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Anorexie et publicité Acte 1

Anorexie et publicité - Le photographe, la jeune fille et la marque: une affaire de goût?

 

L'après coût dans l’après coup (d’une exhibition)
Réflexion en trois actes et quelques propos
Une histoire de goût?



Le 24 septembre 2007 étaient diffusées les premières affiches d’une campagne de publicité pour une marque de vêtements italienne « No-l-ita » (North Little Italy) réalisée par Oliviero Toscani : No anoressia.

Cette campagne, interdite en France, mais rendue publique sur le web ne peut laisser indifférent ... On en parle à la sortie des écoles, chez le coiffeur, dans les cours de récréation, sur les plateaux des journaux télévisés et autres émissions à forte audience. Dans la presse écrite aussi et bien sûr sur le net...

Elle exhibe, dans différentes positions le corps squelettique et dénudé d’une jeune femme, Isabelle Caro, 31 kilos, anorexique depuis l’âge de treize ans. Fantomatique, révélant un visage douloureux et des escarres sur ce qui lui reste de corps, c’est sa façon de se dire, entre détresse et résignation, désir de vivre et disparition…
La jeune femme parcourt les plateaux de télévision pour défendre sa cause … Sujet de l’affiche, plutôt rébarbatif, elle se raconte, se justifie, s’explique, s’excuse, tantôt craintive tantôt osée et derrière ses mots nous interroge sur les limites de la décence plus en termes de santé – et de goût - qu’en termes de morale ...
Soutenue par le ministère de la santé italien, cette campagne provocante et dont on saisit mal à première vue le parti pris s’impose avec un parfum de scandale.



Le photographe, la jeune fille et la marque
Qu'est-ce qui (est en) cause ?



L’objectif du photographe: Premier acte



- La campagne de publicité de Toscani ?
- Toscani?
- Oui, Toscani, ce photographe qui a déjà fait parler de lui. La campagne contre le sida... C'était lui, Benetton, les bonnes sœurs et le baiser sur la bouche ...Les enfants de toutes les couleurs... aussi...

En effet, de la provocation Toscani semble avoir fait vocation.... Il a contribué à rendre Benetton inoubliable en associant la marque à des images fortes, troublantes, au pouvoir commotionnant. Benetton existait avant lui, Benetton existe sans lui. Benetton était une entreprise en bonne santé. Toscani, un photographe talentueux, inutile de le nier. L'un et l'autre jouaient dans la cour des grands. Le thème de certaines de leurs campagnes publicitaires a pu choquer, cela se comprend, mais il était question de vendre des vêtements. Que ne ferait-on pas aujourd'hui pour vendre, faire parler de soi, se démarquer des autres, faire entendre sa voix?
Toscani est resté dans nos mémoires comme un photographe audacieux et agaçant qui avait l'art de faire parler de lui en jouant avec les autres.
Le voilà de retour par le biais d'une rumeur "la nouvelle campagne Toscani"... Autrement dit, Oliviero Toscani n'a pas perdu l'art de faire parler de lui.
On lit ici ou là qu’il veut lutter contre l'anorexie. On lit aussi qu’il cherchait une anorexique pour une campagne contre cette maladie qui, explique-t-il, l’intéresse comme phénomène de société depuis de nombreuses années.

"Je me considère comme un photographe de la condition humaine, dit-il. Je travaille sur l’anorexie depuis plus de cinq ans. En 2003, j’ai réalisé un documentaire sur Bianca, une anorexique italienne de 16 ans. C’est un problème social, des jeunes filles en meurent. Et c’est mon métier d’en parler" .
Son métier ? On aimerait en être convaincu... On en doute pourtant à le voir faire si peu cas de l'intimité et de la fragilité d'un poids plume.
À lui de faire la preuve par l’évidence, à travers des actes donc - que l’objectif humanitaire (ici prétendu) concorde avec l'objectif publicitaire (bien connu). Et de convaincre "l'objet" affiché ressort gagnant de l'épreuve que lui a fait subir l'objectif du photographe.
Il n'est pas sûr que cela soit en bonne voie.
Parler d’anorexie n’est pas un but en soi.
Le photographe ici s’affiche derrière un sujet affaibli. Cette façon de s’exposer à l’abri de la cause qu’il prétend défendre frise, oserai-je le dire, l’indécence. Se servir de son pouvoir médiatique, de son autorité phallique, de son objectif photographique, de son aura artistique, pour raviver un désir de jeune fille en réveillant son espoir et la laisser ensuite tomber n’inspire guère confiance.
Il ne s'agit pas d'être ou ne pas être choqué, mais de se demander pourquoi une personne lâche un message incompréhensible, sinon pour prendre la parole. Celle-la même dont est privée la personne sujette à l'anorexie !
Il se lit dans cette démarche quelque chose de l’ordre de l’imposture. Qui trace les limites auxquelles se heurtent le talent du photographe « révolutionnaire ».
Pourquoi dissimuler son objectif sous un autre plus noble ?
De même qu’il est admis que le rêveur ne rêve que de lui-même, nul doute que dans chaque oeuvre d'art se laisse deviner comme un autoportrait de l’artiste – en quête de reconnaissance. On peut alors se demander si ce n’est pas sa propre absence de désir que le photographe met en scène. Sa peur, son dégoût, son effroi devant la chose féminine ? Tout en se servant de la jeune fille.
Poser ainsi la question permet de souligner une cause commune entre le sujet prétexte (la lutte contre l'anorexie ) et celui qui s’en empare: le goût de la provocation. Ou bien encore le désir de faire parler (de soi) avec l'image - faute de mots - pour attirer (désespérément) l'attention sur soi tout en disparaissant derrière une image muette qui crie la disparition, la douleur, la cruauté, la crudité, la laideur, la nudité, la fragilité, l'horreur...

Le discours bien intentionné sert ici d’emballage à un discours de l'inconscient qui le sous-tend et qu’il voulait cacher....

"Provoquer une réaction, de l’intérêt, c’est positif ! » dit le photographe. Il provoque oui mais au risque de provoquer un sentiment de saturation et de détourner un peu plus de ce sujet dont il semble mal mesurer la gravité.


Virginie Megglé
Octobre 2007

Anorexie et publicité, suite: L’acte de la jeune fille

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17/11/2007
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