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Politique et santé mentale : Douste Balzy

Les quatre articles qui suivent n'abordent la psychanalyse que de façon indirecte. Mais l'approche de la santé mentale étant au coeur de leur propos comme de l'actualité, ils participent à une meilleure compréhension du débat autour de la réglementation et des faits, bienfaits et méfaits de la psychothérapie dite relationnelle. Et des interrogations, craintes et mouvements soulevés par la volonté de certains de s'en approprier , pour se le réserver, l'exercice. Au détriment des psychanalystes en général et de la psychanalyse laïque en particulier.



ENTRETIEN


Philippe Douste-Blazy : "Je veux donner un nouvel élan au secteur psychiatrique"
Paru dans le Monde du 4 février 2005
http://www.lemonde.fr/web/recherche_articleweb/1,13-0,36-396884,0.html

Entretien avec Philippe Douste-Blazy, ministre des solidarités, de la santé et de la famille. Présentées vendredi, les grandes orientations du plan "santé mentale" prévoient, entre autres, de "réinvestir l'hôpital et notamment ses murs".

Que vous inspirent les déclarations de la mère du suspect, dans le crime de pau, qui affirme avoir demandé une prise en charge pour son fils, sans succès ?

D'abord, énormément de compassion. Devant ce type de maladie, il y a un sentiment d'injustice terrible des familles face à la souffrance. Je recevrai très prochainement les résultats de l'enquête de l'inspection générale des affaires sociales, diligentée au moment du drame. Je rendrai public le rapport et prendrai les décisions afférentes. Mais il faut savoir que le métier de psychiatre est parmi les plus difficiles qui soient.

Travailler dans le milieu psy, c'est être en permanence confronté à ce type d'appel au secours, avec l'obligation de différencier entre ce qui vaut une hospitalisation et ce qui ne le nécessite pas.

Quel constat faites-vous sur l'ampleur de la crise que traverse la psychiatrie ?

Le malaise de la psychiatrie, en particulier publique, est grave et ancien. Il y a une crise importante des vocations, dans cette spécialité, qui met en péril le service public. Depuis quinze ans, il n'y a pas eu de considération particulière pour l'hôpital public psychiatrique, du fait du rapport particulier qu'entretient le pays avec cette discipline. Car la psychiatrie entraîne des peurs, notamment la peur de la stigmatisation. Mais il y a un moment dans les décisions politiques où il faut des gestes de reconnaissance forts. C'est le sens des orientations que je soumets aujourd'hui à la concertation des professionnels.

Les psychiatres publics réclament un plan de sauvetage de la psychiatrie. Que leur répondez-vous ?

Mon objectif est de donner les moyens humains et financiers à l'hospitalisation complète et aux alternatives à l'hospitalisation. La première mesure phare, c'est de réinvestir l'hôpital et notamment ses murs. Il faut voir, aujourd'hui, l'état de certaines salles d'isolement des malades, qui sont à la limite de la dignité. L'environnement des patients et les conditions de travail des personnels se sont terriblement dégradés. Je veux rompre le cercle vicieux du désinvestissement chronique. J'ai donc décidé de lancer un programme massif d'investissements pour la psychiatrie entre 2005 et 2010. Je vais tripler les aides du plan "Hôpital 2007", à hauteur de 750 millions d'euros, ce qui générera une enveloppe totale de 1,5 milliard d'euros. C'est une ambition jamais égalée pour la santé mentale, et je remercie le premier ministre d'avoir compris et proposé cette priorité pour le pays. Par ailleurs, je consacre plusieurs centaines de millions d'euros à un effort de recrutement des personnels médicaux et non médicaux.

Ces vingt dernières années, les lits d'hospitalisation en psychiatrie ont été progressivement fermés. Aujourd'hui, vous déclarez un moratoire sur ces fermetures. Quel est le sens de ce changement de cap ?

D'abord, il faut réaffirmer la nécessité de privilégier les alternatives à l'hospitalisation. Ce serait un sentiment d'échec pour tous de considérer qu'un patient qui entre à l'hôpital psychiatrique doit y rester à vie. A partir de là, il est normal qu'il y ait une école de pensée, que je trouve positive, qui affirme la nécessité de sortir les malades de l'hôpital pour les soigner en ville. Simplement, on n'a pas donné suffisamment de moyens aux alternatives à l'hospitalisation pour assurer cette mission. Et je connais des psychiatres qui ne peuvent pas faire entrer de malades en crise à l'hôpital par manque de lits, ou pire, qui sont obligés de faire sortir des patients, pas encore stabilisés, pour pouvoir en accueillir de nouveaux. Il faut donc arrêter avec ces fermetures de lits car nous avons besoin de places pour les patients et de temps pour les soigner correctement.

Beaucoup de professionnels s'émeuvent des menaces qui leur semblent peser sur la politique de secteur, qui privilégie depuis quarante ans les soins de proximité. Que leur répondez-vous ?

Il n'est pas question pour moi de remettre en cause la politique de secteur. Il ne faut pas déstabiliser ce qui existe, mais au contraire le renforcer en lui donnant des moyens. Bien sûr, cet investissement doit être au service d'une modernisation non seulement des locaux mais de l'organisation des soins. Je veux donc donner un nouvel élan au secteur psychiatrique, le conforter comme base de l'organisation des soins tout en rapprochant l'offre hospitalière de la population qu'elle dessert. Il faudra aussi mieux faire travailler ensemble tous les acteurs de la santé mentale, le secteur, les psychiatres libéraux, les établissements privés. Il faudra donc s'organiser en réseau de santé, et j'attends beaucoup de la concertation à ce titre.

Les hospitalisations sous contrainte ont augmenté de 86 % entre 1992 et 2001. Faut-il réformer la loi de 1990 qui régit les modalités de l'internement psychiatrique ?

J'ai effectivement le sentiment que ce dispositif a vieilli et n'est peut-être plus aussi efficace pour la protection des patients et de la société. Les deux procédures d'hospitalisation d'office -à la demande du préfet- et d'hospitalisation à la demande d'un tiers -de la famille- pourraient être fusionnées, mais nous attendons les résultats d'une double inspection (affaires sociales et justice) pour nous prononcer. J'ajoute qu'il faudrait engager une réflexion sur l'élargissement du système de l'injonction de soins, qui existe pour les délinquants sexuels, à des patients qui commettent des délits en récidive. C'est peut-être un pavé dans la mare, mais je crois utile d'y réfléchir.

En décembre 2004, vous avez parlé d'une interdiction éventuelle de la prescription des antidépresseurs aux moins de 18 ans. Quelle est votre position aujourd'hui ?

Ma position ne change pas. Je n'ai jamais remis en cause le droit d'indication des médecins. J'ai par contre expliqué que les autorisations de mise sur le marché des psychotropes ne sont délivrées que pour les adultes et non pour les enfants. Je rappelle que le traitement de la dépression, en première intention chez un enfant, c'est la psychothérapie. Si la prescription de psychotropes s'avère nécessaire, il faut que ce soit un psychiatre qui donne le médicament. En tant que responsable de la santé publique, je préfère que ce soit une personne expérimentée qui le fasse plutôt qu'un confrère non spécialisé.

En août 2004, le Parlement a adopté, après plusieurs mois de violentes polémiques, un dispositif réglementant les psychothérapies. Qu'en est-il des décrets d'application ?

Arrêtons les procès d'intention. On ne peut pas considérer certaines sciences humaines, comme celles qui touchent à la santé mentale, comme on considère les sciences dures, comme la cardiologie par exemple. Tout n'est pas comparable, comme avait voulu le faire l'Inserm dans son rapport sur les psychothérapies. J'ai une grande estime pour ceux qui travaillent dans le champ de la psychanalyse, que personne ne remet en cause. Cela dit, la loi a été votée et nous nous sommes effectivement engagés dans une concertation sur sa mise en place. Ces négociations se passent dans un contexte dépassionné, dans le respect des uns et des autres.

Propos recueillis par Cécile Prieur




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"Plan santé mentale" de Philippe Douste-Blazy : ce qui est attendu


Paru dans l'éditon du Monde du 4 février 2005
http://www.lemonde.fr/web/recherche_articleweb/1,13-0,36-396805,0.html

Le ministre de la santé, Philippe Douste-Blazy, doit présenter, vendredi 4 février dans la matinée, les grandes directions de son plan destiné à la psychiatrie. On parle d'une enveloppe de 200 millions d'euros. Les professionnels du secteur sont déjà dubitatifs.

Le ministre de la santé, Philippe Douste-Blazy, un mois et demi après le drame de Pau, présente, vendredi 4 février, dans la matinée les grandes lignes d'un plan de santé mentale, réclamé par les professionnels de santé qui espèrent des moyens humains et financiers pour sortir de la "crise" de la psychiatrie.

Décloisonnement des intervenants médicaux, renforcement des droits des malades, programmes spécifiques pour traiter la dépression : le projet, selon un document de travail, portera sur la période 2005-2007. Le plan sera soumis à la "concertation" des organisations syndicales avant toute finalisation, alors que le ministre a déjà annoncé un moratoire sur la fermeture des lits dans les hôpitaux psychiatriques.

Ce plan devrait être doté d'une enveloppe de 200 millions d'euros, avait annoncé M. Douste-Blazy en décembre, peu après le double homicide d'une infirmière et d'une aide soignante à l'hôpital psychiatrique de Pau.

MOINS DE 9 000 PSYCHIATRES DANS 20 ANS

Il vise à répondre aux maux dont souffre le système français : "cloisonnements entre spécialistes et médecins généralistes", "recours limité aux psychologues", "insuffisance de la capacité de réponse du secteur médico-social", "forte inégalité de répartition territoriale des professionnelle" et "décroissance démographique des psychiatres", selon ce texte.

L'Observatoire de la démographie des professions de santé prévoit que le nombre de psychiatres (privé/ public) devrait passer de 13 727 aujourd'hui à 8 816 en 2025, alors que les besoins ne cessent de croître.

Le plan souhaite aussi "renforcer les droits des malades et de leurs proches", notamment par l'expertise d'une réforme du dispositif d'hospitalisation sans consentement.

Il prévoit aussi des "programmes spécifiques" pour améliorer "la prise en charge de la dépression, responsable d'une grande partie des 12 000 décès annuels par suicides", renforcer les équipes hospitalières en milieu pénitentiaire et favoriser le traitement "des personnes en situation de précarité et d'exclusion".

Professionnels et syndicats, qui redoutent des "effets d'annonce", jugent le montant annoncé de l'enveloppe (200 millions d'euros) largement insuffisant. "Cela ne représente que 2,7 % du budget annuel alloué à la psychiatrie publique, à peine plus que l'inflation !", a relevé le secrétaire général du Syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH), Jean-Claude Pénochet.

"LE DÉFICIT DÉMOGRAPHIQUE DES PSYCHIATRES"

L'Association des établissements gérant des secteurs de santé mentale (ADESM) estime qu'"il faudrait injecter un milliard d'euros pour remettre à flot la psychiatrie".

"La priorité aujourd'hui, c'est de prendre des mesures énergiques pour stopper le déficit démographique des psychiatres et des autres personnels. Il y a des régions entières qui se désertifient", a estimé le président du Syndicat des psychiatres de secteur (SPS), Norbert Skurnik, en souhaitant également que soit mieux reconnue "la pénibilité du travail".

"On ne pourra améliorer la sécurité, la qualité de la prise en charge, les alternatives à l'hospitalisation, sans les effectifs correspondant aux besoins", approuve la fédération FO-Santé.

Pour la CGT, "il faut rouvrir des lits en hôpital psychiatrique. Il ne s'agit pas d'un retour à une politique asilaire, mais de constater qu'on manque de place, ce qui entraîne des sorties prématurées", a souligné Nadine Prigent.

Avec AFP



  
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Psychiatrie : M. Douste-Blazy promet 1,05 milliard d'euros en 5 ans

Paru dans le Monde du 4 février 2005
http://www.lemonde.fr/web/recherche_articleweb/1,13-0,36-396852,0.html

Le plan présenté, vendredi 4 février, par le ministre de la santé se répartit de la manière suivante : 750 millions pour l'investissement immobilier et 300 millions pour le fonctionnement et l'emploi, d'ici à 2008.

Le ministre de la santé, Philippe Douste-Blazy, a annoncé un plan d'aide gouvernemental à la psychiatrie hospitalière d'un milliard d'euros sur cinq ans, tablant notamment sur la création de 2 500 postes médicaux et non médicaux, vendredi 4 février lors d'une conférence de presse.

Le plan représente un effort d'aide supplémentaire de 1,05 milliard d'ici à 2008, ainsi réparti : 750 millions pour l'investissement immobilier et 300 millions pour le fonctionnement et l'emploi.

Le ministre a annoncé que l'Etat entendait notamment dégager d'ici à 2008 près de 140 millions d'euros pour créer 2 500 postes médicaux et non médicaux en psychiatrie.

LES AIDES IMMOBILIÈRES TRIPLÉES EN CINQ ANS

Les aides à l'investissement immobilier hospitalier en psychiatrie, inscrites dans le plan hôpital 2007, seront triplées pour être portées à 750 millions d'euros en cinq ans à partir de 2006. S'y ajouteront 750 millions d'euros autofinancés par les établissements. Le ministre a évalué les besoins de financement à 2 milliards d'euros pour cette période.

Le ministre a également annoncé la création de 1 900 places dans les services d'accompagnement à domicile, ainsi que 1 000 places d'hébergement, prévues dans le cadre du "plan handicap", qui seront dévolues à des établissements médico-sociaux, "ce qui représente un effort de 86 millions d'euros sur trois ans".

M. Douste-Blazy a par ailleurs annoncé la création de "300 lieux d'entraide" appelés, par les associations, des "clubs". Ces "clubs" sont des groupes d'entraide mutuelle qui permettent un accueil de jours et le tissage d'un lien social grâce à des activités sportives et culturelles.

Enfin, M. Douste-Blazy a noté que le nombre de "personnes incarcérées et atteintes de troubles psychotiques" avait "quintuplé ces dix dernières années, passant de 5 à 25 %".

"300 LIEUX D'ENTRAIDE"

Le plan prévoit la création de "19 unités, appelées 'unités hospitalières spécialement aménagées' (UHSA), en collaboration avec le ministère de la justice", pour l'hospitalisation de ces détenus.

Ce plan, réclamé par les professionnels de santé, qui espéraient des moyens humains et financiers pour sortir de la "crise" de la psychiatrie, un mois et demi après le drame de Pau, vise à répondre aux maux dont souffre le système français, comme le "cloisonnement entre spécialistes et médecins généralistes", l'"insuffisance de la capacité de réponse du secteur médico-social" ou encore la "décroissance démographique des psychiatres".

L'observatoire de la démographie des professions de santé prévoit que le nombre de psychiatres (privé/ public) devrait passer de 13 727 aujourd'hui à 8 816 en 2025, alors que les besoins ne cessent de croître






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Investissements, créations de postes, formation  : les grands axes du plan


Paru dans l'édition du Monde du 5 février 2005
http://www.lemonde.fr/web/recherche_articleweb/1,13-0,36-396885,0.html

Le plan "santé mentale" de Philippe Douste-Blazy devrait être doté de 750 millions d'euros pour les dépenses d'investissement (entre 2006 et 2010) et de 280 millions d'euros pour les dépenses de fonctionnement, de 2005 à 2008.
Rompre avec le désinvestissement hospitalier.


Un "programme massif" d'investissements immobiliers pour la psychiatrie devrait être lancé à hauteur de 750 millions d'euros d'aide entre 2005 et 2010, portant à 1,5 milliard l'enveloppe globale des investissements dans ce domaine, compte tenu de ceux déjà programmés. Par ailleurs, 140 millions d'euros devraient être dégagés d'ici à 2008 pour créer 2 500 postes médicaux et non médicaux. Le nombre de praticiens hospitaliers devrait augmenter, en recrutement annuel, de 245 à 300. Une meilleure rémunération des praticiens hospitaliers dans les zones déficitaires en psychiatres est envisagée.
Améliorer la formation des infirmiers et infirmières.


Depuis 1994 et la transcription dans la loi d'une directive européenne, les infirmiers ne reçoivent plus de formation spécifique à la psychiatrie. 25 millions d'euros sont prévus pour être une formation d'adaptation à l'emploi des jeunes infirmiers et la mise en place d'un dispositif de tutorat par les plus anciens.
Développer l'offre sociale et médico-sociale.


Le ministère de la santé estime à 10 000 le nombre de patients hospitalisés (autistes adultes ou "psychotiques vieillis") qui pourraient bénéficier d'une prise en charge dans le secteur médico-social. Pour les héberger à l'extérieur de l'hôpital, 86 millions d'euros sur trois ans devraient être consacrés à la création de 1 900 places dans les services d'accompagnement à domicile ; 1 000 places d'hébergement en établissements médico-sociaux seront prioritairement attribuées aux malades mentaux et 300 clubs d'entraide seront créés.
Améliorer la prise en charge de la dépression.


Pour M. Douste-Blazy, "nombre de personnes qui prennent un antidépresseur n'en ont probablement pas besoin. A contrario, moins de la moitié des personnes souffrant de troubles dépressifs graves sont pris en charge.". Une campagne grand public est prévue pour "expliquer aux Français la différence entre la tristesse et la dépression et que les antidépresseurs ne sont pas forcément une bonne réponse à la tristesse".

Par ailleurs, des recommandations de bonnes pratiques, élaborées avec l'ensemble des sensibilités de la psychiatrie française, dont la psychanalyse, seront diffusées aux professionnels de santé pour repérer les troubles dépressifs.
Rattraper le retard pris en pédo-psychiatrie.


11 millions d'euros devraient être enfin consacrés à la création de lits d'hospitalisation complète en psychiatrie infanto-juvénile dans les dix départements qui en sont dépourvus. Une extension des Maisons des ados est envisagée, avec le soutien de la Fondation de Paris-Hôpitaux de France. Le ministère souhaite aussi repérer la dépression dans les établissements scolaires en sensibilisant les enseignants au repérage des modifications comportementales.

Cécile Prieur




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Confronté à la violence sociale, au corporatisme, à la bureaucratie... le secteur est en crise.
Psychiatrie, l'asile est de retour

Par Paul MACHTO


Paru dans Libération du 20 janvier 2005
http://www.liberation.fr/page.php?Article=270644&AG

 

es réactions au drame de Pau ont montré l'ampleur de la catastrophe qui atteint toute la psychiatrie, publique et privée. Depuis plusieurs années, il n'est pas un congrès, un colloque, au cours desquels ne soit évoquée la «destruction» de la psychiatrie. Le point d'orgue en fut les états généraux de juin 2003 à Montpellier. L'inflation des nouvelles demandes faites à la psychiatrie, amplifiée par la psychologisation des difficultés survenant dans le champ social et dans la sphère privée, doit être interrogée. Après l'affaire de la réglementation des psychothérapies, voilà un chantier qui doit provoquer une remise en question des politiques, des psychiatres et des soignants ; cette crise dépasse le champ psy : elle concerne le lien social lui-même.

Ce qui est en question, c'est la transformation de la psychiatrie, l'abandon de sa dimension humaine, pour s'adonner à la technique. Quelle politique est à l'oeuvre dans le champ de la pratique ?

La violence s'est installée dans les hôpitaux tout comme elle fait partie de la vie quotidienne ­ les hôpitaux, comme l'école, ne sont pas isolés du social. Elle est directement liée à la précarisation, à la pauvreté du politique, à la dureté du libéralisme économique. Elle s'exhibe aussi sur les écrans, prenant parfois l'aspect de la terreur aveugle.

Dans les hôpitaux psychiatriques, du fait de la pénurie des effectifs, les soignants sont confrontés, à des situations de plus en plus difficiles, et, dans le désarroi qu'elles génèrent, des réponses à courte vue sont envisagées, parfois se mettent en place : pavillons pour malades «difficiles» (?), «perturbateurs» (?) ; vigiles avec chiens ; élaboration de procédures pour mise en isolement ; recensement d'«événements indésirables» ; multiplication des chambres d'isolement.

Une véritable régression est à l'oeuvre et ceci malgré le développement des traitements psychotropes, les progrès psychothérapiques et psychanalytiques dans l'approche des psychoses, l'existence de la sectorisation. Certains psychiatres vont jusqu'à avancer des propositions de nouvelles ségrégations par pathologies ! (1)

Pourtant, un jeune interne, Philippe Paumelle, s'appuyant sur les pratiques de psychothérapie institutionnelle, avait écrit sa thèse sur des «Essais de traitement collectif du quartier d'agités» (2). C'était en... 1951 ! Et les neuroleptiques n'existaient pas encore dans les HP.

Le mouvement créé après la guerre par un petit nombre de psychiatres allait aboutir à la politique de secteurs et, en 1969, à la séparation de la psychiatrie et de la neurologie. Autonomie de la psychiatrie au sein de la médecine, mais toujours remise en cause. En effet, un vaste mouvement de remédicalisation s'est opéré depuis vingt ans avec la disparition de l'internat de psychiatrie, la suppression du diplôme d'infirmier psychiatrique. La formation des psychiatres s'organise dans des services de CHU, souvent très médicalisés. Les apports de la psychanalyse sont combattus violemment par les tenants des thérapies comportementales. Pour l'acquisition du diplôme infirmier, seuls deux mois de stage sont nécessaires !

A cela s'ajoute la suppression de la dimension soignante dans la formation et la pratique des cadres de santé (les surveillants infirmiers) ; ils sont assignés à une position de stricte gestion administrative, avec parfois les outrances bureaucratiques dans lesquelles certains se complaisent ! Il en découle de terribles pressions sur les personnels, des luttes de pouvoir, voire de défiance vis-à-vis des médecins. Il faut reconnaître cependant que ces derniers, dans leur majorité, ne sont pas indemnes de responsabilité dans ces conflits de pouvoir. La collégialité, le savoir-faire infirmier, ne sont pas suffisamment pris en compte, ce qui génère frustrations, rancoeurs. Quant aux directeurs des soins, nouvelle appellation des infirmiers généraux, ils sont de véritables courroies de transmission de l'administration pour faire appliquer les politiques économiques et comptables. Ainsi une chaîne de pression opère dans toute l'organisation hospitalière.

Un fonctionnement bureaucratique est également à l'oeuvre dans les établissements : il n'est question que de procédures, de protocoles, qui visent à uniformiser les pratiques, véritable entreprise de mise aux normes. L'évaluation devient un simulacre, l'Anaes le Big Brother du XXIe siècle. Cet ensemble est exacerbé dans les processus d'accréditation des établissements hospitaliers. Les «transmissions ciblées» instaurent une novlangue, une attaque du discours clinique est entreprise : ce nouveau «concept», appliqué à la psychiatrie, vise explicitement à «un gain de temps», à ne plus «se perdre dans le narratif», à gommer toute subjectivité : le discours du patient doit être formaté pour être consigné et réduit dans le dossier.

A tout cet ensemble, s'ajoute la question de la pratique proprement dite : la place des psychotropes, devenue prépondérante, rejetant dans l'oubli, voire dans le mépris, l'approche institutionnelle, collective. Les laboratoires pharmaceutiques ont mis au point des stratégies très fines pour séduire les psychiatres, investissant le champ de la formation continue, suscitant de façon très sophistiquée des demandes afin de proposer leur offre (par exemple en direction des familles de patients). L'obsession de la durée de séjour, les «externements arbitraires», l'absence d'activité pour que les patients ne prennent pas trop goût à l'hôpital (sic), auxquels s'ajoute la dissociation du sanitaire et du social pour les patients psychotiques, ont conduit au règne du «fast-traitement», à la psychiatrie «moderne» ! Les patients les plus lourds se retrouvent souvent à la rue, clochardisés, au mieux dans des hôtels sordides, ou dans les prisons ! Cette politique des soins est le résultat du détournement de la critique de l'asile des années 70. Certains psychiatres s'en sont faits les hérauts en prônant une installation de la psychiatrie dans les hôpitaux généraux, les traitements obligatoires à domicile mais en ignorant totalement ce qu'il en est de la logique asilaire. L'asile est bien de retour.

Ce dont nous avons peut-être le plus besoin aujourd'hui, c'est un mouvement, un débat, qui viendraient remettre vigoureusement en cause le nouvel ordre technico-médical et administratif, ainsi que le corporatisme, qui nous ont apporté les merveilles du paysage psychiatrique actuel.

(1) Tel J.-C. Pascal, coauteur du funeste rapport dit Cléry Melin, demandé par le précédent ministre de la Santé.

(2) Voir le rapport de l'Inserm publié en 2004 sur l'évaluation des psychothérapies. Libération s'en est fait l'écho.

Paul Machto
psychiatre- psychanalyste.

06/02/2005
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