Chaque visage est le Sinaï d'où procède la voix qui interdit le meurtre - Lévinas

Devenir psychanalyste ... et le rester

... Devenir psychanalyste... et le rester

Un livre de Serge André,
dont on peut lire en quatrième de couverture:



" Cet intitulé comporte trois éléments et j’y ajouterai un quatrième, dont l’absence, intentionnelle, doit être soulignée : c’est : être. Il ne s’agit en aucune manière, dans mon projet, d’être psychanalyste, pour la bonne raison qu’il n’y a pas d’être psychanalyste. Ce n’est pas d’un être qu’il s’agit, mais d’une fonction qui se faufile entre réel et fiction, et qui est produite par le discours de l’analysant. « Devenir analyste » - moment inaugural qui n’est pas seulement le moment où l’analysant décide de s’installer un divan en tel lieu de son choix, mais aussi celui qui se joue au départ de chaque psychanalyse qui commence - et ensuite « le rester » - moment final, au sens où c’est de la fin visée par l’expérience qu’il s’agit -, ce n’est pas la même chose, ce n’est pas du même désir qu’il s’agit. Entre les deux, trois petits points de suspension nous indiquent un temps d’élaboration, de mutation, temps sur lequel l’expérience dite de la passe devrait permettre de jeter un certain éclairage, si elle réussit un jour.
« Lacan dit que... », cette formule tend irrésistiblement à devenir, dans le cercle des analystes qui se réclament de lui, non pas une clef pour ouvrir la discussion, mais au contraire un verrou qui la clôture. C’est contre cet usage, ce mesurage de la parole de Lacan - comme de Freud aussi bien - que je lutte, parce que je suis convaincu que les paroles de Freud et de Lacan ne sont ni des paroles d’évangile, ni des versets de liturgie, ni même des vérités établies, mais avant tout des formulations d’un désir qui vise l’origine ou la cause du fait humain.





Serge André est l'auteur de Que veut une femme et de L'Imposture perverse. Depuis sa mort en 2003 et l'édition régulière de ses travaux, il apparaît de plus en plus clairement qu'il fut un auteur et un psychanalyste de tout premier plan, et qu'il nous laisse une oeuvre majeur.




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paru aux
Éditions Luc Pire





Disponible en librairies en Belgique en août 2007 et en octobre en France




Un travail remarquable où chaque mot semble être à sa place, et aucun ne serait en trop.

De quoi nourrir une saine réflexion sur la psychanalyse et la fonction de psychanalyste en côtoyant, dans le sillage de l'auteur, la pensée de Kant, l'enseignement de Lacan, la démarche de Ferenczi, ... mais aussi Sade et quelques autres.

Ci-dessous, quelques extraits, pour mettre l'eau à la bouche... en guise d'invitation à la lecture...


À propos de jouissance...


"Or, telle est précisément l'ambition de l'expérience analytique: déranger le sujet dans son lien à la jouissance qui fait le fond de son être. Ce sujet qui passe son temps à rêver ou à élaborer des symptômes, nous devons certes l'aider à décrypter la signification de ses rêves et symptômes, mais plus radicalement, nous devons l'amener à réaliser que toutes ces significations sont certes passionnantes, mais qu'il ne sert à rien de les déchiffrer si l'on n'en vient pas à mettre en cause la fonction même du chiffrage. (...) Réveiller, c'est dévoiler la jouissance obscure dont le sujet berce son être et dont il ne veut rien savoir: réveiller, c'est montrer au sujet qu'il ne fait semblant de vouloir savoir que pour mieux entretenir son ignorance."


Rester psychanalyste...?

"Il est vraiment très très difficile de rester psychanalyste. je ne dis pas ça pour me faire plaindre - je ne peux rien faire d'autre que ce que je fais, c'est-à-dire me laisser prendre par cette fonction à laquelle je me prête parce qu'un certain nombre de personnes s'imaginent qu'avec mon aide ça ira mieux. En général, elles n'ont pas tort, d'ailleurs... Mais la question n'est pas là: il s'agit de cerner la difficulté, de saisir dans quel engrenage le psychanalyste met le pied quant il accepte de s'engager avec son analysant dans l'exploration de cette demande d'aide et quand, dès lors, les voilà partis à l'aventure. il s'agit d'arriver à bon port. Mais qu'est-ce que cela veut dire? On s'embarque, comme Colomb, pour découvrir les Indes - mais, finalement, c'est l'Amérique. Ce qui compte c'est que l'on ait traversé quelque chose et que l'on ne se retrouve pas, à la fin, au même point qu'au départ - ce qui permet d'aborder de nouveaux continents. "
Page 87


Le pervers ... ?

"Le pervers est fondamentalement un éducateur, un formateur de la jeunesse. Mais son projet éducatif est fondamentalement un projet de corruption: il s'agit que d'une innocente sorte une libertine. L'éducation perverse , c'est de faire en sorte que le sujet rejette ses illusions concernant l'amour, pour partager un savoir sur la jouissance, et qu'il démasque ainsi son innocence en se découvrant comme déjà coupable, c'est-à-dire comme partageant depuis toujours le goût du crime" page 98


Et puis, à propos du sadique... Quelques phrases qui au contraire de l'affirmation péremptoire soutiennent un développement bien étayé tout au long des pages de ce livre ...

'Cela veut dire que le propre du sadique c'est de se conduire comme si son fantasme était le fantasme de sa victime. Il y a là, dit Lacan, un véritable "calcul du sujet", expression que nous pouvons entendre aux deux sens de l'équivoque: d'une part il y a le calcul, ruse tactique de la part du sujet sadique; d'autre part, cette ruse a pour visée de calculer, c'est-à-dire d'obtenir le chiffre exacte du sujet en tant que tel, soit du sujet non barré qui résulterait de la sommation de l'objet a (le bourreau) et du sujet divisé (la victime)."

Ou encore:

"Le sadique ne veut pas être le sujet de la jouissance. Il veut en être le moyen, afin que ce soit la victime qui jouisse, qu'elle le veuille ou non. Il veut ainsi lui faire éprouver quelque chose de plus fort que tout. C'est pourquoi Lacan a pu dire aussi que ce que recherche fondamentalement le sadique, c'est l'angoisse de l'autre plutôt que sa douleur comme telle."


Désir ... fantasme ?

"Par conséquent, ça suppose qu'une psychanalyse puisse, au moins dans certains cas, et de préférence dans e cas des psychanalysants qui deviennent analystes, conduire à une réorganisation du fantasme qui en rendre le sujet un peu moins serf. Et dans cette optique, l'éthique de la psychanalyse, ce serait peut être moins "ne pas céder sur son désir" - formule lacanienne que l'on a manifestement interprétée dans le sens obsessionnel d'un "ne rien concéder" - que céder sur son fantasme". p 123


Rester psychanalyste ?

(...) Ça c'est vraiment le paradoxe qui fonde l'intenable de la position du psychanalyste, pris entre son désir de devenir psychanalyste, mais c'est ce même désir qui fait obstacle à ce qu'il le reste, car le rester implique que le sujet s'efface au profit du psychanalyste fictif que l'analysant produit avec l'objet a. (...)
(...) En quelle position suis-je ici? Dans celle d'un psychanalyste, c'est-à-dire de quelqu'un qui exerce ce métier ou cet art, et qui, par son acte, s'efforce de permettre à des analysants de produire du psychanalyste, ce qui l'amène, ce psychanalyste, à se demander, ce qu'est le psychanalyste, c'est-à-dire quel serait mon devoir en tant qu'analyste. (...)" p. 146


La fin de l'analyse ?

"(...) Lacan en propose une définition dans son compte-rendu du séminaire sur l'étique : "il existe quelqu'un dont je n'est plus à venir." (...) Éclairée par la définition du psychanalyste, cette formule prend tout son sens. Elle ne veut pas dire que la fin de l'analyse consisterait en ce que tous les analysants adoptent le métier de psychanalyste. Le métier de psychanalyste, ce n'est qu'une interprétation de ce qui s'appelle le psychanalyste, et ce n'est peut-être pas nécessairement la meilleure. (...) Le passage de l'analysant à l'analyste ne s'opère pas au niveau du statut social - même si d'une certaine manière il ne peut que déterminer radicalement le "statut social" du sujet, au sens le plus fort du terme c'est-à-dire sa place dans le lien social en général. Le passage c'est celui qui scelle un savoir acquis - non seulement acquis mais réalisé - sur le statut réel du Je. (Ici je signe ma dette à Lacan lui-ême en souvenir du premier entretien qu'il m'accorde)."


La position (inconfortable) du psychanalyste?

(...) La position du psychanalyste, évidemment n'est pas celle du psychiatre. D'abord, c'est une position qui ne nous est pas donnée par la société: on n'y accède pas par une suite d'études et de stages - quoiqu'il soit très souhaitable d'en faire un maximum. La position de l'analyste on y accède au terme d'une expérience dans laquelle on est à la fois sujet et objet, cette expérience qui s'appelle la psychanalyse et dont on ne sait toujours pas très bien de quoi il s'agit. Il n'y a rien dans la civilisation qui encourage cette expérience ni qui approuve qu'elle se répande. Au contraire, l'expérience psychanalytique, depuis le début, est un peu considérée comme une ennemie de la civilisation - même si celle-i cherche à la récupérer, ou au moins à en récupérer les retombées pour mieux la censurer. La civilisation se passerait volontiers de l'inconscient - spécialement la civilisation que nous connaissons, celle où le nouveau maître, celui qui a pris le relais du classique tyran, est le discours de la science. Ce que le discours de la science attend, plutôt qu'un moyen d'écoute de l'inconscient, ce serait un moyen de refermer à jamais la béance par où il se fait entendre."
"Ensuite la position du psychanalyste ne se justifie pas par le désir de guérir,et surtout pas par la nécessité de guérir inhérente au discours médical. Ça ne veut pas dire que la psychanalyse n'est pas de vertus thérapeutiques, mais la thérapeutique n'y est jamais qu'un effet de l'expérience, et non pas sa visée."





Enfin, un autre extrait

à propos du silence en psychanalyse



On pourrait ainsi citer tout le livre, chaque passage est du même acabit. Clair et précieux. Serge André nous parle de son expérience, de sa pratique, il nous livre en termes simples et aimables le fruit d'une réflexion précise et passionnée dans laquelle il s'implique tel l'artiste dans sa création. Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'on ne reste pas sur sa faim wink Alors autant se procurer l'ouvrage, que l'on soit psychanalyste ou psychanalysand, pour prendre le temps de le lire en entier, le savourer, le relire, le consulter ...

Où se procurer l'ouvrage ?

01/11/2007
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