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Frères et sœurs, sur la piste de l'hystérie masculine 2

Frères et soeurs
Sur la piste de l'hystérie masculine




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Frères et sœurs

sur la piste de l'hystérie masculine  

2ème partie

 

 

Julet Mitchell va a l'essentiel pour dégager quelque chose de l'essentiel. Elle ouvre la voix sur le nombre deux, nous invite à sortir de la fusion. À mieux parer aux conflits et décrit de manière extraordinaire et extraordinairement précise et patiente les processus qui entrent en jeu dans la pratique psychanalytique (page 37). Et tandis qu’elle compare joliment son écrit à une fleur de pissenlit, il m'a fallu prendre le temps de bien le lire pour tenter de faire passer ce que la pratique nous confirme chaque jour : à quel point, au-delà des apparences, qui parlent d'amour et d'attachement tendre - la rivalité et la jalousie sont à l'œuvre dans les névroses quand l'apparition de l'un dit la disparition possible de l'autre et, quoi qu'il en soi (la menace de) son dé-placement.




« Pourquoi frères et sœurs ?, lui demande-t-on.

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"C’est parce qu’il y avait quelque chose que je ne pouvais pas comprendre après avoir lu nombre de textes sur l’hystérie."





En évoquant cette catastrophe que peut représenter une naissance pour un autre enfant, Juliet Mitchel fait remarquer que lorsque Charcot parlait d’hystérie, il parlait d’accident et  c’est sur ce terrain que Freud l’a d’abord suivi. Ce n’est que par la suite, que ce dernier a ramené l’hystérie au tout sexuel quand il s’est heurté à l’hystérie masculine,

Elle-même, après avoir observé que la plupart de ses patients (filles et garçons) avaient souffert d’une « hystérie normale », lorsqu’ils étaient de tout jeunes enfants, entre 2 et 3 ans, et après avoir revisité l’œuvre de Freud, s’est tournée vers Winicott, qui était, souligne-t-elle, psychanalyste mais aussi pédiatre, et avait l’occasion d’observer, dans ce contexte, des comportements « normaux ». Cela lui a permis de mettre en évidence le fait que Freud avait négligé, dans les analyses de cas qu’il a publiées [1]   l’importance des sentiments issus de la jalousie fraternelle. 

Pour elle, tandis que le père de la psychanalyse cherchait la cause de l'hystérie dans les relations sexuelles entre parent et enfant, il ne pouvait voir qu’elle surgissait en fait à l'occasion de la naissance    [2]  d'un autre qui représenterait une menace, un danger de mise à mort ou de disparition possible (somebody instead of me). Et si l’hystérie prend une connotation sexuelle, ce n’est que dans l’après-coup.

Juliet Mitchell rappelle que c’est l’hystérie [3]   qui a conduit à la notion de complexe d'Œdipe, mais que les recherches ayant fait apparaître qu’elle n’était pas que féminine c’est alors qu’elle a disparu des grilles nosographiques ou diagnostiques. Autrement dit, c’est l’étude de l’hystérie qui a mené au complexe d’Œdipe, mais comme l’œdipe ne pouvait résoudre l’hystérie, on a renoncé à l’hystérie après l’avoir attribuée aux seules femmes, sans penser que c’est « ailleurs » (dans les relations horizontales) qu’elle pouvait puiser ses origines. 

La disparition du terme hystérie  [4]  serait la marque même du XX ème siècle, mais ne signerait en rien la disparition de l'hystérie. Au contraire... Tandis que depuis la dernière décennie on a prétendu qu’elle avait cédé la place à d'autres symptômes, Juliet Mitchell nous prouve combien elle résiste, et se manifeste non seulement au quotidien lorsqu'elle surgit au carrefour d'une dispute, mais aussi combien c'est elle qui se manifeste à travers nombres de ces mêmes symptômes : que ce soit la dépression, le don juanisme, la paranoïa ou l'anorexie et donc aussi bien chez les hommes que chez les femmes.
Son apparente disparition serait liée à la révélation qu'elle n'est pas spécifiquement féminine. Autrement dit, et comme le soulignait avec malice ce soir-là notre auteur, « si un homme peut être hystérique, autant faire disparaître la notion d'hystérie… Au lieu que ce soit l'hystérie qui soit un problème, c'était les femmes qui étaient un problème .... »

On peut se dire ici que le sexe de la femme interroge l’homme (le mâle) et sans doute de façon angoissante dès qu’il se penche sur ses origines et pressentir comment l’hystérie a pu être ramenée au tout sexuel …  avant que ne surgisse  la tentation de s’en débarrasser wink  

Penser l’hystérie c’est se pencher sur ce traumatisme qu’est non seulement la naissance mais surtout le déplacement qu’elle symbolise et représente pour tout humain, qu’il soit fille ou garçon. Arraché à sa mère, le petit garçon s’imagine qu’il a un utérus aussi longtemps que la vie ne lui a pas prouvé le contraire.  Aussi longtemps que la loi de la mère qui affirme que les enfants ne peuvent pas avoir d’enfants ne lui a pas été clairement énoncée. Avoir un enfant pour l’enfant est une façon d’être et avoir sa mère, une façon de se protéger contre tout déplacement… C’est pourtant dans le fait d’accéder à ce renoncement  [5] que se situe la sortie de l’hystérie. Et c’est peut-être l’idée de ne jamais pouvoir faire d’enfant (contrairement aux filles) qui rend les hommes hystériques et les a conduits à le dissimuler, comme pour garder leur mère et leur place dans leur mère, en gardant en eux l’idée qu’ils pourront un jour (eux aussi ) faire des enfants.
Cesser d’être hystérique, c’est accepter le vide, c’est le combler autrement, c’est renoncer à rester dans sa mère… C’est accepter l’idée qu’un autre puisse s’y trouver aussi et en être lui ou elle aussi délogé (e ).  C’est encore cesser s’imaginer de l’avoir tué . C’est accepter de céder (de) la place pour en remplir une autre… autrement.


« Le vide qui est horrible pour l’hystérique est nécessaire pour les artistes. »

« Emptyness you are nothing, you make a drama to be something »

 dit Juliet Mitchel



Ainsi l’hystérie met-elle en jeu la notion de vide et de ce par quoi on remplit ce vide.
Tout se passe comme si l’enfant attendait un autre enfant que lui… Qu’il arrive ou qu’il n’arrive pas… C’est à ce croisement entre le vide et le plein que se situent l’interrogation et la crainte qui induisent l’hystérie.  D’abord normale avant de devenir névrotique si elle n’a pas été admise dans sa normalité première, puis apaisée.

L’hystérie pose la question de la mort et du manque …  Celle de la mise en danger que représente l’autre, tant par sa présence que par son absence. Au sein de la première relation sociale, celle qui unit un frère à une sœur... Que cette relation soit réelle ou symbolique.

C’est à la fois son intérêt de psychanalyste et son intérêt plus anthropologique des études de genre qui ont menée Juliet Mitchel à se pencher sur cette relation. Mais comme elle le dit « je suis la même personne ».

Ainsi, l ‘hystérie serait la maladie que les enfants attrape lorsque le suivant arrive sur terre, car elle force à changer de place à un moment où l’on n’est pas encore préparé à cela !  Cette proposition bien qu’énoncée ici d’une façon amusante n’en est pas moins cruciale dans la genèse et l’actualité des névroses.

Juliet Mitchell a relancé avec bonheur ma réflexion ... Seul ( e ) on ne peut rien. Au moins deux ... frère et soeur, quel que soit le sexe et le genre de l'un ou de l'autre, cette relation horizontale est capitale pour avancer. Sans exclure précisons-le la verticale.

Je ne peux que l’approuver, lorsqu'elle laisse entendre que les rapports fraternels sont aussi importants que les rapports de sexualité physique et charnelle, aussi déterminants dans les névroses ; aussi essentiels à la structuration de la personnalité humaine. Ma pratique et ma vie de fille, de soeur, de femme, de mère, avec le bien être qu'elles me procurent mais aussi les problèmes qu'elles posent et les douleurs qu’elles imposent - me le confirment chaque jour. 

Ce livre est en quelque sorte l'éloge de l'hystérie - non bien sûr pour l'encourager dans ses manifestations parfois désastreuses et même ravageuses - mais afin de  mieux la déceler, de mieux l'appréhender, de mieux la comprendre, de mieux y parer, mieux y répondre, mieux y échapper sans plus la négliger au risque de s'y soumettre (aveuglément)  - quand par crises, elle s'empare de l'un ou l'une de nous, ou s'exerce sur nous - que nous soyons homme ou femme, fille ou garçon, frère ou soeur, père ou mère... Elle ou lui ...   Et inversement wink



Pour conclure …
Comme Laurence Zordan [6]  l'a précisé en introduction à la soirée, "Ce livre mériterait d'être cité en entier tant il est dense " ...  Dense, oui, ô combien et pourtant limpide à la fois ; en effet, la lecture de cet ouvrage monumental  est très accessible au profane qui s’intéresse aux relations humaines et aux phénomènes de l’inconscient.
C’est un livre formidable, riche, essentiel et généreux qui à l'instar d'une œuvre d'art  donne à voir, à penser, à méditer, à réfléchir, grâce à une observation et une pensée nourrissantes qui permettent au lecteur de développer les siennes en les alimentant avec discernement. Un livre salutaire, édifiant et curatif, le lecteur homme ou femme - fille ou garçon le savourera tout en s’instruisant. Il fait partie de ces ouvrages, dont la lecture et les découvertes qu'elle nous autorise procurent cette délicieuse sensation d'avancer. On vous le recommande chaudement

D’un point de vue professionnel, après l'avoir lu, on se sent enrichi. Soit que l'on accède à une connaissance précieuse ignorée jusque-là, soit que l'on se trouve confirmé dans ses intimes convictions. Il n'est de meilleure sensation que celles liées au partage qui nous relie à la communauté. On a envie de faire durer le plaisir, de le savourer, de l'assimiler, aussi bien lorsqu'il nous offre de quoi alimenter la vitalité de notre réflexion que lorsque par bonheur il confirme nos intuitions.
Admettre que l'hystérie n'a pas disparu  autorise à reconsidérer la psychanalyse comme une démarche thérapeutique . [7] 
Si Freud lui-même a dû abandonner en son temps ses intuitions extraordinaires, à nous de prendre la relève, à l’instar de Juiliet Mitchell.

Une place pour chacun car chacun a sa place ?

Nous ne pouvons que remercier l’auteur de s'être mise à l'œuvre pour accomplir ce beau travail de transmission, nuancé, accessible, précieux et qui nous invite à considérer l'autre, non plus en termes d'inimitié (ou d'ostracisme) mais de respect et de partage afin de bien occuper « sa » place, quelles que soient les sensations de "déplacement" et de remplacement vécues ou subies. On imagine qu’il puisse contribuer à l'apaisement des relations entre « frères et sœurs », au détriment de la guerre, en nous aidant à ne plus nous sentir menacé par ce que re-présente l'autre. Ce à quoi nous invite aussi la psychanalyse lorsqu'elle est bien menée.

Remercions aussi Antoine Fouque et les Édtions des Femmes de l’avoir mis à notre portée en l’éditant dans une traduction française de qualité, grâce au talent de Françoise Barret-Ducrocq - et en contribuant ainsi à le faire connaître ...



 
Virginie Megglé
Juillet 2008





Notes:

[1] Voir Dora ou l’Homme aux loups, par exemple. Juliet Mitchell les analyse sous cet angle dans l’ouvrage. 

[2] Ou de la symbolique de sa présence.

[3] Et d’ailleurs l’hystérie masculine, celle-là même que Freud a d’abord reconnue pour lui.

[4] En terme de diagnostique ou de nosographie.

[5] D’être, d’avoir et de rester dans la mère.

[6] Auteur de Blottie, paru récemment aux Éditions des Femmes

[7] Ce qui, bien entendu, ne signifie pas médicale.




Frères et sœurs sur la piste de l'hystérie masculine 3 ème partie : citations et présentation de l'ouvrage 

Frères et sœurs sur la piste de l'hystérie masculine : 1 ère partie

24/08/2008
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