Chaque visage est le Sinaï d'où procède la voix qui interdit le meurtre - Lévinas

Sophie Freud aux éditions Des Femmes

À l'occasion de la parution de son livre

le 22 mai 2008

À l'ombre de la famille Freud

Comment ma mère a vécu le XXème siècle

 

aux éditions Des Femmes

Antoinette Fouque

Sophie Freud en quelques mots... ou un peu plus



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Sophie Freud, un nom, oui, mais surtout une femme, une personne singulière, un être humain qui a traversé un siècle au féminin, et se révèle réellement touchante, alors qu'elle aura pu sembler revêche au premier abord à certains d'entre nous, et qu'elle-même se définit "dure", comme pour contredire son sourire attachant non dénué de tendresse et son oeil malicieux .

Elle n'a pas oublié le français qu'elle a dû un jour bien maîtriser, - n'a-t-elle pas en effet passé son baccalauréat à Nice ?-, mais elle le parle aujourd'hui avec une certaine difficulté. Cela fait partie du charme de sa visite éphémère à Paris, tout en nous rappelant qu'il n'est jamais vraiment aisé de dire la vie ni de parler de soi ...

"Pourquoi ai-je écrit ce livre", demande-t-elle, comme si c'était la question qu'elle attendait qu'on lui pose ?

"Au dernier moment, je me suis dit que je ne voulais pas partir de ce monde sans avoir rapporté les événements vécus dans mon enfance.
Il y a des gens qui disent 'au dernier moment, on écrit les choses comme ça, avant la mort'. Oui. J'ai voulu écrire ce livre et le terminer. Je suis contente de l'avoir fait ."


Et on sent le plaisir intense de l'enfant déterminée qui s'était promis de réaliser une lourde tâche, et qui connaît le bonheur de l'avoir menée à bien.

Elle a 84 ans aujourd'hui.
Quelque chose en elle donne envie dire qu'on la devine accomplie.
Heureuse d'avoir su faire face, heureuse de ne pas avoir fui. La vie.

"J'espère que j'ai ainsi démontré comment la vie est un accident, parce que l'on prend des décisions, une décision plutôt qu'une autre. Ainsi ma mère avait si peur d'être pauvre en Amérique qu'elle est restée à Nice. Ma mère avait moins peur des camps de concentration que d'être pauvre en Amérique! "

Elles sait que ses paroles dont la vérité rappelle celle qui sort de la bouche des enfants ne resteront pas sans effet. Elle marque une seconde de pose et poursuit:

"Après, ma mère est partie en Amérique quand elle a cru que mon père nous 'paierait des aliments'. Mais non, mon père n'a pas donné d'argent. Mais on est parti en Amérique parce que ma mère croyait qu'il allait en donner. Et la dame chez qui nous étions à Nice, elle est morte à Auschwitz, une année après notre départ."

Ainsi raconte-t-elle une succession de hasards.

"Toute la vie est un hasard après l'autre. J'espère que ce sera un message de ce livre. J'avais le but d'être très très honnête, de ne pas embellir les choses. Si j'avais embelli, tout ce projet perdrait le sens. " 

"Le livre est polyphonique...  Il y a des fois où deux  personnes vivent les choses différemment et des fois où deux personnes vivent les choses de façon pareille.
Par exemple, ma mère et moi, indépendamment l'une de l'autre, avons écrit que mon grand-père [1]  donnait du jambon délicieux à son chien. Pas du jambon ordinaire. Mais du jambon acheté dans des magasins spécialement pour lui, le chien. Plusieurs détails, racontés de la même façon, indépendamment, par des gens différents, ça fait une vérité. Que mon grand-père ait donné du jambon très bon à son chien, pas n'importe quel jambon, devient une vérité."


Elle est fière. Fière d'être, fière d'avoir résisté, fière d'avoir envie d'être fière...

Avec un brin de malice, la bonne élève en elle s'amuse:  "Je crois que j'ai écrit ce livre pour montrer tous mes bulletins."

Et la vieille dame "indigne", qu'elle prend plaisir à être, la soutient: "Il y a des gens qui me disait 'si d'autres élèves juives ne peuvent pas entrer dans ce lycée, tu ne dois pas y rester'. Mais je n'étais pas si moralement correcte."

Un silence qui attire la complicité, et puis:

"Je ne crois pas dans la psychanalyse. C'est un luxe narcissique. La psychanalyse je n'y crois pas. "

Mais à ce moment-là on se rappelle qu'elle signe son livre Sophie Freud... Comment croire qu'elle n'y croit pas - pas du tout? Comment ne pas sourire songeur à ce moment-là?
On pense alors qu'elle a du prendre ses distances, pour mieux s'en rapprocher par une autre voie, un autre biais.

La vie est aussi question de survie.

En colère contre les hommes, contre son père ou son grand-père. C'est sa façon à elle de les respecter sans se trahir, de se faire respecter sans les trahir. Un besoin de vérité.
Elle parle du "dysfonctionnement normal" de sa mère, comme plus tard elle parle de la plainte de cette femme dont elle fut la mère peut être encore plus qu'elle ne fut l'enfant. De cette femme, précise-t-elle, qui ne l'a jamais frappée.

"Mon grand-père pensait que la sexualité était au centre des motivations et moi je pense que c'est l'argent."

On ne peut la contredire, mais on lui rappelle que l'argent est au coeur de la psychanalyse.

"Dans ce livre, l'argent a une place primordiale. Il n'y a pas une lettre de ma mère où elle ne parle pas de l'angoisse  de ne pas avoir assez d'argent. "

Et Sophie Freud raconte comment Esti, sa mère devenue âgée, et qu'elle cherchait à rassurer, en lui affirmant qu'elle n'avait plus d'inquiétude à se faire puisque désormais, elle, sa fille, Sophie, pouvait lui venir en aide financièrement,  lui a répondu "laisse-moi me plaindre"....

L'angoisse d'une mère, sa plainte infinie, l'argent, l'affection, l'argent du grand-père à la place de l'affection... L'inconfort de recevoir de l'argent du grand-père... L'impression enfant d'être une banque à qui  les membres de sa famille empruntait l'argent qu'elle s'appliquait à ne pas dépenser, sans doute pour parer à la plainte maternelle, l'aléger ou éviter de la reproduire. La résolution d'une fillette...  L'interdit maternel qui lui était fait d'avoir des relations chaleureuses avec sa grand-mère et sa tante... La stabilité qu'elle suppose des ménages à trois ... Le sexe... la sexualité ... Le rôle de la sexualité ou de son absence dans la famille du grand-père. L'étrangeté des rapports analytiquement incestueux... Les voix de la mère et de l'enfant qui se mêlent et se mélangent... La dépression maternelle en l'absence de l'enfant, la responsabilité de la fillette vis-à-vis de sa mère... La sévérité de la fillette devenue mère, la touchante sincérité de la vieille dame qui a besoin aujourd'hui encore plus que tout de (sa) vérité... Les souvenirs parsemés ...  On ne peut pas tout dire ici... Il ne s'agit pas d'être d'accord ou pas, mais d'être à l'écoute de la vie.

C'est après l'avoir écoutée, l'avoir lue, l'avoir entendue qu'on comprend que ce qu'elle avait à nous dire était important.
La vie.
La vie en face.

Et puis:

"Je crois que j'ai plus de sympathie pour ma mère et mon père et mon frère. Je suis plus bienveillante envers ces personnages difficiles qui avaient des vies difficiles, après ce livre. Même, pour mon père "

"Ma nièce, la fille de mon frère, à Londres, m'a dit que j'avais écrit ce livre pour elle, parce qu'elle a compris 'pourquoi son père était difficile."

Enfin : "J'étais fâchée avec mon père, maintenant je ne suis plus fâchée. Je crois que tout le monde fait le meilleur de lui-même avec ses capacités.", conclue Sophie Freud. Apaisée et ... bienveillante.

Mission accomplie. Transmettre, apaiser, rendre la vie un peu plus aimable.


Sa vie, son livre?  Une proposition autre que la psychanalyse, mais une proposition qui permet à une fille devenue mère de s'affirmer à son tour sujet.

Ne pas céder. Faire entendre sa voix. Assumer sa part de responsabilité. Ne serait-ce qu'en cela, elle est bien l'héritière du principal fondateur de la psychanalyse.

Quand on sait qu'elle s'appelle Sophie, et que Freud a perdu sa fille aînée, qui, comme elle, s'appelait Sophie, on se dit que si ce devait être un effet du hasard, ce serait d'un hasard chargé de sens,  à l'instar de sa résistance...    

"Que veut la femme?" se demandait Freud .

"Une place à part entière", telle pourrait être la réponse que nous proposerait Sophie Freud à travers ce livre, s'affirmant ainsi femme à travers sa propre mère mais aussi toutes celles de sa lignée ...



Virginie Megglé
Mai 2008

 

Note

[1] Rappelons ici que ce grand-père est Sigmund Freud







À l’ombre de la famille Freud

De Sophie Freud

aux éditions Des Femmes
Traduit de l’allemand par Nicole Casanova.

 

15/05/2008
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