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L'art de sublimer

L'Art de sublimer

Dans sa lettre du 20/7/38 à Stephan Zweig, le lendemain de la visite effectuée par Salvador Dali qui soutenait que le crâne de Freud, d’un point de vue surréaliste, lui faisait penser à un escargot, Freud écrivait: «Il faut réellement que je vous remercie du mot d’introduction qui m’a amené les visiteurs d’hier. Car jusqu’alors, semble-t-il, j’étais tenté de tenir les surréalistes, qui apparemment m’ont choisi comme saint patron, pour des fous intégraux (disons à quatre-vingt-quinze pour cent, comme pour l’alcool absolu). Le jeune espagnol, avec ses candides yeux de fanatique et son indéniable maîtrise technique, m’a incité à reconsidérer mon opinion. Il serait en effet très intéressant d’étudier analytiquement la genèse d’un tableau de ce genre. Du point de vue critique, on pourrait cependant toujours dire que la notion d’art se refuse à toute extension lorsque le rapport quantitatif, entre le matériel inconscient et l’élaboration préconsciente, ne se maintient pas dans des limites déterminées. Il s’agit là, en tous cas, de sérieux problèmes psychologiques....». L’on voit que Freud a quelques difficultés à ranger les surréalistes dans l’art! Mais cette idée d’un rapport quantitatif entre le matériel inconscient et l’élaboration préconsciente nous indique surtout que le processus de sublimation n’est pas seul en jeu dans la production de l’oeuvre d’art.

 

La sublimation est l’un des quatre destins pulsionnels, quatre défenses contre les pulsions distinguées par Freud; si l’on en croit Ernest Jones, la première apparition du terme de sublimation se fait dans une lettre au pasteur Pfister en 1909, et il semblerait que Freud ait emprunté à Wilhelm Fliess ces notions de période de latence et de sublimation; mais à quoi Freud pouvait-il penser en utilisant ce terme, déjà employé à l’époque par les sociologues?

 

Freud parlait certes assez bien le français pour traduire les leçons de Jean Martin Charcot; a-t-il pourtant voulu indiquer le sens chargé des connotations du mot français, même si le choix du terme de sublimation pour rendre « Sublimierung » est tout-à-fait justifié? Sublimation: sub limen, en dessous, ou au-delà, du seuil: c’est ce que nous livre l’étymologie. Le terme allemand distingue: erhaben, qui au sens propre signifie élevé en relief, et au figuré, noble, généreux; hoch, qui implique une idée de hauteur, de supériorité; hehr, qui veut dire auguste, majestueux; et göttlich, qui signifie divin. Mais Sublimierung et sublimation évoquent également l’opération sur des métaux, et notamment l’alchimie...

 

Voilà qui nous indique la piste de la relation pleine d’embûches de Freud avec Carl Gustav Jung. La notion de sublimation, par l’équivoque qu’elle amène, n’est pas sans avoir pu remuer chez Freud les souvenirs pénibles de ses divergences et brouilles avec Jung, dont la passion pour l’alchimie est bien connue, et avant lui, avec Fliess. Les enjeux de rivalités, au travers de questions de paternité intellectuelle, les relations de filiations imaginaires, les jalousies et discordes nous évoquent un climat paranoïaque; la théorie de la paranoïa est d’ailleurs d’emblée en jeu lorsqu’il s’agit de Jung, qui avait fait découvrir à Freud les « mémoires » du président Schreber, où Freud  allait mettre en évidence une problématique homosexuelle.

 

Ces thèmes de l’homosexualité, de la composante homosexuelle, de la bisexualité sont présents entre Jung et Freud, tant qu’entre Freud et Fliess. Et l’article que Freud a écrit entre mai et août 1915, sur la sublimation, curieusement n’a pas été publié, pour des raisons inconnues, mais vraisemblablement liées à la censure du temps de guerre. Le manuscrit a été perdu ou détruit, - par Freud-, ce qui au fond indique pour nous les mêmes réticences: dans un contexte où il évoque la pression de la censure militaire, Freud, dans sa lettre à Karl Abraham d’août 1915, évoque les douze essais qu’il vient alors de terminer. Sept d’entre eux, dont celui sur la sublimation, ne seront pas publiés: oubli nécessaire de la dureté de la guerre? Deux de ses fils, Ernst et Martin, sont au front. Pénibilité des attaques de Fliess, de la défection de Jung? Censure de Freud, lorsqu’il détruit ces manuscrits? Ou malaise dans la théorie, qui aurait son pendant dans le célèbre et très physique malaise cardiaque en présence de Jung, en novembre 1912? Il est malaisé en tous cas d’attribuer à la seule sublimation, de la composante homosexuelle notamment, la production de l’art: Freud n’a pas su s’y résoudre.

 

C’est peut-être pourquoi on trouve dans la lettre à Zweig de juillet 1938, la notion d’un équilibre du matériel inconscient et de l’élaboration préconsciente: la censure, le détournement de la pulsion ne sont pas seuls en cause  dans la production de l’oeuvre d’art: il faut en déduire que l’art peut être causé également par un travail spécifique de l’inconscient... Du reste l’esthétique, comme la sublimation, implique qu’il y ait un jugement, ce qui nous contraindrait de situer le trait différentiel de l’art dans le cadre préconscient plutôt qu’inconscient.

 

Freud se serait-il pourtant laissé arrêter par son seul refoulement, ou par une autre forme de censure? On est en droit de trouver l’hypothèse peu probable! Plutôt du moins peut-on supposer également qu’il n’était pas satisfait de son texte, ce qui insinue en nous l’idée que quelque chose déjà ne lui suffisait plus, en 1915, dans le cadre des deux premières topiques, qui restent foncièrement des théories d’une genèse du psychisme. Ce rejet de ces sept textes sur douze par Freud lui-même, et certains détails à cette aune, font à nos yeux le lit des théories structuralistes de l’inconscient, et notamment de celles de Lacan; ce n’est pas tant d’ailleurs l’une ou l’autre de ses théories que Freud cherchait à défendre, mais par l’acceptation de ses propres échecs, de ses limites qu’il évoque souvent dans ses correspondances, l’ouverture à l’inconscient, -qui est l’essentiel, en résumé très succinct de ce que Freud a apporté à l’humanité toute entière-, c’est l’attention flottante portée à l’association libre.

 

L’art n’existe-t-il pas d’abord parce qu’il y a des choses difficiles ou impossibles à dire? Certes, la sublimation y intervient, mais la création peut être aussi envisagée à la lumière de l’aphasie motrice, et décrite comme une effection motrice, une décharge; on rejoint l’idée d’une pulsion, d’une force qui cherche à s’exprimer. L‘aphasie motrice, c’est ce trouble du langage, pas nécessairement lié à des problèmes organiques, qui rend les personnes qui en sont atteintes incapables de parler, parce qu’elles ne trouvent plus les mots, dont le sens leur échappe alors qu’elles comprennent ce qu’on leur dit, à l’inverse de l’aphasie sensorielle. Françoise Dolto se représentait les enfants comme des aphasiques; ce trouble du langage fait aussi immédiatement penser aux lapsus, qui se présentent comme des troubles aphasiques en miniature. Mais en admettant que le travail de création artistique est foncièrement un processus de symbolisation, on n’est plus nécessairement dans le cadre de la théorie de la sublimation: on sort de la théorie névrotique pour rentrer dans la dimension préoedipienne, prégénitale, et ce que l’on découvre, c’est un travail de constitution de la langue, la mise en place de cette structure que la langue représente, cette structure qu’elle est, et l’on peut dire que Freud nous a rendu un fier service en supprimant un texte vraisemblablement insuffisant, une fausse piste, pour nous laisser aller à la découverte de cette difficulté d’être sujet de la parole, difficulté que l’art exprime, qui s’exprime dans l’art. On ne peut rendre compte de l’art en psychanalyse à la seule lumière des processus de sublimation, affaires de pulsions, donc de détournements de plaisirs d’organes. Si l’art met en jeu la sublimation, c’est davantage par le biais de l’esthétique que par les processus de création eux-mêmes, que l’on peut rapprocher de ce travail d’homo habilis auquel un Denis de Rougemont a su donner toute sa portée en écrivant « penser avec les mains ». Et pour ce qui est de déterminer quel doit être le rapport quantitatif entre les éléments de l’inconscient et l’élaboration préconsciente, n'est-on pas plutôt renvoyé à ce que nos contemporains peuvent supporter comme émergence de l’inconscient, à ce qui forme le  goût, -si mal nommé-, qu’aux jugements esthétiques que les analystes auront la prudence de garder par devers eux?

Didier Kuntz

 

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