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Politique et psychanalyse: une réflexion de Pierre Bruno

Proposition

 

 Une réflexion de Pierre Bruno


Le docteur Accoyer a déclaré par écrit que son amendement ne concernait pas la psychanalyse. Fort bien. Cependant, les questions soulevées par le vote en première lecture de son amendement sont loin d'être réglées, en partie à cause des enjeux de pouvoir et des conflits d'intérêts qui traversent la communauté analytique, mais aussi et surtout parce que la place de la psychanalyse dans la société demeure, heureusement, problématique. Il me semble que la solution juste serait celle-ci : les associations de psychanalyse sont seules habilitées à garantir la formation analytique, selon les modalités diversifiées qui traduisent leurs options théoriques. À l'État de reconnaître, s'il le souhaite, ce fait.

À l'égard de cet objectif, comment évaluer les résultats de la rencontre du 12 décembre au ministère de la Santé ? Ils sont l'objet d'interprétations contradictoires, et de controverses sur la facticité même de ce qui s'y est déroulé. Une tension d'en dégage entre d'un côté les associations qui auraient accepté les propositions du professeur Mattéi et de l'autre les associations qui persistent dans leur exigence radicale d'un retrait pur et simple de l'amendement. Parmi ces dernières cependant, certaines souhaitent ainsi en rester au statu quo, c'est-à-dire au respect de l'incompatibilité de principe entre la psychanalyse et toute réglementation d'État, aussi indirecte soit-elle, et celles qui, sans le dire ouvertement, ne seraient pas hostiles à une législation européenne (peu ou prou sur le modèle italien) qui leur permettrait de mettre la main sur le marché de la psychothérapie.

Reste que, reddition ou rémission des annuaires puisque tel se présente le symptôme emblématique de la situation, l'habilitation des associations de psychanalyse pour réguler, à l'intérieur d'elles-mêmes et entre elles, la formation analytique, entraînerait ipso facto, par le biais des listes comportant la mention " psychanalyste ", la constitution d'un ensemble en dehors duquel, a contrario de la situation actuelle, la pratique de la psychanalyse se trouverait dé-légalisée pour ceux en tout cas qui ne bénéficient pas de la protection du titre de psychiatre ou de psychologue. Or, cette conséquence est inadmissible, pour plusieurs raisons intrinsèques à la psychanalyse :

? il existe des psychanalystes hors association ;

? les analysants qui s'autorisent au passage à l'analyste n'obtiennent qu'au bout d'un laps de temps quelquefois assez long la possibilité de figurer en tant que psychanalystes dans les annuaires. La catégorie de psychanalyste en formation ne lève en rien l'objection, si on admet qu'on ne peut préjuger du passage au psychanalyste ;

? certains psychanalystes, que personne pourtant ne songe à interdire, n'obtiennent jamais de figurer sur ces fameux annuaires avec la mention " psychanalyste ".

Plus grave cependant, une telle disposition accroîtrait la tendance " naturelle " des associations à sélectionner les analystes en fonction de leur conformation au groupe et susciterait, de la part des candidats analysants ayant eu l'idée de devenir analystes, des plans de carrière tout aussi incompatibles avec ce qui doit faire le ressort de la psychanalyse.

Quelle solution donc ?

Je propose ceci : distinguer a) l'habilitation des associations de psychanalyse à·, b) le statut de psychanalyste. Concrètement, cela veut dire que, sous la condition que les règles soient claires et excluent toute possibilité d'écarter telle ou telle association pour des motifs idéologiques, il pourrait y avoir une habilitation des associations par l'État si celui-ci le souhaite. Cette habilitation consisterait dans la reconnaissance de la capacité de ces associations à assurer la transmission de la psychanalyse (incluse la formation analytique) dans les limites identifiables par la théorie psychanalytique. En revanche, cette habilitation ne saurait avoir pour conséquence un statut du psychanalyste, dont l'extension serait constituée par les fameuses listes ? quand listes il y a. De ce fait, les listes, élaborées d'ailleurs selon des critères très variables, auraient valeur d'information pour le public, mais en aucun cas effet diplômant. Après tout, dans le domaine de l'art et de la littérature, il n'y a pas d'artistes ou d'écrivains labellisés comme tels, même indirectement, par l'État, et la société civile s'avère capable de faire le tri entre le vrai, le faux et le pire. C'est à la psychanalyse de soutenir ce pari, elle l'a fait jusqu'à aujourd'hui, et elle n'a pas d'autre choix que de le soutenir si elle veut rester profane et ne pas se dissoudre dans la psychothérapie.

On objectera peut-être, encore une fois, le risque d'invasion de la psychanalyse par des psychothérapeutes douteux en mal de titre. Mais, justement, s'il n'y a pas de statut, quel bénéfice y auraient-ils ? Quant à se regrouper en associations, les règles de l'habilitation pourraient a minima les en dissuader.

On objectera peut-être aussi : et le peuple des psys ? Il n'y a pas de peuple des psys. Certains psychologues ou psychiatres, ils sont rares, s'autorisent de leur titre pour pratiquer la psychanalyse sans avoir passé par l'expérience analytique. D'autres, plus nombreux, pratiquent, dans des institutions ou en libéral, ce qu'on appelle des " suivis ". Mais ceux-là, quand ils se réfèrent à la psychanalyse, sont eux-mêmes le plus souvent en psychanalyse. Ce serait figer leur rapport à la psychanalyse, et pour tout dire l'annuler, que de vouloir en faire des psychothérapeutes analytiques.

Quant au rapport au " guérir " et aux " soins ", on ne peut l'appréhender sans confusion qu'à la condition de récuser d'abord l'illusion du guérir, c'est-à-dire du retour à une normalité imaginaire. Il convient de considérer que l'allégement qui résulte d'une cure et qui, pour le sujet, change tout, signe la subordination de la pulsion de mort à la pulsion de vie. Or, cela vaut aussi pour les sujets qui, pour emprunter des termes qui ne sont pas les miens, relèvent d'une " pathologie lourde " ; aussi et même peut-être surtout, car l'échec des thérapies (psycho, chimio, etc.) est, dans ce domaine, patent, étant donné que leur action ne vise pas à permettre au sujet de se retrouver dans son symptôme. Cette action, entendons-nous, n'est pas pour autant négligeable. Sa nécessité même souligne que, par principe, la psychanalyse ne saurait être toute-puissante.

Enfin, dernier " nouveau symptôme " : en 1967, Lacan a inventé la procédure de la passe qui a justement pour fonction de juger du passage de l'analysant à l'analyste. Cette expérience, près de quarante ans après, n'est pas uniment satisfaisante, bridée sans doute par le fonctionnement institutionnel, mais même ceux qui y sont hostiles ou indifférents ne contesteraient peut-être pas qu'elle tente au moins de proposer un mode de sélection congruent avec l'expérience analytique. Faut-il, alors, en rire, ou bien, comme me le disait une amie, être en mesure d'en parler tant au ministre qu'au boulanger, faute de quoi en parler entre soi relèverait du chiqué.

 

Paris, le 23 décembre 2003

 

Pierre Bruno

 

 

 

Pierre Bruno est un des initiateurs du Manifeste pour la psychanalyse



Vous pouvez découvrir d'autres de ses propos tenus en plein coeur du mouvement suscité par "l'amendement Accoyer" sur Manifeste pour la psychanalyse, la suite .

Et une interview de lui paru dans l'Humanité le 25 juin 2004
et mis aussi en ligne dans la revue de presse Archives etc, la suite sur psychanalyse en mouvement.

Il dirige aussi la revue PSYCHANALYSE éditée chez ERES

 

 


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