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Psychanalyse ? et cinéma Cédric Klapisch

Les Poupées russes de Cédric Klapisch




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Journal de l'humanité

CULTURE

 

« C’est mon métier de faire le portrait de mon époque » Cédric Klapisch



Chronique sentimentale . Les Poupées russes, du réalisateur Cédric Klapish, sont la suite de l’Auberge espagnole. Il signe ici son huitième long métrage. Rencontre.

 

Ce film paraît plus mature et mieux écrit que l’Auberge espagnole...

 

Cédric Klapisch. J’ai vieilli. Si c’est plus mature, c’est peut-être que je le suis plus. Si j’ai fait une suite, c’est parce que je sentais que j’avais été trop vite dans l’Auberge espagnole. Je me disais qu’il y avait quelque chose que j’aimais bien au niveau du style, un truc que je n’avais pas approché auparavant. En même temps, ce n’est pas que je l’aie bâclé, mais je sentais que je n’avais pas utilisé à fond tout ce que j’avais initié. Le fait de revenir sur le procédé dans les Poupées russes m’a permis d’approfondir les choses. C’est peut-être cela qui donne le côté plus mature, plus réfléchi en tout cas.

 

Est-ce le film de la confrontation des rêves à la dure réalité ?

 

Cédric Klapisch. C’est le sujet du film qui est plus axé sur l’amour que sur les réalités sociales. L’Auberge espagnole et les Poupées russes sont un peu conçus ensemble. Le premier dit qu’il ne faut jamais arrêter de rêver, et le deuxième qu’il faut arrêter de rêver. Cette position contradictoire est liée au questionnement sur ce que c’est que devenir adulte : c’est abandonner certaines choses sans oublier de rêver, sans renoncer à des valeurs et à des principes fondamentaux. Devenir adulte, ce n’est pas juste oublier l’enfance et les rêves. Il faut garder le dynamisme que les rêves donnent mais il faut savoir faire des compromis, gérer le quotidien. Souvent, l’expression « faire des compromis » est une chose négative, mais on peut la positiver. C’est presque de la psychanalyse, mais on est bien quand on est entre le principe de plaisir et le principe de réalité. Si on est trop dans le plaisir, on est juste ailleurs mal dans sa peau et on se perd. Si on est trop dans le principe de réalité, on devient un vieux con ou un hétéro coincé comme dit Xavier (Romain Duris). Entre le Pierrot lunaire et le type dans le rang, il y a un intermédiaire. C’est cette espèce de compromis extrêmement difficile à trouver où l’on rêve et l’on arrête de rêver. Bizarrement, les deux ne sont pas contradictoires.

 

Votre filmographie comprend quelques films de genre. Dans lequel classez-vous les Poupées russes ?

 

Cédric Klapisch. J’essaie d’échapper aux cases et aux tiroirs dans lesquels on essaie de me mettre. Avec le Péril jeune, je pensais faire un film triste. Il se trouve que c’est devenu une comédie dans la tête des gens. Avec Un air de famille, je voulais échapper au théâtre filmé, mais des gens considèrent que le film en est. J’essaie de sortir des ornières du genre. La seule fois où j’ai vraiment voulu y rentrer, c’est dans Ni pour ni contre... C’est un peu cela qui a trop contraint le film. Pour les Poupées russes, on pourrait l’appeler « romantic comedy » (sic) comme disent les Américains, mais j’essaie d’échapper aux clichés narratifs amoureux. C’est un film sentimental pour hommes. En général, la littérature sentimentale est réservée aux femmes. Ici, j’essaie d’avoir un regard masculin sur les sentiments amoureux.

 

C’est aussi un film choral comme la plupart de vos oeuvres...

 

Cédric Klapisch. Depuis le début, je m’intéresse à la diversité des gens. J’aime parler du rapport de l’individu à un groupe. Mon père était communiste. L’idée communiste m’a intéressé. Je l’ai beaucoup cautionnée. Mais je ne l’ai jamais été parce je pense qu’il s’est confronté au choc de la réalité. Et le marxisme, en se confrontant à la réalité, a fabriqué du fascisme et des horreurs. Du coup, cela m’amène à avoir vis-à-vis du communisme une position extrêmement interrogative et perplexe. Mais l’idée du communisme et notamment du mot m’intéresse. Le fait de vivre des choses en commun, de parler de la communion, de la communication, de l’association d’individus pour fabriquer une société est ce qui m’intéresse le plus. Dans mes films, j’essaie de voir des choses communes entre des individualistes avec des destins et des parcours différents. Ce qui m’intéresse c’est comment les expériences collectives peuvent exister à travers des destins individuels. On est dans une époque extrêmement individualiste. Au lieu de trouver cela dommage, je trouve cela assez beau. Aujourd’hui, on vit dans un truc assez créatif où l’on peut penser le collectif et l’individualisme en même temps.

 

Ce film est très ancré dans l’air du temps...

 

Cédric Klapisch. J’ai l’impression que c’est mon métier de faire le portrait de mon époque. Avant j’essayais de le refuser, maintenant je l’assume. À mon âge, je vois que ce n’est pas forcément être dans la mode et la futilité. Je suis le produit de mon époque. Au lieu de le refuser, j’essaie de l’affronter et de montrer la diversité et la complexité du quotidien. La colocation, l’homosexualité, les top-modèles, être altermondialiste, ça veut dire quelque chose. Le monde est fait du catapultage de ces choses. J’essaie de le traiter avec légèreté parce qu’on est dans une époque légère. J’ai souffert du côté militant des années soixante-dix. D’après moi, le cinéma militant ne servait pas du tout les causes qu’il défendait : il les alourdissait. On peut être militant ou engagé en parlant légèrement. Je ne ressens pas négativement la légèreté. Je me réfère pas mal à Goscinny en ce moment. Astérix m’a profondément marqué. Tous les Français ont capté à différents degrés son message sur la résistance. Si c’est aussi parlant, c’est parce que peu d’auteurs ont abordé avec autant d’acuité et de violence l’idée de résistance. C’est un point de vue extrêmement politique. Le discours soi-disant enfantin et léger peut être fort. Aujourd’hui, la pensée unique est celle de la mondialisation et la France a un rôle à jouer sur le fait d’être un petit village qui essaie de ne pas penser comme les autres. Je dis : bravo Goscinny !

 

Propos recueillis par Michaël Melinard



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