Odile Jacob  

09/09/2014
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