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Psychanalyse et université

Contre la normalisation.

Une réflexion de
                 
Franck Chaumon, Roger Ferreri

à partir de la pétition Sauvons la Clinique 
 
 
 

Une pétition circule sur Internet, ouverte aux professionnels, aux institutions et aux citoyens, appelant à une forte mobilisation pour « sauver la clinique ». A la suite d’autres appels, elle témoigne d’un refus et d’une résistance qui s’organise face à ce qu’il faut bien nommer une normalisation des pratiques et des savoirs.
L’espace de l’Université, tout comme celui de la recherche, est en effet l’objet d’une mise en cause fondamentale. Mais le fait que dans les universités de psychologie, une orientation de l’enseignement qui se réfère à la psychanalyse soit délibérément attaquée, manifeste la nature idéologique des affrontements actuels.
 
Le fait nouveau est sans aucun doute le couplage de ces choix idéologiques avec des modes de gestion qui privilégient la programmation et l’évaluation des pratiques selon des procédures normalisées. L’empire de la nouvelle clinique du DSM s’étend d’autant plus efficacement que les critères de fonctionnement des institutions favorisent la gestion des populations prédécoupées selon ces critères. Les thérapeutiques cognitivistes sont d’autant plus privilégiées qu’elles se fixent des buts adaptatifs homogènes à l’idéal gestionnaire. C’est ce couplage qui impose sa logique dans les institutions et les services hospitaliers par l’évaluation des pratiques.
De la hiérarchisation des psychothérapies par un rapport de l’INSERM au projet hygiéniste de prévention précoce de la délinquance, de la planification bureaucratique d’un plan de « santé mentale » à la réglementation de l’accès au titre de psychothérapeute une nouvelle biopolitique de l’intime s’instaure pas à pas.
 
Aujourd’hui c’est l’Université qui est attaquée. Remarquons d’abord qu’elle l’a déjà été selon les mêmes lois de la logique gestionnaire : à l’Université hélas, comme en tant d’autres lieux, l’esprit de l’évaluation bureaucratique et comptable est passé, sans que lui soit opposée une résistance efficace. A présent une nouvelle menace se fait jour, visant le contenu même des enseignements avec la mise en cause de la présence de la psychanalyse dans les cursus de psychologie.
Cette attaque nouvelle prend place par conséquent dans un ensemble plus vaste, et dans ce combat comme dans les précédents il convient de situer notre refus. Nous faisons l’hypothèse que dans ce contexte général la psychanalyse est attaquée du fait de son caractère antinomique d’avec la logique de la gestion postmoderne des populations. On peut en énoncer les points principaux d’affrontement : statut du singulier opposé à celui du particulier, statut de l’acte hors garantie, subversion du statut du savoir. La question de la réglementation des psychothérapies avait déjà soulevé la question, la mise en cause de l’Université la remet à l’ordre du jour.
 
Or sa défense s’organise selon le mot d’ordre « sauvons la clinique », dans un raccourci qui nous semble fâcheux. Certes la normalisation de l’enseignement, et précisément l’attaque de celui qui se fait en référence à la psychanalyse, participe d’une normalisation des pratiques. Mais « la clinique » ne saurait être identifiée à l’enseignement des étudiants, et ceci d’autant plus qu’il s’agit ici de psychanalyse. De fait, « la clinique » a déjà été mise à mal, sous les coups de la normalisation tous azimuts.
L’initiative du SIUERPP est heureuse, elle lance un combat pour l’Université et à ce titre elle est l’affaire de tous. La volonté de conjuguer cette résistance avec celles déjà engagées par des praticiens libéraux ou dans les institutions est bienvenue. Mais il importe de le faire dans la clarté. Que les temps soient durs, que la résistance doive être déterminée, qu’il soit nécessaire de s’unir n’implique pas que l’on doive simplifier à l’excès voire gommer les difficultés, bien au contraire.
Lucien Bonnafé nous en avait, en son temps, averti : « Dans la lutte contre la malfaisance de la pensée fétichisée, il n’est pas indifférent que nous laissions des traces de nos soucis. » Effectivement l’invocation de la clinique ne saurait se faire sans qu'on y laisse des traces de nos soucis. Sauver la clinique, projet salutaire autant qu'impossible, ne saurait être si rapidement réduit à la formation des dits cliniciens, personnes identifiées par la validation d'un cursus d’enseignement psychopathologique et/ou psychanalytique.
Que l'université ou toute autre forme d'enseignement intègre la question de l’accès aux savoirs issus de la psychanalyse est heureux et signe sa présence vivante dans notre pays, situation on le sait originale. Mais donner à penser que cela suffise à sauver la clinique est un raccourci dangereux.
Il y a tout d’abord une difficulté liée à l’énoncé. « Sauvons la recherche », mouvement dont on suppose que le libellé est à l’origine du choix de celui de la présente pétition, revendique de préserver la liberté de « la » recherche, c'est à dire de l’exercice des recherches dans la diversité de leurs orientation. Par contre « Sauvons la clinique » semble soutenir que seule une « clinique psychanalytique » (« psychopathologique » ?) mériterait un tel privilège. Or il n’y a pas « la » clinique mais des cliniques : il existe, bien sûr, une clinique comportementaliste, une clinique cognitiviste, une clinique du DSM. Si cela est vrai, existe-t-il une distinction essentielle entre l’une et les autres ? La question mérite d’être posée.
 
S’il y a une différence radicale, de quelle nature est-elle ? Est-ce qu’elle tient au contenu des enseignements ou à autre chose ? La clinique inscrit-elle toujours la même position d'asymétrie entre celui qui parle et ceux qui l'écoutent ? Une «clinique psychanalytique » découle-t-elle, se déduit-elle d’un enseignement de la psychanalyse à l’université ? La question n’est pas mineure : ne peut-on dire en effet que la cure psychanalytique inverse l’asymétrie constitutive de la clinique bâtie jusque là ? Le choix originaire de Freud n'a-t-il pas été d'imposer à qui voulait le suivre de prendre la place de l'hystérique ? Cet « à l’envers » qu’instaure la psychanalyse n'est-il pas rien d'autre que son « non enseignable » ? Ecouter c’est attendre un savoir à venir dans la parole de l’analysant et non l’anticiper dans quelque savoir que ce soit. S’il y avait une clinique psychanalytique, ne serait-ce pas son principe fondamental ? Et dans ce cas, cela se déduirait-il d’un enseignement universitaire ou bien de l’expérience que chacun peut faire dans la cure ?
Questions difficiles sans doute, et qui méritent débat, mais qui de ce fait ne sauraient souffrir d’être gommées au nom de l’urgence militante. Est-ce qu’il faut défendre l’existence de la psychanalyse à l’université ? Oui bien sûr. Mais nous savons bien que la psychanalyse est menacée dès aujourd’hui d’être enserrée dans des procédures d’évaluation directes et indirectes, notamment par le biais de la réglementation des psychothérapies. Or tous les protocoles, toutes les procédures sont fondées sur l’évaluation des savoirs. Est-ce là le cœur de la psychanalyse ? Non bien sûr.
Le passage de la psychanalyse dans la culture n'est pas superposable à celui des sciences humaines, où les savoirs constitués en disputent aux rhétoriques politiques, il tient aux effets de sa transmission à l'envers des savoirs, transmission qui ne saurait être restreinte à la stricte formation des psychanalystes. Pour le dire autrement les constructions singulières de l'hystérique, déclenchées sous ce mode, n'ont pas vocation à soutenir une psychologie puisqu'elles se sont historiquement constituées en réaction à l'idée même de psychologie. Le passage dans la politique de ce nouveau mode d'expression du singulier objecte à toute possibilité d'occuper le terrain des contenus référentiels pour le collectif.
La psychopathologie, aussi intéressante soit-elle, nous semble toujours viser à construire un regroupement d’oreilles propre à soutenir un agencement anticipé du recueil de la parole. Freud en inventant l’inconscient, a ouvert de nouvelles voies, un nouvel espace entre la bouche et les oreilles. Par effet de culture cela permet au clinicien un soutien jusqu’alors méconnu pour ne pas être le simple officiant de la clinique, soit l’agent d’un retour forcené des dernières constructions de l’observable pour bien ficeler l’observé.
En ce sens, la clinique est une invention de la transmission des savoirs sur l'humain, c'est même une invention de la Faculté, peu importe laquelle. Tant mieux que des universitaires se battent et en appellent au peuple pour soutenir les choix qui relèvent de leurs débats. Tant mieux pour nous qu’aux personnages près, leurs disputes soient en écho avec nos préoccupations. Mais laisser croire à cette relation simpliste entre sauver la clinique et enseigner la psychopathologie et la psychanalyse est abusif.
 
Les enseignements n’impliquent pas les pratiques. Les énoncés issus de la psychanalyse peuvent, comme les autres, servir de prescriptions normatives s’ils s’imposent comme savoir avant toute rencontre. Il est aisé de constater par exemple que le complexe d'Oedipe peut fonctionner comme une proposition politique, avec laquelle on juge l’air du temps voire on prétend ordonner une clinique réputée « nouvelle ».
Il suffit de se promener dans les prétoires pour voir combien d'expertises rédigées par des cliniciens formés à la psychopathologie et à la psychanalyse font œuvre au quotidien de discours moralisants, bien plus grotesques et malfaisants que ceux que Michel Foucault avait qualifiés en son temps. Nous n'incriminons pas l'enseignement qu'ils ont reçu comme cause de ces élucubrations, ce que nous affirmons ici c'est qu'un enseignement, aussi ouvert et critique fut-il, ne saurait à lui seul protéger de ces déviances.
Que la psychanalyse participe aujourd’hui – à l’insu des psychanalystes ou non – à la constitution d’une clinique normative, démontre que sa subversion ne doit pas être tenue pour acquise. Ce combat n’est pas nouveau : il faut rappeler qu'elle s'est constituée historiquement contre les effets étouffants de l'assujettissement aux sciences humaines. Personne n'échappe à la théorie, et la théorie analytique n'est jamais qu'une théorie du sujet qui échappe à la théorie et pour laquelle le cantonnement aux contraintes de la langue a le mérite de rappeler avec insistance la pointe éthique de l'extension de ses effets.
 
C’est au point même que l’on pourrait renverser la proposition et soutenir que la question n'est pas de sauver la clinique mais de permettre au clinicien d'œuvrer malgré la clinique, pour ne pas dire contre les cliniques. Tout diplôme de clinicien n'est jamais qu'un diplôme autorisant à se confronter dans des circonstances variées à la clinique, lesquelles circonstances font partie intégrante de la clinique.
Défendre la Recherche contre les manœuvres diverses d’assujettissement dont elle peut être l’objet est un combat essentiel, tout comme l’est la défense de l’Université dans sa pluralité. Chacun peut l’entendre et s’y reconnaître, mais mieux vaut encore en expliciter la complexité pour que cela puisse nourrir le débat public.
Les chercheurs ont su montrer qu’ils pouvaient être menacés dans leur métier par la pression d’intérêts publics ou privés. Les universitaires et les étudiants peuvent faire valoir que les règles de l’université doivent s’appliquer aussi dans les départements de psychologie. Avec les praticiens, ils peuvent montrer l’urgence d’une mobilisation de tous contre la normalisation généralisée.




On peut prendre connaissance de la pétion sur

Le forum de Psychanalyse en mouvement Ainsi que quelques autres réfléxions ou réacions qu'elle a suscitées





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