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Quelques considérations sur l’attention (également) flottante en psychanalyse

Quelques considérations sur l’attention (également) flottante en psychanalyse
Virginie Megglé

Quelques considérations sur l’attention (également) flottante en psychanalyse

 

 

L'attention flottante est la règle technique fondamentale selon laquelle le psychanalyste doit prêter la même attention à tout ce que dit l'analysant, sans attacher d'importance particulière à un détail de préférence à un autre. Il est courant de l'évoquer, face à l'association libre recommandée pour l'analysant, en omettant ce qualificatif qui se glisse entre parenthèses : également et qui induit une réciprocité dans la relation. Attention (également) flottante ...

 

L’attention (également) flottante est ce qui autorise la personne souffrante à se livrer en confiance. Comme elle se sent et se sait soutenue, celle-ci ose laisser tomber les défenses sur lesquelles elle s’appuie en temps ordinaire et son discours, libéré des contraintes coutumières, peut prendre progressivement un sens inédit, d’autant plus libérateur qu’il n’est ni arrêté ni déterminé à l’avance.

L’attention – ad tension -  exprime le fait de tendre son esprit vers quelqu’un ou quelque chose – et suggère ici en particulier la tension d’un être vers un autre. Quand on sait que tendre et tenir sont les dérivés français de deux verbes jumeaux en latin, l’un, tendere, désignant la tension que l’on fait subir à un objet – l’autre, tenere désignant celle du sujet et son effort prolongé – et que tous deux ont fini par avoir des dérivés communs, on comprend mieux encore que l’attention recommandée au psychanalyste est à la fois : Ce qui lui permet de se tenir à l’écoute de l’autre - en tendant vers lui son esprit et son oreille. Et ce qui permet à l’analysant de se sentir soutenu et bien entendu[1]. C’est grâce à cette attention que ce dernier pourra peu à peu se porter de mieux en mieux au cœur de la relation analytique jusqu’à ne plus éprouver le besoin de celle-ci. Car il sera senti suffisamment soutenu et entendu…

 

L’écoute dans ce cadre précis exige donc la tension particulière d’un être vers un autre, mais cependant cette tension doit se faire souple et discrète pour influencer aussi peu que possible la trame du discours de l’analysant.

L’attention est dite flottante, c’est-à-dire fluide et non directive, portée par le courant de ce qui s’énonce dans le cadre d’une séance. L’analysant étant encouragé à laisser ses mots et ses sensations s’écouler sans retenue, selon la logique intime de la libre association, tandis que le psychanalyste de son côté laisse filer son esprit au gré des flots, pour enregistrer avec une attention égale, les mots, les sons, les images, les pensées, les sentiments, les émotions portées par ce discours, tout en repérant dans le même mouvement les liens entre les uns et les autres. On le voit, l’attention flottante incite à accorder une valeur égale aux mots et à ce qui se dit entre ces mots : les soupirs et les respirations, aussi bien que les silences, les ponctuations, les bégaiements, les lapsus ou les hésitations. Autrement dit, elle est ce par quoi l’analyste accède, dans le contexte particulier d’une séance, à tout ce qui d’ordinaire est refoulé, réprimé, négligé par commodité ou civilité, esprit de survie ou soumission, habitude ou lassitude... 

Ainsi, avec Freud, au-delà de l’écoute, l’attention est-elle une faculté de liaison entre les différentes composantes constitutives du discours. En cela elle répond bien à l’association libre qui exhorte l’analysant à relier de façon spontanée des éléments que le quotidien demande d’ordonner, de séparer, de distinguer ou d’ignorer. Cet effet de liaison, de part et d’autre, et cette non sélectivité première, instaurent un nouveau mode de fonctionnement psychique qui lève au fil des séances tout ce qui prend valeur d’inhibition pathogène. Les motivations inconscientes peuvent progressivement se dégager et un nouveau sens se révéler derrière les mots. Le sujet, allégé du poids de sa souffrance, se sent prendre à ses propres yeux une valeur qu’il n’osait jusque-là ni s’avouer ni savourer ! Ainsi l’analyste, avec l’attention flottante, se met-il à disposition de celui qui demande  à ce qu’on  « lui prête oreille pour arriver à mieux se considérer »… Il s'agit alors pour nous, analystes, de capter les indices qui nous renseignent sur le sujet (en devenir) au-delà de ce qu'il semble nous dire, pour percevoir ce qu'il cherche à (nous) dire… Et de le réutiliser, le moment choisi, au bénéfice de la cure, avec tact et habileté. Affiner la perception, tout en modulant l’attention, amène à anticiper sur certains investissements du désir de l’analysant et à lui faire savoir qu’il a été bien entendu. Rassuré, se sentant compris et même « reconnu » dans ce cadre, car ce qui lui est renvoyé entre en heureuse correspondance avec ses perceptions, il modifiera progressivement - sans toujours y prendre garde - son comportement, ses propos, ses habitudes. En d’autres termes, son mode d’économie affective et libidinale. C’est ainsi que se manifeste le bénéfice de l’attention qui lui a été portée.

Faire preuve d’attention flottante, c'est savoir se mettre en retrait tout en se mettant à disposition. C'est mettre l'expression de ses émotions, de ses sensations, de ses sentiments, de ses idées, de ses opinions, de ses jugements, entre parenthèses. J'emploie ici volontairement le verbe mettre dans ces trois expressions. Car cette répétition laisse entrevoir l'aspect contradictoire - et même ambiguë -  de la présence à la fois forte et discrète de celui ou celle qui se met ainsi en position d'écoute. Comme s’il s’agissait pour lui tout à la fois d’être et ne pas être, sans jamais cesser de manifester son existence afin de permettre à l’autre de se sentir à son tour exister ! 

L'écoute se base sur des faits, des sons, des images qui parviennent de l'extérieur, mais elle nous renseigne ici sur le monde intérieur, sur l’intimité du sujet et renvoie à ce qui est, dans des conditions ordinaires, invisible ou indicible. Elle sollicite, chez l’analysant, tout ce qui n’a pu être pensé et qui fait barrage aussi longtemps qu’on ne le prend pas en considération. Mais les sensations de l’analysant qui parviennent à la surface renvoient à leur tour aux sensations intérieures du psychanalyste. L’analysant, dont les défenses sont tombées, étant très sensible aux réactions de son analyste, à ses paroles comme à ses silences, il est essentiel de ne pas négliger la portée de ses derniers dans le cadre de l’interprétation. Aussi, bien que le psychanalyste ait à s’abstenir dans un premier temps, comme nous venons de le voir, de manifester ses opinions et ses sentiments personnels, il n’a pas à les réprimer. Se garder d’en faire part à son analysant de façon inconsidérée, les contenir ou les maîtriser, ne doit pas l’empêcher d’être également à leur écoute. En effet, ces mouvements d’âme et d’humeur personnels le renseignent également sur le message que le sujet souffrant cherche à (lui) faire parvenir. Ils auront une part déterminante dans les interventions qu’il choisira de faire, en tant que psychanalyste, pour mener la cure. Car se laisser flotter ne signifie pas se laisser ni laisser dériver éperdument sans aucun but. Tel l’enfant qui n’a pas encore les mots pour exprimer un désir mais qui a besoin de « pas science » pour se faire entendre, l’analysant sait sans le savoir, ce qu’il a besoin de (nous) faire entendre, et ce qu’il transmet à notre corps a autant de valeur que ce qu’il (nous) communique avec les mots. Il serait insensé de ne pas en tenir compte ou de faire « comme si cela n’existait pas ». C’est pourquoi l’attention flottante commande non pas de s’effacer mais d’être vigilent et d’agir de telle sorte que l’analysant se sente progressivement également exister. Un effacement excessif de l’analyste l’encouragerait à un égal effacement ou par réaction à un excès de présence…

La psychanalyse nous enseigne ici qu’il est moins question de guérir la personne qui souffre que de faire en sorte qu’elle se sente et se sache non seulement écoutée, mais entendue et bien comprise. C’est de la prise de conscience progressive de cette assurance que découlera un sentiment de mieux être qui peut se traduire comme un effet de guérison.

Paradoxalement cependant, c'est le psychanalyste qui - à partir de ce travail d'écoute bien dirigée - renseigne la personne souffrante sur elle-même. Il en sait en effet toujours plus long sur le sujet qui vient vers lui qu’a priori il ne le laisse croire. Mais il se garde de le faire entendre de façon inconsidérée, afin que son savoir ne se substitue pas à celui naissant de l’analysant et afin aussi que son désir n’écrase pas l’expression émergeante du désir de ce dernier.

C'est par les réponses que nous lui apporterons que le patient se sentira ou non entendu.

Cette écoute requiert une très grande énergie. Un investissement exceptionnel de l'espace temps délimité par la séance. Il s'agit pourtant d’en sortir indemne. C’est pourquoi il est si important de ne pas négliger ce que nous vivons dans le cadre de chacune des analyses que nous menons. Mais d’être actif à l’écoute de tout ce qui se passe dans ce cadre – de part et d’autre - et de s’en souvenir autant que possible d’une séance à l’autre. Pour le prendre en compte. Et éventuellement le retravailler dans le cadre de supervisions. On le voit, d’une certaine façon, psychanalyste et analysant, l’un et l’autre sont à égalité.

Recueillir passivement des informations, attendre d'elles qu'elles nous confirment un savoir n’aurait aucun effet. L’écoute est active. Elle implique d’ailleurs que nous suscitions des informations. C’est ce à quoi tendent aussi les interventions de l’analyste. C’est ce que propose aussi de mettre en œuvre le dispositif analytique, avec d’une part le cadre horaire et financier bien établi qui inclut la régularité des séances, et d’autre part la règle de la libre association à laquelle est conviée l’analysant et qui entre en écho avec celle de l’attention flottante recommandée à l’analyste. Nous l’avons vu, c'est parce que le sujet sent que l'on est à son écoute qu'il parvient à se libérer et à se délivrer de sa douleur. Mais ses réactions, face au cadre qu’il est tenu de respecter, et parfois à contrecœur, nous renseigneront autant sur les difficultés qui l’entravent. Ce cadre a par ailleurs pour l’analyste et l’analysant une égale valeur de soutien sans lequel il serait  impossible de laisser libre court aux productions de l’inconscient. Il sert à la fois de support et de limite à la dérive à laquelle invite l’analyse. De protecteur et de retour à l’ordre lorsqu’il s’agit de faire rappel à la conscience pour revenir à la réalité.  Et mettre fin à la séance.

 

Virginie Megglé 

[1] Entendre étant d’un point de vue étymologique, le fait de sentir par la pensée et par l’oreille. 

07/05/2016
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