...fellini.huitetdemi.godard.lemépris.polanski.lepianiste.jarmush.deadman.joëlethancoen.fargo.visconti.lesdamnés.josephlosey.theservant.joycemcbougal.carlgustavjung...

Archives, etc... 2008

Archives etc 2008


Nous livrons à votre sagacité tous ces textes de provenances différentes qui tous comportent au moins une fois le mot psychanalyse ou psychanalyste... que ce soit pour louer cette "discipline", en soutenir le bien fondé, l'accuser, la remettre en question ou proposer de la jeter au pilori...


C'est aussi une façon de l'aborder, une façon de la comprendre ou de percevoir comment elle est comprise, reçue, utilisée...

La psychanalyse en ligne, dans la presse et sur le web:à l'occasion d'évènements politiques, artistiques ou culturels

 

       

La psychanalyse et des écrits de psychanalyse ou de psychanalystes parus dans la presse et sur internet .... Regards, réflexions, expressions... Réactions ... propositions ... et autres intentions ... Comment la psychanalyse est-elle perçue dans la presse écrite, par la presse écrite, et comment se laisse-t-elle percevoir à travers la presse... Où se situe-t-elle? Où s'immisce-t-elle? Comment s'exprime-t-elle?

 

Archives... etc, 2008... Dans le même esprit que les années précédentes, vous trouverez, ci-dessous, de nombreux articles et autres propos, parus dans la presse papier ou mis en ligne par le support d'origine, en relation avec la psychanalyse. Qu'elle y soit évoquée comme simple référence ou abordée de façon plus substantielle. Ces articles rendent compte de son actualité et des réflexions qu'elle soulèvent, comme des mouvements qui la traversent, des humeurs qui l'agitent... et des débats qu'elle suscite. Moins nombreux qu'ils ont pu l'être jusqu'ici, depuis 2003, à la suite de "l'affaire de l'amendement Accoyer", ils ont retenu notre attention au hasard du fil de nos lectures. Nous les portons à votre connaissance sans aucun dessein d'exaustivité. Ni partialité ni impartialité! Faire-part ou invitation au partage... S'ils vous étonnent, vous interrogent ou vous surprennent, n'hésitez pas à communiquer à votre tour vos réactions ... L'ordre de présentation, dépendant de celui de nos lectures, ne respecte pas toujours la chronologie ... Les dates de publication mentionnées restent les meilleurs repères. Il n'est pas impossible qu'un article se retrouve en double... Sautez-le, passez au suivant, ou ... prenez le temps de le lire une seconde fois .... Pourquoi pas? A quoi bon nous en tenir rigueur... ? L'ensemble de ces articles peut permettre, nous semble-t-il, à tout un chacun de se faire une idée de la spécificité de la psychanalyse, de la richesse de son apport. De sa place et de son rôle aujourd'hui, dans le monde "psy", comme dans un cadre de la vie sociale et culturelle. De ses limites aussi. Ou de ses risques? Oui. Et pourquoi pas, des dissensions et autres travers qui animent certains psychanalystes ou certains adversaires de la psychanalyse, détenteurs de Vérité ou partisans de la suprématie absolue et définitive d'une pratique sur une autre! Autrement dit, cette lecture peut être envisagée comme un reflet de ce que la psychanalyse est susceptible d'apporter... à chacun ... sans pouvoir le garantir. Et puis... ces articles, à titre d'information préventive, peuvent être abordés comme autant d'éléments d'une protection au moins aussi valable que celle proposée par l'auteur d'un texte de loi qui nous semble, mais pourquoi pas, opportuniste... et non garant véritable de quoi que ce soit ... A chacun de le dire, de le vivre, de le lire, de l'écrire, de le ressentir. À chacun d'aller pour le mieux et pour son bien à la rencontre de l'inconnu en soi. Les lois essentielles sont, que nous le voulions ou on, déjà écrites. À chacun de les découvrir et de les respecter... C'est le plus souvent suite à une de leur inavouable ou inavouée transgression que l'on a recours à la psychanalyse... Puisse la lecture de ces propos confirmer la nécessité de s'entendre avec l'esprit des lois, et encourager le lecteur à mieux les respecter

 

Les articles qui suivent sont le résultats de nos récoltes entre Janvier 2008 et juin de la même année. Cela ne veut pas dire qu'ils sont tous parus durant cette période. Bien que cela s'avère la plupart du temps...

 

 

 

-------------






Isabelle Adjani : "Je suis une battante".

SES ABSENCES ET SES RÉAPPARITIONS, SA GLOIRE OU SON DÉSARROI, TOUT EN ELLE NOUS INTÉRESSE. ELLE A AIMÉ ARDEMMENT, QUITTE À S’OUBLIER. C’EST TERMINÉ. LA NOUVELLE ADJANI, CELLE QU’ON DÉCOUVRIRA DANS FIGARO (1), À LA TÉLÉVISION LE MOIS PROCHAIN, EST UNE FEMME RÉCONCILIÉE QUI NOUS LIVRE UN BOULEVERSANT TÉMOIGNAGE.

Paru le 22.12.2007, par Richard Gianorio

Une odeur de feu de cheminée, un salon spacieux, les tableaux sont encore au sol : Isabelle Adjani vient d’emménager dans cet appartement aux tons sourds, le blanc, le grège, le brun. Le rouge aussi. Uma, le shihtzu amical, trotte nonchalamment. Gabriel Kane, son fils, presque un adolescent, encore un enfant, s’excuse de prendre un appel – dans un américain courant – sur son téléphone portable, puis vous fait remarquer avec fierté qu’il possède les yeux bleu marine et les pommettes saillantes de sa mère.

Dans un moment, Stéphane, le compagnon d’Isabelle Adjani, rejoindra la petite tribu. Sa petite fille Emma, née d’une autre union, somnole sur le canapé. Dans les pots, des orchidées refleurissent. La maison du bonheur ? Si la femme est désormais ancrée dans une quiétude familiale qui lui va bien et rassemblée dans une paix ardemment souhaitée, l’actrice reste aux aguets : Isabelle Adjani, c’est dit, n’autorisera plus que le mauvais sort, la mélancolie ou la négligence l’empêchent de travailler. On ne l’y reprendra plus.
Trois comédies sont en cours d’écriture, des reprises revisitées de Gainsbourg attendent, mais on la retrouve tout de suite, le mois prochain, dans Figaro, un téléfilm de prestige sur France 3, de et avec Jacques Weber, une adaptation librement inspirée de Beaumarchais dans laquelle elle joue la comtesse Almaviva.

Cet après-midi-là, Paris semble moins gris quand on est assis dans sa cuisine, suspendu à sa parole. On n’interviewe pas Isabelle Adjani : on partage un moment avec elle, sa compagnie délicieuse, sa sensibilité bouleversante et son humour ravageur. C’est la même, avec ses sourires de petite fille abandonnée, ses postures de reine en exil, cette humilité jamais calculée et cette lucidité implacable qui fait qu’elle analyse tout avec la justesse saisissante de ceux qui pratiquent l’introspection psychanalytique. Et cette langue, si belle : Isabelle Adjani parle comme un roman. Écoutez-la.


"J'adore l'amour tel qu'il est décrit dans les romans de Sagan"

« Cette forme de libertinage, très littéraire, le côté amoral de l’époque et cette valse : on prend un amant, on en est folle, on le quitte pour un autre, on le retrouve. Mais je suis exactement à l’opposé de tout ça : cette insouciance ne me ressemble pas du tout. J’ai beaucoup aimé les hommes habités, trop habités même : parfois toutes les pièces sont prises, c’est complet, il n’y a plus de place pour vous (elle rit), cette race d’hommes qui appartiennent à la mystique de la nature ou du poète, des gens mystérieux et “incaptables”.

Mon type d’homme, c’était Heathcliff des Hauts de Hurlevent. Il est devenu un songe très lointain, même si je peux ressusciter son essence à travers des interprétations puisque c’est tout ce qu’on aime dans les livres, dans la peinture, dans les films : l’art est fait de ces dérèglements. J’espère ne jamais perdre le caractère passionnel de l’amour dans le jeu, pouvoir jouer des personnages qui puissent encore – même si c’est un attribut de la jeunesse – avoir de l’amour fou à exprimer. Mais à vivre, c’est terminé totalement. Cette juvénilité amoureuse, c’est du romantisme à l’état pire, à l’état pur pardon… (Elle rit de son lapsus.)

Aujourd’hui, je pense que ce dont je ne me suis pas rendu compte – je n’ai pas voulu l’admettre plus exactement –, c’est que lorsqu’on est violemment distrait par sa vie amoureuse, c’est-à-dire plongé dans des tourments, on ne peut absolument pas penser à soi et à son travail. Je me situe exactement dans l’antithèse : je veux me concentrer sur mon travail. Ce qui m’importe, c’est la paix. »


"Je l'ai souvent dit, il y avait plus romanesque dans ma vie que dans mon travail"

« Paix du ménage, paix chez soi, paix en soi, qu’on me fiche la paix, qu’on protège ma paix. Sans cette paix, je ne peux envisager une relation. Les amours dérangées dérangeantes, c’est fini, et j’en suis heureuse. La déflagration amoureuse, je l’ai remisée dans les livres. Il n’y a aucune nostalgie. C’est vécu, bien, mal vécu, mais entièrement vécu. Je ne veux pas être dérangée dans ma paix.

Je cite encore Sagan : “Quelqu’un qui vous aime est quelqu’un qui vous veut du bien.” Il faut s’arrêter à cette phrase. J’envie les femmes qui comprennent ça très jeunes. Une jeune fille qui sait ça est une jeune fille sage, trop sage peut-être dégoûté sur une histoire. Ça ne m’est arrivé qu’une seule fois, Dieu merci. Au final, ce qui est le plus beau, c’est de pouvoir dire à son enfant, quand les parents sont séparés : “Ton père est celui que j’ai le plus aimé au monde.” Et lui garantir cet amour qui l’a fait naître.
C’est ce que je dis à mes deux fils, dont les pères sont deux hommes que j’ai énormément aimés. À moi, mes parents ne m’ont rien dit. Ce n’est pas une accusation, ils m’aimaient, mais c’était pour eux une impossibilité culturelle et sociale que d’exprimer cet amour. Quand j’ai débuté, adolescente, comment croire ces étrangers qui répétaient que j’étais magnifique alors que je ne l’avais jamais entendu avant ? Les ailes de l’albatros étaient rabotées et, en même temps, je savais – je l’ai toujours su – qu’une autre vie m’attendait.

Enfant, j’ai partagé le mal mal-être de mes parents, ce mal-être de se retrouver dans une vie dont ils n’avaient pas eu la maîtrise, de se laisser faire, de se laisser imposer un destin. Je me demande souvent à quel moment ils ont décidé que c’était leur sort de s’effacer. Pour moi, l’image la plus forte dans le peu de choses que l’un et l’autre m’ont racontées, c’est l’image de ma mère enceinte de moi quand ils ont été engagés par des gens aisés pour partir aux États-Unis, ma mère comme femme de chambre, mon père comme chauffeur jardinier.

C’est mon Sabrina à moi (elle rit). Tout était réglé, ils devaient prendre le bateau pour New York, mais ma mère a eu peur à la dernière minute et a convaincu mon père de renoncer. Cette passerelle, ils ne l’ont jamais fait exister, et je sais – rien ne me prouve que ce que j’avance est vrai mais je le sais au fond de mon être –, je sais que c’est là que tout s’est joué, ils ont abandonné, le rêve était perdu. L’idée qu’ils aient pris cette décision quand j’étais dans le ventre de ma mère… Je me dis que, malheureusement, je n’ai pas dû perdre une miette de la conversation ! (Elle sourit.) Cette image de mes parents me bouleverse… »

"L'histoire de mes parents aurait pu me donner la rage"

« Mais quelque chose a mal fonctionné (elle rit), je n’ai jamais été dans la revanche sociale. Ce que je crois intimement, c’est que cette passerelle que mes parents n’ont pas empruntée, j’ai l’impression de l’avoir mise en place à la naissance de Gabriel Kane, mon second fils. Son père est anglais, il est né à New York. Ce n’est sans doute pas innocent. Je lui ai transmis l’héritage positif du rêve perdu de ses grands-parents. C’est une façon de rompre avec la dépression familiale, avec ce côté “Je n’y arriverai pas” qui a tant pesé sur mes épaules, cette fatalité dont il faut s’extraire pour vivre.

Mon fils, lui, a l’énergie de tous les possibles. J’ai moins favorisé ça chez l’aîné, à qui j’ai transmis mes hésitations. C’est un artiste, un musicien, j’ai confiance en lui, je sais qu’il fait exister son désir et je ne crois pas qu’il se pose de mauvaises questions. J’ai conservé intacte, aussi, une joie de vivre, pas au point d’en être aristocratique, comme ces gens qui disent qu’ils vont très bien alors qu’ils sont à l’agonie. Cela demande beaucoup de courage et de force de ne pas s’affaler dans la confidence.
Mais j’ai autre chose à faire aujourd’hui : m’organiser est le maître mot. Quand vous êtes organisée, vous trouvez le temps pour tout. Le temps n’est pas mon ennemi, mais il y a toujours eu une grande incompréhension entre lui et moi. Lorsque l’on a vécu comme moi sans l’esprit de propriété, sans tout ce qu’il faut d’enracinement, cela donne l’impression d’un éphémère permanent. L’éphémère n’est plus une menace d’arrêt ou d’interruption, c’est une permanence infinie.

Tant que vous ne vous êtes pas posée, c’est que vous n’avez pas trouvé, vous êtes donc en quête, vous marchez, agile, légère, la vie reste devant vous. Je suis partagée en moi entre celle parfaitement ancrée dans la vie réelle, celle qui n’a jamais failli à son rôle de chef de famille étendue, et l’autre, celle qui n’aime que les moments dématérialisés que la société d’aujourd’hui juge parfaitement inutiles : le temps du recueillement, le temps du chagrin ou le temps du rêve. »
(1) Figaro, de Jacques Weber, sur sur France 3. Diffusion en janvier 2008. 




Madame Figaro
-----



La lutte contre la dépression rallume la guerre des psys
Par Julia Pascual (Etudiante CFJ)    19H32    02/01/2008

Pour les psychanalistes, la récente campagne du gouvernement fait la part trop belle aux théories comportementalistes.


En octobre 2000, à Paris (Flore-Ael Surun/TF)

Personne n'a pu y échapper. Au détour d'une rue, d'une pub à la télé, à la radio ou chez le médecin, la campagne du gouvernement contre la dépression vous est forcément tombée dessus au cours du mois d'octobre. C'est la première opération massive de prévention publique en la matière. Panneaux grands formats, spots multiples, site Internet et 500000 exemplaires d'un guide dispatchés en France, à l'attention des professionnels et de leurs patients.

(DR)"Dépression: savoir plus pour en sortir": le ministère de la Santé et l’INPES (Institut national de prévention et d’éducation pour la santé) ont déployé d'importants moyens pour, in fine, provoquer une nouvelle fronde des psychanalystes. Constat de départ du guide:

    "Il existe une maladie qui touche plus de 3 millions de personnes en France, une maladie qui peut vous empêcher de parler, de rire, de manger, de travailler, de dormir ou de vous lever le matin, une maladie qui peut vous empêcher de vivre, cette maladie, c’est la dépression."

De prime abord, l'initiative du gouvernement a l'air consensuelle. Mais pour beaucoup de "psy", il est impossible de concevoir la dépression comme une maladie, ce qui encourage l'usage de traitements médicamenteux tout en jetant le discrédit sur des pratiques telles que la "psychothérapie".

Bref, la campagne fait réapparaître la grande fracture qui divise le monde des "psy" et qui oppose les tenants de la psychanalyse (freudiens, lacaniens) aux héritiers de l'association de psychiatrie américaine (appelés comportementalistes et cognitivistes).

(DR)Les premiers accusent les seconds d’avoir glissé dans la campagne gouvernementale leur idéologie biologisante, médicalisante et normalisante. Les seconds se défendent d'avoir la mainmise sur la campagne.

Jacques-Alain Miller, philosophe et psychanalyste (gendre de Jacques Lacan et qui revendique le monopole de son héritage intellectuel) s'est posé en chef de file d'une virulente contre-campagne au sein de sa revue Le Nouvel Âne et à travers des colloques intitulés "Résister aux cognitivistes" (il n'a pas souhaité répondre à nos questions).

La guerre intestine au "monde psy" relève d'un débat d’experts difficile à vulgariser, mais qui a des conséquences concrètes sur la manière dont on appréhende l’homme, sur l’importance qu'on accorde au psychisme dans ses souffrances et sur les solutions que l'on apporte à son "mal-être".

Les lacaniens/freudiens centrent leur travail sur le sujet et sur l’origine inconsciente et traumatique de ses problèmes. Ils promeuvent la psychanalyse, au cours de laquelle l'individu use de la parole pour aborder ses problèmes.

A l’inverse, les comportementalistes n’interviennent pas sur les origines des maux, mais travaillent au traitement des symptômes qui en découlent. Ils s’appuient sur des classifications médicales établies par la psychiatrie américaine à travers un manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV). Leur courant est lié à l’apparition et au développement des traitements psychotropes.

Lilia Mahjoub, présidente de l’Ecole de la cause freudienne et membre du conseil de l’association mondiale de psychanalyse, porte un regard critique sur la campagne du gouvernement:

    "La dépression devient une sorte d’entité fourre-tout où les 'malades' sont incités à consulter leur médecin généraliste pour que celui-ci leur prescrive des antidépresseurs."


Marie-Jean Sauret est psychanalyste et professeur de psychologie clinique à l'Université de Toulouse II le Mirail:

    "Tout ça part d’un préjugé: c’est l’organisme qui détermine le comportement. Le guide affirme que la dépression est une maladie. Alors on donne des médicaments, les symptômes disparaissent et on vous dit: 'Vous voyez que c’est biologique.' Or on ne sait pas s’il existe une maladie.

    "L’humain doit parler, donner un sens à ce qu’il vit. La dépression survient dans le rapport au monde du sujet. Les médicaments ne rendent pas au sujet un sens à sa vie même s’ils tamponnent son angoisse, sa fatigue, son agressivité, même s’ils inhibent ses symptômes. Personne n’est réductible à son organisme."

Colette Soller (J.P./Rue89)Colette Soler appartient à l’Ecole de psychanalyse des forums du champ lacanien. Elle estime que la campagne de prévention est une "campagne de production de la dépression":


Pour elle, "cette campagne est la pointe de l'iceberg (…) d’un mouvement idéologique scientiste et réducteur (dans lequel) la psychanalyse est directement ciblée":


Le débat dépasse la simple critique faite à la campagne de prévention. Pour Marie-Jean Sauret, la montée en puissance des idéologies comportementalistes et cognitivistes est révélatrice d'une évolution plus globale de la société. Une évolution qui expliquerait, en outre, la multiplication des passages à l'acte suicidaires et des états dépressifs:

    "Dans le monde contemporain, il y a une montée surpuissante de la dépression. Elle sera bientôt la première cause de décès chez les jeunes. Ça traduit notamment le rejet d'une société de surconsommation. L’individu n’accepte pas que le désir soit capté par la consommation d’un objet. La dépression est alors la protestation logique du sujet contre la façon dont le monde contemporain le traite. C’est une manière de sauver sa singularité. Le capitalisme a besoin de réduire l’homme à un objet du marché. Nous sommes formatés: on veut la pilule du bonheur, il n’y a plus de place pour l’inconscient."

Jean Cottraux est psychiatre. Il est l’un des auteurs du "Livre noir de la psychanalyse" (2005), un ouvrage qui contredit les théories psychanalytiques et qui a marqué la montée en puissance de la thérapie cognitivo-comportementale (TCC) en France. Pour lui, la campagne du gouvernement est tout à fait "neutre":


Aude Caria est également l’une des auteurs du guide. Psychologue et responsable de la Maison des usagers du CHU de Saint-Anne, elle s’étonne de la polémique suscitée par l’ouvrage:

    "Je ne reconnais pas ce qui est reproché au guide. Jacques-Alain Miller est parti en croisade. Il attribue au guide et à ses concepteurs des intentions qu’ils n’ont pas eues. La seule philosophie du guide est celle d’avoir une vertu pédagogique."

Selon elle, le guide ne donne en aucun cas la préférence aux traitements médicamenteux:

    "Le guide ne dit pas: allez demander du Prozac à votre médecin. (…) La place de la psychothérapie est clairement reconnue et si le guide revient souvent sur le rôle des médecins généralistes, c’est parce qu’ils sont les premiers prescripteurs d’antidépresseurs. (...) Est-ce que ça médicalise la dépression? Oui, en quelque sorte… Mais qui aller voir sinon? La loi du médecin référent oblige à passer par son généraliste."

    * dépression
    * psychanalyse
    * psychologie
    * santé

Lu dans rue 89



-------

LIBÉRATION



Société

Chez les psys, le casse-tête de l'amendement Accoyer
Santé. Censé réglementer la profession, le texte de 2004 rajoute de la confusion.
 ÉRIC FAVEREAU 
QUOTIDIEN : jeudi 27 décembre 2007

Et c'est reparti. L'année 2008 sera à nouveau une année… Accoyer, du nom certes du président de l'Assemblée nationale mais surtout de l'auteur d'un amendement vieux de trois ans, autour de la psychothérapie. Un amendement qui a provoqué une ébullition chez les fils de Sigmund Freud comme rarement l'histoire en a connu. En accord avec le président de l'Assemblée, la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, a en effet décidé de boucler le dossier. Se donnant pour tâche de sortir «rapidement» des décrets d'application de l'article 52 de la loi du 9 août 2004.

Un bien beau défi… Car comment régler une aventure législative absolument confuse ? Tentons quelques repères.

En 2004, simple député de Haute-Savoie, le bon docteur Accoyer s'est donc découvert un combat : il a voulu «en finir avec les escrocs de l'âme qui s'autoproclament psychothérapeutes, qui installent leur plaque en bas de chez eux, et trompent les malheureux». Louable intention, mais notre député a manqué un peu de finesse dans sa démarche. Et cette   lourdeur initiale a été fortement relayée, ensuite, par les différents ministres de la Santé qui ont eu à traiter la question, de Jean-François Mattei à Philippe Douste-Blazy, puis Xavier Bertrand.  Tous ont sorti leurs gros sabots, bousculant sans ménagement des questions éternelles. Fallait-il par exemple inclure les psychanalystes dans le terme de psychothérapeute ? Avec le risque que les fils de Freud, par nature rebelles à l'Etat, se révoltent  . Ensuite, comment définir une formation minimum ? Etait-ce à l'université de le faire, ou fallait-il faire confiance aux instituts privés ? Comment, de plus, ne pas se laisser emporter par des conflits entre une psychologie très biologisante et une autre, centrée autour de la parole ? A cela s'ajoutait un contexte tendu autour de la problématique de l'évaluation. La vie, le sens de la vie, peut-il ainsi s'évaluer ? Qui peut parler à la place de l'autre ? 

Guerres intestines. Bref, ce n'était pas simple. Et le résultat a été à la hauteur de la tâche : totalement confus. Et violent. D'abord, c'est le milieu psychanalytique qui est monté au créneau, hurlant au scandale, «l'Etat voulant légiférer leurs pratiques rebelles». Ensuite, les différentes écoles de psychothérapie se sont écharpées sur la longueur et le contenu des études imposées. Après de nombreux colloques, guerres intestines et débats, un article de la loi a été voté, puis remodelé, puis revoté. Et au final… une mauvaise loi en 2004.  «Mais voilà, le texte voté est inapplicable, car il est absolument contradictoire», a remarqué  aussitôt le sénateur socialiste Jean-Pierre Sueur. Et comment lui donner tort ? Dans un alinéa, il est dit que «tout médecin, psychologue diplômé ou psychanalyste peut se prévaloir du titre de psychothérapeute». Puis, dans un autre, il est stipulé au contraire que «tout professionnel - médecin, psychanalyste, psychologue, psychothérapeute - doit suivre une formation en psychopathologie pour se prévaloir d'un titre». Le tout et son contraire.

Même le Conseil d'Etat s'en est ému, critiquant la loi, refusant de signer les décrets. Et, dans un des nombreux avis qu'il a rendus, il a juste concédé que «l'on peut supposer que l'intention du législateur était de subordonner l'inscription à une liste de psychothérapeutes à une formation de psychologie clinique». En somme, tous ceux qui veulent se targuer du titre de psychothérapeute doivent avoir une formation de psychologie clinique, tel était le souhait caché du législateur. 

«Attendez, il faut reprendre la concertation, et voir si tout cela est bien nécessaire», explique, aujourd'hui, Jean-Pierre Sueur. Cette prudence n'est pas partagée par Bernard Accoyer, devenu entre-temps président de l'Assemblée. «Je ne laisserai pas tomber. Pour rien au monde, je veux attaquer la psychanalyse,  qui me paraît une des démarches intellectuelles les plus fortes. Mais pour autant je ne veux pas que n'importe qui se déclare psychothérapeute.» La ministre de la Santé, que l'on dit proche du monde analytique, a bien entendu. Un groupe de travail vient d'être mis en place pour rédiger les décrets. Objectif : des décrets en janvier. «L'idée est qu'il y ait des commissions départementales d'agrément. Le diplôme de psychologie clinique, qui sera exigé pour user du titre de psychothérapeute, ne sera pas que le fait de l'université. Des instituts pourront passer contrat», dit-on auprès de la ministre.Quant aux psychanalystes qui ne veulent pas se servir du titre de psychothérapeute, nul besoin d'homologation officielle pour exercer. 

Mandarins. Cela sera-t-il suffisant pour éviter le démarrage de nouvelles hostilités ? «Ne vous inquiétez pas, ironise un bon connaisseur du dossier, s'ils veulent rouvrir le débat, cela va partir dans tous les sens.» D'autant que Jacques-Alain Miller, figure de proue des lacaniens, a décidé de lancer de son côté une nouvelle bataille. «Depuis quelques temps, les mandarins de l'université sont en train d'expulser de leurs rangs les psychanalystes. Notre réponse va être terrible…»


Libération

 

-------------

Jacques Brosse, la fin d’une quête
Disparition. Ami de Camus et de Lévi-Strauss, le philosophe et historien des religions est mort jeudi à 86 ans.
Robert Maggiori
QUOTIDIEN : lundi 7 janvier 2008
1 réaction 

La vie et l’œuvre de Jacques Brosse ressemblent à un essaim d’expériences diversifiées, qui sont autant de façons d’aller à la «quête de soi». De cette quête, il a fait sa bannière, peut-être sa croix, se trouvant obligé de déborder le cadre de la raison pour atteindre le «moi profond», l’âtman, cette âme dont il pensait, comme Platon, «qu’elle s’en va vers ce qui lui ressemble, l’immatériel et l’invisible, le divin».

De fait, il n’est guère aisé de dire qui «est» Jacques Brosse. Un historien des religions dont l’œuvre, comme celle de Claude Levi-Strauss, Norbert Elias ou Léopold S. Senghor, a été recompensée par le prestigieux prix Nonino ? Un philosophe, ami de Camus et de Lévi-Strauss, dont le premier livre, l’Ordre des choses, est préfacé par Gaston Bachelard ? Un écrivain, un poète, un éditeur, le voyageur des terres orientales et sud-américaines, l’expérimentateur, sur les conseils d’Henri Michaux, des drogues hallucinogènes ? Un moine zen, disciple du maître japonais Deshimaru ? Un sinologue ? Un botaniste, auteur d’ouvrages traduits dans le monde entier, tels la Magie des plantes ou la Mythologie des arbres ?

Il est sans doute «l’homme qui a emprunté toutes les voies» : celle de l’existentialisme de Kierkegaard au début, de la pensée de Bergson, Jakob Boehme ou Heidegger, celle, plus ésotérique, de l’«initiation suprême» à l’ordre martiniste, celle de la psychanalyse, du chamanisme, de la méditation bouddhiste… La vie vagabonde de ce «naturaliste zen» s’est achevée jeudi dernier. Jacques Brosse avait 86 ans. Il voulait connaître la plus haute des sagesses, la sérénité - voire cet Eveil que Bouddha lui-même connut sous l’arbre de Bodhgaya.

Jacques Brosse a publié notamment le Retour aux origines (chez Plon, collection Terre humaine, en 2002) et l’Univers du zen : histoire, spiritualité et civilisation. Sorti en septembre dernier, Pourquoi naissons-nous et autres questions impertinentes (chez Albin Michel) peut être considéré comme son testament intellectuel.

Libération


-------------------------

Jacques Brosse
LE MONDE | 26.01.08 | 15h07  •  Mis à jour le 26.01.08 | 15h07

crivain, moine bouddhiste et défenseur de la nature, Jacques Brosse, mort jeudi 3 janvier à l'âge de 85 ans, fut à la fois un mystique et un naturaliste, un historien des spiritualités et un précurseur de l'écologisme.

Né à Paris le 21 août 1922, il fait des études de droit et suit les cours de philosophie de Jean Wahl à la Sorbonne au début des années 1940, en même temps qu'il étudie le chinois à l'Institut des langues orientales. Réfractaire au service du travail obligatoire (STO), il est interné en Suisse.


Après la guerre, il se lie d'amitié avec Albert Camus, qui publie son premier texte, et avec Gaston Bachelard, qui préface son premier livre. En 1947, il part pour deux ans à New York comme correspondant de la radio aux Nations unies.

Six ans plus tard, avant d'épouser la romancière Simone Jacquemard, il entre aux éditions Robert Laffont, où il restera jusqu'en 1981. Ami de Marcel Jouhandeau et de Jean Cocteau, il publie sur ce dernier un livre (1970) dans lequel il insiste sur la poésie d'essence religieuse et la "prédisposition au surnaturel" de l'auteur des Enfants terribles.

Esprit curieux et passionné de connaissance, Jacques Brosse suivit un long itinéraire intérieur qui le mena de l'ésotérisme et des Rose-Croix durant son adolescence aux sagesses orientales en passant par la psychanalyse (il publiera même une étude psychanalytique sur Hitler en 1972) et l'usage expérimental des drogues, avec Henri Michaux et Allan Watts. Initié par le maître Taisen Deshimaru, il est ordonné moine bouddhiste en 1975 (et publie Satori en 1976).

Il élargira ensuite son horizon spirituel. En témoignent maints ouvrages comme Les Maîtres spirituels (1989), Zen et Occident (1992), ou encore ses traductions et sa biographie du moine-poète du XIIIe siècle Dôgen (1998).

Mais l'autre grande vocation de Jacques Brosse, nullement contradictoire avec la première, c'est la défense de la nature et la réflexion sur les rapports que l'homme entretient - ou non - avec celle-ci. Membre actif à partir de 1953, avec son épouse, du Centre de recherches sur les migrations des mammifères et des oiseaux du Muséum d'histoire naturelle, il a contribué à la sauvegarde ou à la création de plusieurs réserves naturelles.

Auteur de L'Ephémère (1960), suite de méditations au fil des jours, et d'un Inventaire des sens (1965), il publie en 1976 L'Homme dans les bois, essai dans lequel il intègre son expérience religieuse et son amour de la nature. Viendront ensuite Mythologie des arbres (1989), Le Chant du Loriot ou l'Eternel instant (1991), L'Arbre et l'Eveil (1997)...

En 2007, c'est sous une forme interrogative - Pourquoi naissons-nous et autres questions impertinentes ? (Albin Michel) - qu'il mit un point final à une oeuvre dont la sagesse ne se figea ni ne s'arrêta jamais à des certitudes toutes faites.



Patrick Kéchichian

21 août 1922
Naissance à Paris
1947
Séjour à New York
1953
Entre aux éditions Robert Laffont
1975
Ordonné moine bouddhiste
1976
Publie "L'Homme dans les bois"
3 janvier 2008
Mort à Paris


http://www.lemonde.fr/

---------------------

Le monde de la peur

Dans une précédente note j'ai insisté sur l'importance de la peur dans nos sociétés. Un auteur comme Freud avait bien compris l'importance de celle-ci. Pour cette raison il me semble que le vrai succés de la psychanalyse s'explique par le fait que ce savoir a cherché à travailler sur la culpabilisation.

En effet, il y a deux sortes de peur : celle que l'autre instille en nous et celle que nous nous créons en nous-mêmes. La culpabilisation est une forme de peur interne.

D'ou vient cette peur ? Les philosophes ont pour habitude de faire naître celle-ci avec l'auteur anglais Hobbes.

Pour lui, il s'agissait de prouver que l'homme était un loup pour l'homme. En écrivant cela,il voulait signifier que l'homme n'était pas fait pour vivre en groupe mais pour vivre au contraire en se protégeant du groupe. Hobbes serait l'inventeur de ce que l'on appelle l'individualisme.

Dans l'histoire de la pensée, un autre auteur - trés en vogue chez nous- qui s'appelle Epicure avait également pronosticé cette nécessité de se protéger des autres hommes. Mais il croyait au groupe d'amis, au repli sur la sphère amicale. L'amitié était ainsi un moyen de compenser la peur de l'autre.

Nous avons abandonné l'idée d'amitié, nous avons remplacé l'hospitalité par la tolérance, le courage par le patriotisme, etc...Nous avons tout réduit. La psychanalyse et les médicaments sont devenus - avec l'art de masse(cinéma, télé, musique)des moyens de supporter ce monde de peur de l'autre.

L'histoire nous explique la raison d'être de cette peur  : ce que l'on appelle le déclin des cités et l'avènement des Empires. Le jour ou les hommes cessent ainsi d'avoir le pouvoir politique en mains et que ce pouvoir appartient à des despotes. Ce jour là la peur domine...La peur est le principe du despotisme écrira alors Montesquieu dans l'esprit des Lois.

Nous avons peur, parceque nous n'avons plus réellement les moyens de constituer et de créer notre vie politique, nos lois....Il faudrait donc réinventer des moyens pour faire en sorte de nous donner les moyens de re-créer le lien social par nous-même ? Nous ignorons encore comment faire mais si nous faisions en sorte de développer la recherche, le dialogue en ces domaines, des solutions apparaitraient et je suis persuadé alors que nous aurions moins besoin de ces médicaments, de ces échappatoires.

Mais nous avons aussi peur de la politique car nous avons la stupidité de lier celle-ci à la révolution, au terrorisme et à la violence....Est-il possible de revenir et de re-construire ces quetions ? Tant que la discussion est possible, ces reconstructions sont envisageables...D'ou sans aucun doute la nécessité de faire revivre des lieux ou l'on parle vraiement. Mais parler ce n'est pas bavarder. C'est toujours associer une phrase à une idée et une idée à un argument. Contredire et répondre c'est alors emettre une autre idée et donner des contre-arguments à ceux qui ont été énoncés.

En conclusion pas de remise en cause de nos problèmes si nous ne réapprenons pas à parler, à échanger...

A bientôt et merci à ceux qui sont fidèles à ce blog...     


Reconstruire




--------

Philippe Grimbert, l'empreinte du frère



Le psychanalyste Philippe Grimbert, auteur du roman "Un secret" (Grasset).

CLAUDIA IMBERT POUR "LE MONDE"

Il savait à quoi s'en tenir en visitant le plateau d'Un secret, de Claude Miller, l'adaptation de son roman, publié en 2004. Le malaise était prévisible. Claude Miller filme ce jour-là un mariage juif, situé avant-guerre, à Paris. Un rabbin scelle l'union du père de Philippe Grimbert, Maxime Grynberg, avec Hannah Grynberg, sa première femme. Pour le commun des mortels, il n'y a pas de quoi tomber à la renverse. Philippe Grimbert pouvait y perdre la tête. Ce mariage, longtemps caché, il n'en a, comme tant d'autres choses, entendu parler qu'à l'adolescence.




L'impression d'être un fantôme, venu hanter, à travers ce plateau de cinéma, un lieu où respirent des hommes et des femmes qu'il connaît sans jamais les avoir rencontrés, s'est d'abord révélée insupportable. Il s'en est ensuite accommodé. Désormais, il s'en amuse. "Des années de travail thérapeutique m'ont permis de gérer pareille situation. J'aurais eu une inhibition si j'étais un psychotique, on peut rentrer dans une forme de débilité avec cet interdit de savoir imposé par un père." En plus d'un premier mariage, lui ont été dissimulés un frère déporté et son identité juive. Même son nom d'origine, Grynberg, est devenu, peu après la guerre, Grimbert sans qu'on l'ait jamais informé.

Philippe Grimbert travaille dans un institut médico-éducatif auprès d'adolescents autistes ou psychotiques. Il exerce aussi dans le privé. Son choix professionnel - psychanalyste - comme sa spécialité, les enfants en difficulté, résonnent comme une évidence. Il le dit avec conviction : "La psychanalyse ne guérit pas, mais elle sauve." Elle l'a donc préservé de l'abîme. Il se rêvait pourtant un autre destin. Sa femme est une danseuse d'opéra, aujourd'hui maître de ballet. Ce n'est d'évidence pas un hasard à ses yeux. Il a toujours été fasciné par le spectacle, auteur d'un ouvrage, Chantons sous la psy, où il regarde la chanson populaire française, de Serge Gainsbourg aux Rita Mitsouko, comme un corpus qui possède son secret et "permet d'aller de la surface vers le profond".

Il a même composé une chanson pour un spectacle d'Alfredo Arias aux Folies Bergère. Ce fait d'armes est énoncé avec une fierté évidente. Puis il lâche, désespéré, au sujet de ce destin avorté de compositeur : "Je manquais de courage." Psychanalyste n'est pas sa vocation. C'est le résultat d'une équation douloureuse entre une histoire subie et celle qu'il s'est choisie.

Le cabinet parisien où il reçoit ses patients se trouve juste à côté de son salon. Quand il parle, il reste assis sagement sur son canapé. Une main posée sur la place inoccupée. Sa chemise rayée, son pantalon de costume, ses cheveux impeccablement coiffés donnent l'apparence d'un rituel gestuel et vestimentaire où le moindre mot est pesé, chaque réflexion mûrement réfléchie. Le recours à un lexique choisi n'est pas une coquetterie. C'est une condition nécessaire pour rendre intelligible la part sauvage de son itinéraire.

Son histoire appartient au domaine public depuis le succès d'Un secret, 200 000 exemplaires vendus. La phrase inaugurale de son roman tient lieu de programme. "Fils unique, j'ai longtemps eu un frère. Il fallait me croire sur parole quand je servais cette fable à mes relations de vacances, à mes amis de passage. J'avais un frère. Plus beau, plus fort. Un frère aîné, glorieux, invisible."

Il a donc longtemps rêvé à ce frère, persuadé de son existence que rien n'attestait. Un frère qui l'accompagnait au square et à l'école, derrière lequel il s'effaçait et qui pesait sur lui de tout son poids. Ce frère brillait par les prouesses de son corps athlétique. Le jeune Philippe était, au contraire, un jeune homme chétif, fils de deux parents sportifs, rompus aux disciplines de la gymnastique et de la natation. La marque de cette anatomie défaillante se traduisait par un trou sous le plexus dans lequel aurait tenu un poing. Ce dernier creusait sa poitrine. "Comme l'empreinte jamais effacée d'un coup", ajoute-t-il. Ce vide s'est comblé une fois avérée l'existence de ce frère fantôme.

Il y a eu "ce moment de bascule", accidentel et programmé. Un cousin parle un peu trop lors d'un déjeuner, et le secret de famille est livré à la cantonade devant un adolescent qui l'accueille comme un soulagement. Maxime Grynberg a eu autrefois un garçon, Simon. L'enfant et sa mère sont morts à Auschwitz. Si ses parents lui ont caché l'existence de ce demi-frère, c'est que son père a épousé sa belle-soeur, mariée elle aussi avant-guerre à un homme mort dans un stalag. Lequel était le frère de la première femme de son père.

Aussitôt, les figures parentales tombent de leur piédestal. Son père le lui dira plus tard : jamais il n'a vu de femme plus belle que sa belle-soeur. "Leur histoire, c'est toute la beauté, mais aussi l'horreur du désir, qui fait tout oublier pour l'assouvir", écrit Philippe Grimbert.

Retrouver l'histoire de son père et de son frère l'a naturellement contraint à rediriger la sienne. La question du nom propre s'est d'abord posée. "Grimbert" devenait la marque d'un fleuve dont on avait détourné le cours. Mais comment remonter à "Grynberg" ? "Ce nom était devenu une cicatrice. Je me demandais s'il fallait rétablir son orthographe d'origine. Avec "Grimbert", je portais bien mon nom et son histoire si particulière." Son père rêvait de voir son fils devenir médecin ou avocat. Non par amour de la médecine ou du droit. Savoir que le titre de docteur ou de maître se substituerait au nom de Grimbert suffisait à son bonheur.

Après une première année de médecine, qu'il sabote sciemment, Philippe Grimbert découvre la psychanalyse. C'est à la fin des années 1960, à la grande époque de Lacan, Dolto, Mannoni, et il est pris dans ce vertige intellectuel. "Mon père était dans le silence, il y avait l'idée de protéger les siens." Il révélera peu à peu ses documents à son fils, dont une terrible lettre de la République française lui confirmant que sa première femme était morte pour la France. L'intitulé irrite encore Philippe Grimbert. "Elle n'est pas morte pour la France, mais par la France !"

Un secret est sorti exactement pour le vingtième anniversaire de la mort de ses parents, qui se sont suicidés ensemble, après une longue maladie. Il tenait à cette date. Vingt ans, c'était la durée nécessaire pour trouver ses mots. "Ecrire est le moyen que j'ai trouvé pour faire mon travail de deuil. Je n'ai compris cela que très récemment : chacun de mes livres est une petite tombe."

Samuel Blumenfeld

Publié par Qwarq


-----------

Jed Rubenfeld et Antony Moore : élémentaire, mon cher Sigmund !
LE MONDE DES LIVRES | 10.01.08 | 13h18  •  Mis à jour le 10.01.08 | 13h18

   
Intrigue policière et psychanalyse semblent entretenir des rapports si étroits qu'on pourrait les qualifier d'incestueux. N'ont-elles pas l'une et l'autre un air de famille assez prononcé ? On a souvent souligné la similitude entre la démarche de l'enquêteur, appliqué à rassembler des indices et discerner des mobiles, et celle de l'analyste, et on pourrait admettre qu'au fond les deux activités partagent le même souci de mieux comprendre les maladies de l'âme. De là à dire qu'un psychanalyste serait le policier idéal, il n'y a qu'un pas que franchit allégrement John Katzenbach dans L'Analyste ("Pocket thriller", Grand prix de littérature policière en 2004) ou Caleb Carr dans L'Aliéniste (Pocket). Encore que, dans ce cas précis, il ne s'agit pas encore à proprement parler de psychanalyse mais plutôt des premières applications de la psychologie scientifique à l'investigation policière, à New York au début du XXe siècle.



Deux premiers romans, l'un américain, l'autre anglais, illustrent de manière radicalement opposée des variantes possibles de ce mariage entre psychanalyse et roman policier.

Dans la même veine que Franck Tallis (La Justice de l'inconscient et Du sang sur Vienne, "10/18"), Jed Rubenfeld choisit de mêler l'histoire même de la doctrine freudienne à une intrigue criminelle : les principaux personnages de L'Interprétation des meurtres ne sont autres que Sigmund Freud, Carl Jung et Sandor Ferenczi.

En août 1909, accompagné de ses deux collègues et amis, le père de la psychanalyse débarqua à New York pour une série de conférences à l'université Clark. Celles-ci remportèrent un grand succès et marquèrent un véritable tournant dans l'histoire de la psychiatrie américaine. Curieusement, Freud ne sembla pas s'en réjouir : à son retour en Europe, il afficha une méfiance qu'il qualifiait lui-même d'"irrévocable" vis-à-vis des Etats-Unis. Que s'est-il donc passé au cours de cet unique voyage de Freud en Amérique ? Quel traumatisme y a-t-il subi ? C'est sur cette idée que Jed Rubenfeld bâtit son roman.

AGRESSIONS SADIQUES

Il s'agit d'abord d'identifier le coupable d'une série d'agressions sadiques et de meurtres contre des jeunes filles de la haute société new-yorkaise. Un jeune médecin, émule de Freud, va s'y appliquer en analysant, sous la conduite du maître, Nora Acton, qui est parvenue à échapper aux griffes du sadique non sans avoir subi un violent traumatisme. Mais d'autres affaires se mêlent à cette intrigue criminelle : tandis qu'un groupe influent de neurologues américains a entrepris de saboter les conférences de Freud en le faisant passer pour un charlatan doublé d'un pervers sexuel, les rapports se tendent au sein de la famille freudienne, en particulier entre Freud et Jung.

Dans le décor étonnant d'un New York en pleine construction, le roman de Jed Rubenfeld mêle habilement la fantaisie la plus débridée à une histoire authentique de la psychanalyse. L'auteur, professeur de droit à l'université de Yale, a soutenu une thèse sur Freud. Même s'il s'accorde quelques libertés, le soin qu'il prend de respecter la réalité historique donne à son roman une touche d'authenticité passionnante. L'histoire de Nora, l'héroïne et principale victime du livre, est inspirée du cas de Dora, une patiente que Freud eut effectivement à soigner.

Chez Antony Moore, aucun psychanalyste ne mène l'enquête et les policiers eux-mêmes n'ont pas le beau rôle. Le héros, lui, semble se relever à peine du divan ou alors aurait bien besoin d'aller s'y étendre. Quand il avait 12 ans, dans sa petite ville de Cornouailles, Harvey a procédé à un échange qu'il ne cesse de regretter depuis. Il a cédé à un de ses camarades le premier numéro des aventures de Superman contre un vague morceau de plastique. Devenu adulte (enfin pas tant que ça), il a compris la valeur inestimable de ce document d'autant qu'il tient à Londres une librairie de bandes dessinées. Le Superman numéro 1 a-t-il été détruit, revendu ou conservé par l'intéressé ? Cela tourne à l'obsession. A l'occasion d'une réunion d'anciens élèves, Harvey décide de retourner dans sa province natale, de retrouver son ancien camarade et de récupérer si possible le précieux fascicule, bref d'affronter la réalité.

Malheureusement, c'est précisément ce pour quoi Harvey est le moins doué. Chacune de ses initiatives va l'enfoncer un peu plus dans un imbroglio où il se trouve confronté à toutes ses névroses. On ne sait si l'auteur, un psychanalyste anglais qui a écrit ce premier roman sous pseudonyme, s'est inspiré du cas d'un de ses patients. Mais chacun pourra reconnaître quelque trait personnel dans les tribulations de cet anti héros immature qui semble tout droit sorti d'une comédie de Woody Allen.

L'INTERPRÉTATION DES MEURTRES (THE INTERPRETATION OF MURDER) de Jed Rubenfeld. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Carine Chichereau. Panama, 480 p., 22 €.


Le Monde

---------- 




Critique
Deirdre Bair : les vies du docteur Jung
LE MONDE DES LIVRES | 17.01.08 | 12h50  •  Mis à jour le 17.01.08 | 12h50
   
Universitaire de renom, Deirdre Bair est la première biographe de Jung à avoir eu accès aux archives de celui-ci, déposées à l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich, et soigneusement surveillées par sa famille.

Issu d'un milieu de pasteurs bâlois, Carl Gustav Jung (1875-1961) eut une enfance difficile auprès d'une mère folle qui se disputait avec son père tout en faisant tourner les tables. Sujet à des syncopes, il était hanté par la vision qu'il avait eue en rêve d'un Dieu déversant ses excréments sur le sommet d'une cathédrale. Il dit un jour à Freud qu'ayant été victime enfant d'une agression sexuelle - un prêtre sans doute - il en avait conçu un dégoût des amitiés masculines.


CLINIQUE DE LA FOLIE

Sans renoncer ni au spiritisme ni à l'occultisme, Jung exerça la psychiatrie à la clinique du Burghölzli de Zurich, sous la houlette d'Eugen Bleuler, inventeur des notions de schizophrénie et d'autisme. Dauphin de Freud de 1906 à 1913, il fut alors l'artisan d'une ouverture de la psychanalyse à la clinique de la folie, terre promise rêvée par Freud.

Ayant quitté le mouvement psychanalytique, il fonda, à Zurich, son école dite de "psychologie analytique", attribuant aux femmes une position dominante. Deirdre Bair décrit avec minutie comment, après avoir analysé Emma, sa propre femme, il fit entrer Toni Wolff, sa patiente dépressive, au sein de sa famille, en la traitant comme une seconde épouse et comme sa meilleure disciple. Mieux encore, dit-elle, il théorisa l'exercice de la cure sur ce modèle triangulaire, exigeant que chaque élève reçoive une formation simultanée avec un homme et une femme, seule manière d'intérioriser l'idée d'un rapprochement possible entre l'animus et l'anima.

Par la suite, Jung voyagea d'un bout à l'autre de la planète et son oeuvre, reçue avec succès, fut particulièrement appréciée par les historiens des religions : Mircea Eliade, notamment. Elle n'est pas encore traduite intégralement en France.

En 1919, il forgea la notion d'archétype pour désigner une image inconsciente primordiale ne pouvant jamais accéder à la conscience et apparaissant dans les mythes, l'art et la religion. Aussi regardait-il le psychisme individuel comme le reflet de l'âme collective des nations, cherchant à élaborer une psychologie des peuples capable de traduire les différences entre des types physiques et psychiques : juifs, "aryens", chinois, africains, etc. D'où la dérive qui l'entraîna vers le nazisme, au moment où il accepta, après l'arrivée d'Hitler au pouvoir, de prendre la direction de la Société internationale de psychothérapie, laquelle avait pour but d'unifier les écoles européennes sous l'égide du savoir médical.

Jung affirma alors vouloir protéger les non-médecins et les praticiens juifs qui n'avaient plus le droit d'exercer en Allemagne. En réalité, il avait été choisi pour ce poste à cause de la confiance qu'il inspirait aux promoteurs de la psychothérapie dite "aryenne" mise en oeuvre par Matthias Heinrich Göring, et à laquelle collaboraient aussi des freudiens et des adlériens.

Bientôt, il se mit à publier des textes favorables au national-socialisme. En 1934, il regretta que l'on eût appliqué des "catégories juives" à la science médicale. Ensuite, il vanta les mérites de l'inconscient "aryen", tout en soulignant combien les juifs étaient par nature "nomades" et "semblables à des femmes".

En 1936, après avoir glorifié le Führer, il le compara à un monstre germanique (Wotan) coupable d'assassiner l'Europe. Sa théorie lui permettait donc, en un même geste, de fustiger "l'inconscient juif" puis de rejeter l'âme allemande pour enfin condamner le modèle freudien du juif universel, auquel il substituait une figure dite "archétypique" de la judéité, ancrée dans un territoire. Ce faisant, il conseilla à ses disciples juifs d'émigrer en Palestine afin qu'ils y retrouvent leur "nature juive". En 1942, il rédigea pour Allen Dulles, représentant des services secrets américains à Berne, des profils psychologiques des chefs nazis.

Bien qu'elle se soit livrée à un phénoménal travail archivistique, Deirdre Bair n'a ni exposé ni interprété l'oeuvre de Jung. Sans nier les faits, elle ne comprend donc pas que celle-ci porte les germes de sa propre dérive. Et dès lors, pour expliquer les incohérences du personnage, elle prend le risque de le faire passer pour un benêt irresponsable, roulé autant par ses adoratrices que par les nazis.
JUNG. UNE BIOGRAPHIE de Dei
08/07/2008
Retour
Commentaires
Vous devez être connecté pour déposer un commentaire