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Où sont passés nos rêves d'enfance

Où sont passés nos rêves d'enfance
@Virginie Megglé

Où sont passés nos rêves d’enfance ?




Le sentiment d’exil dans lequel nous plonge toute perte nous entraîne, pour mieux y échapper, vers un ailleurs idéalisé...

Ainsi le sentiment d’abandon peut-il être l’expression d’un désir lié à la nostalgie d’un paradis perdu où tout n’est que douceur et admirative intimité, plaisir et félicité, à l’image de ces rêves d’enfance que porte le désir d’une native innocence. Rêve de l’union amoureuse idéale, rêve de protection totale ; rêve du merveilleux disparu dont à chaque instant on espère recouvrer la voluptueuse bonté ; rêve de blancheur, de candeur, d’authentiques relations en communion parfaite avec la nature ; rêve d’une humanité lumineuse calquée sur un passé fantasmatique aux couleurs de l’harmonie ; rêve de séré- nité, de désir qu’aucune corruption ne serait venue entacher ; rêve éperdu de sincérité... Exaltation de la pureté des intentions, c’est la confondante illusion d’un paradis perdu.

Si chacun a connu la tentation de s’évader dans un ailleurs imaginé, pour certains l’expression s’en présente avec plus d’acuité. Éternels aspirants aux voluptés d’une union idyllique que n’altérerait ni peine ni contrariété, tout à la sensation que l’amour parfait leur fut subtilisé, ils alimentent en solitaires rêveries l’idéal qui les maintient en existence.

Face à l’épreuve de l’ici et maintenant, pour se soustraire au redou- table présent, pour « s’épargner de continuels déchirements », selon Rousseau, ils cherchent refuge, pour y puiser des forces, dans un passé lisse et sans aspérité, tendre et sans rugosité... riche et sans aridité... où tout ne serait que douce et charmante fertilité... Prenant appui sur un avant, un avant le Déluge, avant le serpent, avant la dis- parition de l’avant... un avant dans lequel ils se glisseraient, heu- reux, pour s’autoriser à survivre ou à avancer.

Lorsque la sensation de chute ou de douloureuse déchéance se fait répétitive et lancinante, tout à la contemplation d’un passé antérieur sans mensonge ni injustice, le rêveur abolit le temps. Pour se relever, se raccrochant à cet avant supposé idéal, où la plénitude ne cédait pas de place au manque, il puise la force de (se) vivre en le réinventant, et se projette, pour sublimer sa douleur, à travers lui au présent comme sur un écran.

Suspendu à une improbable éternité, le temps du paradis perdu est celui de l’illusion qui endolorit les sens exacerbés par l’abandon. Temps supposé idyllique du giron maternel, tout est prétexte à le ressusciter. Douce utopie d’un vrai pays à l’image de nos plus exquises rêveries, où le soleil inondant les cœurs se refléterait dans les yeux, il a valeur de catharsis1 quand il semble que la fatalité, empêchant l’épanouissement que l’on croit observer hors de soi, condamne à la paralysie. Visant à exorciser de puissants sentiments d’impuissance, de privation, de désespérance, quand certaines bles- sures narcissiques ont occasionné d’impensables souffrances, il est l’art de rêver à une enfance dorée pour combattre le doute acca- blant de craintes et de secrètes tortures pour qui peine à survivre à un indicible malheur sans croire à un ailleurs meilleur.


 

 

 

 


Virginie Megglé
In La nostalgie du Paradis perdu
Les Séparations Douloureuses
Comprendre nos dépendances affectives

 
@ Eyrolles 2014

 

16/09/2016
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