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J.P. Sueur Avant-projet de décret sur le titre de psychothérapeute

 Remarques sur l’avant-projet de décret sur le titre de psychothérapeute

Jean-Pierre Sueur



Après définition par la loi de la « vérité historique », assistera-t-on à la « validation scientifique » par voie de décret ? Telle est l’une des nombreuses questions que pose l’avant-projet de décret relatif à l’usage du titre de psychothérapeute publié le 10 janvier dernier par les ministères de la Santé et de l’Education Nationale.

Mais avant d’en venir à l’examen de ces questions, une remarque liminaire me paraît s’imposer.

On ne peut comprendre le débat qui s’est cristallisé autour de l’ « amendement Accoyer » que si l’on distingue les différentes lectures, indissociables les unes et les autres, auxquelles renvoie l’écriture, mais aussi l’existence même de ce texte.

Il y a d’abord la lecture la plus apparente, que l’on peut résumer ainsi : il n’est pas raisonnable que l’usage du titre de psychothérapeute relève de l’autoproclamation ; compte tenu des dégâts que peuvent entraîner les pratiques menées par des personnes ne disposant pas des compétences requises et se réclamant pourtant du titre, il est sage de fixer des conditions d’accès à ce titre. Ces assertions relèvent évidemment du bon sens. Et s’il ne s’agissait de cela, il serait finalement assez simple de partir de l’existant et de lister, en lien avec les professionnels concernés, les formations et les validations d’expériences susceptibles de constituer les garanties que l’on prétend apporter.

Mais là n’est pas l’enjeu véritable du texte. Sinon, on ne comprendrait pas pourquoi l’amendement, dans ses versions successives, s’est focalisé sur l’attribution « de droit » du titre de psychothérapeute aux médecins, aux psychiatres, aux psychanalystes et aux psychologues. J’ai montré ailleurs1 que cet enjeu véritable – cette autre lecture du texte – consistait à établir la tutelle d’une école psychiatrique sur la psychiatrie, puis de la psychiatrie ainsi « traitée » sur toute psychanalyse et psychothérapie relationnelle possible, les psychothérapies étant finalement l’alibi de prises de pouvoir successives dans les champs de la santé mentale et de l’université.

Il est aisé de voir que la plus élémentaire distinction – si familière à tous ceux qui se réclament de la sphère « psy » - non pas entre le dit et le non dit (puisqu’en l’espèce tout est dit), mais entre, pour simplifier, le conscient et l’inconscient, permet de mettre en doute (et en cause) l’attitude de ceux qui dans le champ politique et dans les champs professionnels concernés s’évertuent à ne voir dans cette affaire que l’apparent « bon sens », ignorant délibérément l’autre lecture sans laquelle la première n’existerait pas.

A ceux qui en douteraient encore, l’analyse de l’avant-projet de décret vient apporter une confirmation, puisque l’enjeu en termes de pouvoir y est écrit avec une étonnante brutalité. J’évoquerai successivement quatre aspects de ce texte.

1- La phrase-clé

Il y a d’abord la phrase-clé, la plus importante du texte, qui figure à l’article 8, où on lit que le « professionnel souhaitant user du titre de psychothérapeute » devrait acquérir : « une connaissance des quatre approches de psychothérapies validées scientifiquement (analytique, systémique, cognitivo-comportementaliste, intégrative) ».
Cette phrase-clé est un morceau d’anthologie. De même que l’hygiénisme sous-jacent à l’amendement Accoyer avait pour fonction de valider un primat du médical et du comportemental dans l’analyse, la compréhension et le traitement de toute souffrance psychique, l’avant-projet de décret vient poser, de façon plus grossière encore, la « validation scientifique » des « approches » de la psychothérapie. La « validation scientifique » par voie de décret : on n’y avait pas pensé ; on avait certes connu cela en d’autre temps ; mais on n’avait pas cru – ou n’aurait pas cru – qu’ils oseraient !

Ils ont donc osé. Comme l’a dit aussitôt Roland Gori, on veut « instaurer une psychothérapie d’Etat »2. Et la liste des quatre courants inscrits entre parenthèse est, bien sûr, un discours-programme. Cette juxtaposition est tout sauf neutre. D’abord, comme l’a expliqué Elisabeth Roudinesco, « c’est l’Etat qui définit - quatre courants, qu’il dit validés scientifiquement ». Le premier courant étant « analytique » ce qu’on est censé comprendre comme signifiant « psychanalytique » (ce n’est évidemment pas un hasard si l’on n’écrit pas le mot) -, alors même que « la psychanalyse ne s’est jamais définie comme une science » 3. Sur le même plan que la (psych)analyse, donc, à peine séparée d’elle par l’approche systémique dont aimerait connaître selon quelles modalités elle est « validée scientifiquement », apparaît évidemment - on l’attendait, on la voyait venir, c’est pour elle que tout cela était écrit ! – l’approche « cognitivo-comportementaliste ». Nouvel avatar du rapport de l’INSERM, dont on a dit ailleurs4 comment – et pour quelle fonction – il avait été construit et écrit, les TCC sont une nouvelle fois « validées scientifiquement », par décret cette fois.

On aimerait également comprendre en quoi la régression vers le behaviorisme que constitue le néo-comportementalisme se trouve validé par le développement des sciences sociales depuis un demi siècle. On aimerait encore comprendre quel est le fondement théorique de la mise sur le même plan de la (psych)analyse et des TCC. Mais on voit très bien quelle est la fonction de cette « fausse fenêtre » : elle est de donner aux TCC, non seulement une place éminente, mais la place essentielle dans l’appareil de la formation et le système universitaire. C’est évidemment une nouvelle attaque contre la psychanalyse dont on pouvait penser (dont on avait même pensé dans les premières versions de l’amendement Accoyer) que sa connaissance et sa pratique pouvaient fonder l’exercice de la psychothérapie. Et pour faire bonne mesure, on ajoute aux trois approches pré-citées une quatrième, dénommée « intégrative », dont on ne voit pas trop ce qu’elle est, et par voie de conséquence en quoi elle serait « scientifiquement validée ».

En bref, les quatre piliers du décret sont alignés pour le besoin de la cause. La « validation scientifique » dont il est question est strictement du même ordre (a la même fonction et la même mission) que dans le rapport de l’INSERM. Pour être clair, on utilise le mot science pour asseoir la domination des TCC : c’est évidemment le but de l’avant-projet de décret, le reste n’étant qu’habillage.

2- La contradiction

Nous avons montré par ailleurs4 que la dernière version de l’amendement Accoyer, et donc l’article 52 de la loi du 9 août 2004 relative à la santé publique, était contradictoire dans ses termes et qu’il n’était pas possible d’écrire un décret sur la base d’un texte aussi contradictoire.

L’avant-projet du décret vérifie notre analyse.

On y lit dès l’article 2 que « les professionnels visés au troisième alinéa de l’article 52 » devront pouvoir fournir « l’attestation de la certification de la formation en psychopathologie clinique » prévue par l’article 7 de l’avant-projet.

Or le troisième alinéa de l’article 52 de la loi dispose que « l’inscription sur la liste visée à l’alinéa précédent est de droit pour les titulaires d’un diplôme de docteur en médecine, les personnes autorisées à faire usage du titre de psychologue (…) et les psychanalystes régulièrement enregistrées dans les annuaires de leurs associations ».

Il est clair que si l’inscription est « de droit » pour les professionnels qui viennent d’être cités, elle ne saurait dépendre d’aucune condition supplémentaire. Il s’ensuit que l’avant-projet de décret est contraire au troisième alinéa de l’article de loi.

On rétorquera qu’il est conforme au quatrième alinéa. Mais le quatrième alinéa est contraire au troisième : la contradiction est – nous le disons depuis le début ! – inscrite dans la loi.

Dès lors, il ne revient pas à l’auteur du décret d’arbitrer entre les deux alinéas. Il est juridiquement impossible de considérer que le troisième alinéa n’est pas la loi. Il est d’essence législative aussi bien que le quatrième. Il doit s’appliquer.

Le décret a pour objet de permettre l’application de la loi. Il ne saurait avoir pour objet de la ré-écrire.

On voit donc qu’à l’incohérence théorique vient s’ajouter une incohérence juridique.

3- Les annuaires

Alors qu’une partie des psychanalystes pensait pouvoir se prévaloir du titre de psychothérapeutes «  de droit », cela deviendrait impossible si l’avant-projet de décret était publié et surtout s’il n’était pas modifié ou annulé par le Conseil d’Etat en vertu de l’incohérence juridique précédemment évoquée.

Mais ce n’est pas tout.

Les psychanalystes qui voudront, dans cette hypothèse, se prévaloir de ce titre devront fournir l’ « attestation » de leur « inscription à un annuaire d’associations de psychanalystes ».

Cela présuppose que toutes les associations de psychanalystes soient d’accord pour fournir aux ministères concernés leurs annuaires.

Cela présuppose, en outre, que la notion d’ « association de psychanalystes » soit juridiquement définie.

Or, ce n’est pas le cas puisqu’à notre connaissance le terme « psychanalyse » apparaît pour la première fois dans la loi avec l’article 52 de la loi du 9 août 2004.

Rien n’empêche (c’est déjà en cours) que des sociétés de psychothérapeutes ne s’ouvrent aux psychanalystes et inversement, voire changent de sigle, dès lors que l’on sait que nombre de psychothérapeutes ont été analysés, et remplissent donc les conditions pour s’appeler « psychanalystes ».

On risque donc de voir se multiplier conflits, confusions, et stratégies parfaitement légales et réglementaires de contournement de l’objectif apparent de l’avant-projet de décret.

4- Les professions

L’évocation à l’article 2 de l’avant-projet à la production, le cas échéant, d’un « diplôme relatif à une profession réglementée dans le champ sanitaire et social » demande à être explicitée. Elle n’est sans doute pas anodine.

Elle nous met sur la voie d’une quatrième contradiction.

L’objectif affirmé de l’amendement Accoyer était d’accroître la formation des psychothérapeutes.

Or l’effet de l’ensemble du dispositif risque fort de se traduire par une réduction du temps de formation d’un certain nombre de professionnels de la santé mentale.

Car, finalement, si l’avant-projet était publié en l’état, cela se traduirait inéluctablement par la création d’un corps de professionnels moins bien formé que les psychiatres, psychanalystes et que nombre de psychothérapeutes aujourd’hui en fonction. D’où la remarque de Philippe Grauer : « On est en train de fabriquer des sous-officiers de santé mentale pour remplacer des psychiatres qui disparaissent »5.

Conclusion provisoire

Cet avant-projet de décret est le quatrième avatar (après le rapport de l’INSERM, l’amendement Accoyer et le Livre noir de la Psychanalyse) d’une opération parfaitement cohérente.

Il s’agit d’une opération « terre brûlée » qui consiste, en se fondant sur la domination progressive, au sein de la psychiatrie, de ce nous appellerons la « tendance TCC », à établir le primat des TCC sur toutes les formes de psychanalyse et de psychothérapie relationnelle et à substituer aux psychiatres en nombre insuffisant, à une partie des psychanalystes et au plus grand nombre possible de psychothérapeutes, des praticiens de rang intermédiaire – « sans officiers » en effet - formés sur la base de l’efficience à court terme attendue des techniques comportementalistes.

Tout dépend après tout de l’idée qu’on se fait du psychisme, de la souffrance psychique, de ses causes et des remèdes qu’elle appelle. Si l’on pense que cela relève d’un fonctionnalisme étroit et de procédures mécanistes, on peut, en effet, se satisfaire de l’avant-projet de décret. Mais quelle régression !





 Jean-Pierre SUEUR



 Sénateur du Loiret




Notes


1- « Place Nette », La Règle du Jeu, n°30 Janvier 2006, p 292-295

2- Le Monde, 12 janvier 2006

3- Libération, 11 janvier 2006

4- « Psychanalyse et politique : histoire d’un amendement », Psypropos, nov 2004 ; « une nouvelle chasse aux sorcières » (avec Jack Ralite), Le Monde, 10 septembre 2005 repris dans E. Roudinesco « Pourquoi tant de haine ? », éd. Navarin, 2005.

5- Libération, 11 janvier 2006.





Éléments d'un débat janvier 2004

Chasse aux sorcière.. ? Jack Ralite et Jean-Pierre Sueur

Article 52 Novembre 2005 publication des décrets

Article 52 réactions dans la presse janvier 2006

Article 52 L'avant-projet gouvernemental janvier 2006

Le verbatim de Philippe Grauer et les participants

Une lettre du Groupe de Contact au ministère de la Santé en date du 19 juillet 2005

Winnicott et la thérapie comportemental

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26/01/2006
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