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Anorexie et publicité Acte 2

Anorexie et publicité Le photographe, la jeune fille et la marque: une affaire de goût?

 

Anorexie et publicité
L'après coût dans l’après coup (d’une exhibition)
Réflexion en trois actes et quelques propos
Une histoire de goût?

 

L’acte de la jeune fille : Deuxième acte

On apprend qu'elle a vingt-cinq ans, qu'elle s'appelle Isabelle Caro, qu'elle est française, comédienne et qu'elle a répondu par l'intermédiaire de son agent à une annonce qui stipulait qu'un photographe recherchait une vraie anorexique pour une campagne publicitaire. Quoi de plus normale qu'elle ait répondu. Besoin de travail, envie d'argent, soif de reconnaissance.

Elle pose nue devant l'objectif de l’artiste. Comme tant de modèles l'ont fait aux siècles passés devant l'oeil du peintre. Est-ce pour nous plaire ou nous écoeurer ? Allons savoir. Il en faut pour tous les goûts. Nue, elle pose mais le plaisir de l'œil n’est pas au rendez-vous. On est abasourdi par l’écart entre ses cuisses et le saillant de ses os. Nulle trace de sensualité. Si on ne voyait son visage, on la parierait vieille, tant sa peau est flétrie et son teint défraîchi. Elle se prête à l’exercice, dans des postures plutôt acrobatiques - on se dit qu'elle aimerait y croire, et que - comédienne - le temps de la pose - "elle s’y croit"... Prendre la pose, incarner, oui, ce serait son métier. Mais sa souffrance semble telle que le spectateur ne voit que "ça". La souffrance qui se dit sans se dire, qui crie en silence à force de se taire, qui se cache derrière la pose et sous le culot. De culot, le modèle en effet n'en manque pas. Pas plus que n’en manquent le photographe et la marque qui finance ce jeu de cache-cache des objectifs confondus .
Spectateur, on se sent mis dans une position inconfortable de voyeur tant la jeune femme est peu avenante. Son regard face au nôtre se fait désapprobateur. On vacille à l’idée de se laisser prendre au jeu de la perversion à laquelle l'opération semble nous convier. On répugne à celle de s'identifier au modèle tout comme à la marque à laquelle il s'identifie ...NO NO NO sa solitude désespère... On n'est pas preneur. La pitié seule retient le regard et atténue la colère. Il s’agit alors de résister à la mauvaise conscience et de ne pas céder à cette entreprise de racolage publicitaire.

Bien qu’elle s’offre en pâture, on peine à parler de la jeune fille de crainte de la maltraiter un peu plus. Et pourtant… Son image en réveille d'autres qui appartiennent à l'histoire de nos plus tristes mémoires. Au-delà de son corps dont elle accepte la mise à nu et offre la mise en scène, elle joue (volontairement ou pas) de ces mémoires, avec une crudité qui s'apparente à de la cruauté: nous infligeant sa nudité, elle interpelle notre responsabilité, force notre indifférence. Au risque de nous identifier au violeur.

L’acte de la jeune fille, suite : l’ambiguïté de son message

On peut se demander à qui s'adresse cette jeune fille. Et ce qu'elle espère faire entendre. N'est-ce pas d'abord à se faire entendre qu'elle aspire – mais par qui? Par ses parents peut-être ou par quelques adultes responsables qui n'abusant pas de sa faiblesse l’aideraient à discerner ce qui peut être bon pour sa santé (en termes d'avenir) et ce qui ne saurait l'être en aucun cas (pour un sujet en devenir).
L’extrême faiblesse physique rend tout choix périlleux et en compromet l'issue... quelle qu’elle soit…

"Ne faites pas comme moi " dit-elle vouloir dire… On peut aussi se demander si - en désespoir de cause - certaines jeunes filles ne préféreraient pas lui ressembler pour se rappeler elles aussi au bon souvenir de qui les oublie ou les méprise ? Raisonnement spécieux ? Pourtant c’est bien l’espoir de se faire entendre qui semble maintenir en vie ceux et celles qui souffrent - quand bien même ils sembleraient ignorer ce qu’ils ont besoin de faire entendre. « Pourquoi ne pas (me) faire entendre en faisant comme celle qui réussit si bien à se faire entendre. », pourraient ainsi se dire en la voyant d'autres jeunes filles en proie à la désolation. Ne s’offre-t-elle ici en tant que modèle apte à discerner ce qui est bon (pour chacun) de ce qui ne l'est pas ? En s’affichant en sujet supposé savoir ne leur fait-elle courir le risque de succomber à la maladie?
Etant donné le manque de discernement propre à ceux qui sont en état d’extrême fragilité, on en imagine plus d’un (plus d’une) se dire en la découvrant sur ces affiches "Après tout, elle existe. L’anorexie, ça lui permet de devenir célèbre et même de gagner sa vie... Elle y est arrivée, pour quoi pas moi ? ".
Pure supputation, direz-vous ? Mais comment la taire quand elle fait partie des probabilités.
Si instrumentaliser son corps en le laissant instrumentaliser par un photographe talentueux, et en mettant le spectateur en position de voyeur, apporte argent et célébrité, en quoi serait-il dissuasif d'être squelettique?
La maigreur ainsi stigmatisée reste insoutenable pour ceux à qui elle l'était déjà. Mais resterait supportable - à défaut d'autre chose - pour ceux qui n'ont que cette maigreur, ce rien, cette tristesse pour se dire. Le modèle a beau - hors champ - tenter de nous convaincre avec des mots de son envie de vivre (voir son blog) son regard, sa désespérance nous disent la mort qui l'habite tout comme sa façon de l'afficher nous dit son impossibilité à vivre autrement.
«Le message est le suivant: voyez l'horreur qui se cache sous les beaux vêtements, derrière les maquillages. Je me suis mise à nu au propre comme au figuré.» dit-elle, pour justifier son acte dans l’après-coup.
«Faire cette campagne était pour moi un devoir. Je voulais que les jeunes se rendent compte du danger qu'ils courent en faisant des régimes, de la souffrance qu'on s'inflige. De la réalité de cette maladie qui n'est pas un mode de vie. C'est un enfer. Oui, j'incarne presque la mort, mais c'est une mise en garde: ne faites pas comme moi!»
Isabelle Caro semble ignorer que l’anorexie n’est pas une question de pure volonté et que la logique de l'inconscient n'étant pas celle de l'ordinaire, c'est à l'écoute de celle-ci – plus que de l’arbitraire -, que doit se mettre celui ou celle qui veut se sauver de ce mal qui mine de l 'intérieur plus qu’il ne menace de l’extérieur.
Son exhibition laissant entendre "Je suis anorexique comédienne mannequin je dis que j'aime la vie, et c’est comme ça que je la gagne" on ne serait pas étonné que d'autres personnes en aussi grande difficulté qu’elle prennent ce message comme un encouragement.
Mais, modèle qui s’expose comme contre modèle, elle risque en revanche de dégoûter de l'anorexie les personnes qui ne sont ni menacées ni concernées par la maladie. De les braquer. Les révulser. Les agacer. Les démotiver... Leur donner envie de détourner le regard de ce mal comme d’un mal (sorcier) qui leur serait définitivement étranger – extérieur à leur société.
Dès lors qu’il s’agit d’une réclame publicitaire... on se demande ce que réclame la jeune fille à l’anorexie?
Et quand on voit combien elle peine à bien se nourrir, à bien s’aimer, on craint que le choix de s'exhiber en dernier recours ne soit un appel au secours qui se retourne contre elle.

"J’ai failli mourir et je me bats chaque jour pour survivre, confie-t-elle. Je veux crier à tout le monde que l’anorexie est une maladie dangereuse".
Oui - pourrait-on lui répondre, mais d’une part, l’anorexie n’est pas une maladie qui s’attrape... D’autre part, de l'anorexie, on ne peut sortir seule ni sans être entendue. Espérons que cette campagne vous aide à vous sentir un peu mieux comprise. Mais prenez soin de vous, avant de penser à prendre soin des autres. Vous avez sans doute plus besoin de la Maison de Solenn que celle-ci n'a besoin de vos (deux) sous.
Isabelle Caro s'est en effet sentie obligée de reverser une partie de son (maigre) cachet à la Maison de Solenn. Pourquoi ne pas avoir gardé pour elle le bénéfice de son travail ? Pourquoi l’avoir redistribué? Pourquoi le faire savoir ? Quelle est cette culpabilité qui l’habite et l'empêche de jouir du fruit de son travail ? D'où provient ce besoin de se justifier?



Anorexie et publicité, suite: Du côté de la marque … Un acte publicitaire à quelle faim?



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17/11/2007
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