Chaque visage est le Sinaï d'où procède la voix qui interdit le meurtre - Lévinas

Un débat: extraits

Une Agora a été organisée le 27 mars par l'nter-associatif européen (de psychanalyse):

Très fournis, les propos de cette journée ont été enregistrés et retranscrits par Clara Kundé et Patrick Belamich
Notre attention flottante nous a permis de ne pas tout relever... mais de vous en proposer cependant quelques morceaux choisis en toute partialité...
parce que le coeur nous en dit
que la liberté à la fois nous l'ordonne et l'autorise

Ce choix nous semble tout à la fois:
- rendre-compte de cette réunion en particulier, bien sûr, mais surtout, de façon plus générale, refléter un nombre important des problèmes soulevés à la suite du vote fin 2003 de l'amendement "Accoyer" .
- avoir une valeur d'information pour le novice sur certains points qui agitent une partie de la société analytique depuis plus longtemps.
- permettre une présentation panoramique non exhaustive de ce qui s'est joué autour de cet amendement en termes de psychanalyse...
- épargner une lecture parfois lassante pour les "non initiés"...
à laquelle cependant chacun, s'il le souhaite, peut se livrer...
- éclairer sur certaines dissensions ...
- et enfin, favoriser certaines pespectives auxquelles nous sommes plus sensibles... ! Parce que nous apprécions le point de vue de leur auteur ou parce qu'il nous est apparu important de les souligner pour une meilleure approche de quelques problématiques essentielles ...



Inter associatif texte établi par Clara Kundé et Patrick Belamich
http://www.oedipe.org/fr/actualites/agora/agora1

D'une très longue et instructive introduction de Françoise Wilder à ce débat nous avons choisi ....

"(...) Qui a fait l'invitation ? Eh bien, c'est un petit comité, coopté dans une des coordinations de l'Inter-Associatif Européen de Psychanalyse qui se réunit à peu près quatre fois par an, avec des délégués de chacune des associations qui en est membre. Je veux dire, puisque nous n'avons pas de papier et de tableau pour écrire le nom des associations, je vais le dire. Sont membres de l'Inter-Associatif Européen de Psychanalyse, qui a été fondé il y a dix ans à Bruxelles, sont membres de ce regroupement, qui n'est pas une association justement :
Analyse Freudienne, L'Association de Chengdu (qui est en Chine, et cependant européenne), L'Association Lacanienne Internationale, L'Association Luxembourgeoise d'Etudes analytiques, Les Cartels Constituants de l'Analyse Freudienne, Le Cercle Freudien, L'Ecole Belge de Psychanalyse, Errata, Espace Analytique, Le Groupe Antillais de Recherche, d'Etudes et de Formation Psychanalytiques, Le Groupe d'Etudes Psychanalytiques de Grenoble, Insistance, Invenzio Psicoanalitica, Le Mouvement du Coût Freudien, Psychanalyse Actuelle, Psychoanalytisc Creds (qui est une association danoise), Questionnement Psychanalytique (qui est une association belge), Les Séminaires Psychanalytiques de Paris, La Société de Psychanalyse Freudienne.

Il y a dans cet Inter 13 associations françaises et 7 associations qui ne le sont pas. La petite commission de six membres a été cooptée au sein de la coordination au mois de novembre. Elle a été cooptée avec la charge de suivre l'actualité qui nous sollicitait à ce moment-là. La décision de faire une Agora vient de cette cooptation. Elle a été proposée à la coordination la plus récente qui était au mois de février.

Alors s'il est facile d'introduire – parce que ça a un caractère d'évidence – une initiative quand une association la prend, il est difficile de l'introduire quand on est vingt et il est difficile surtout de l'introduire quand on se trouve à vingt à avoir des positions différentes. Les positions différentes n'empêchent pas, dans la coordination de l'Inter-Associatif Européen de parler ensemble, et de parler ensemble depuis dix ans, même quand cette différence nous met en opposition. Aussi, je dois signaler que l'une des associations, membre de l'Inter-Associatif a choisi de ne pas inviter à l'Agora. Il s'agit de l'Association Lacanienne Internationale. Elle nous l'a fait savoir et donc nous le disons.(...)"
Que soutiennent les délégués de l'Inter-Associatif ? Ils soutiennent le trait d'union qu'il y a entre Inter et Associatif. Ce trait d'union, c'est la petite consistance qui est la nôtre. Nous ne sommes pas une supra-association ; nous n'avons pas de bureaux, pas de conseil d'administration. Nous avons un secrétariat de coordination qui change tous les six mois et qui est régulièrement assuré par une association française et une association qui ne l'est pas – ensemble donc. En ce moment, ce sont nos collègues du Cercle Freudien et nos collègues d'Invenzio Psicoanalitica, qui est une association psychanalytique de Barcelone. Nous ne sommes même pas une association de ces associations dont je viens de lire le nom. Je répète donc que ce qui est soutenu, c'est le trait d'union entre Inter et Associatif. Il ne s'agit donc pas de produire une position qui serait dans le débat actuel une position de l'Inter-Associatif. En tout cas, nous n'avons pas prévu cela : de produire une position de plus. Ça n'est pas parce que nous nous l'interdisons ; c'est tout simplement parce que ça nous est impossible. Ouf !
Alors qu'est-ce qu'on va faire ? On va mettre au débat – et je souligne le mot débat – ce que l'actualité mobilise entre nous, c'est-à-dire entre les partenaires que nous sommes. Et dans ce débat, chacun est invité à parler d'expériences. On pourrait, de la réalité de notre partenariat, déduire un principe selon lequel les associations de l'Inter-Associatif Européen de Psychanalyse auraient le principe qu'aucune d'entre elles ne suffit à soutenir les enjeux de la psychanalyse, aucune n'y suffit toute seule. On pourrait aussi en déduire le principe de ce fonctionnement que je viens de décrire, que chacune des associations, les associations plutôt, s'intergarantissent les unes les autres dans leur rapport à la psychanalyse et à cause du partenariat de travail qui les lie. Ce seraient des principes. La réalité est tout autre, et nous le savons tous.

Nous reconnaissons-nous entre associations également dignes de porter au public les signifiants qui sont les nôtres ? C'est une question. Avons-nous la même considération pour telle ou telle association ? C'est une question. La réalité, vous la connaissez, c'est que les grandes, les moyennes et les petites associations n'ont pas la même considération les unes pour les autres. L'expérience le montre. Mais que chaque association de l'Inter peut accepter que seule elle ne soutient pas les enjeux de la psychanalyse. Ça, je dirais, c'est quand même quelque chose à quoi nous tenons, bon gré mal gré. Evidemment, une association ou deux ou trois peuvent, à certains moments, penser qu'elle les soutient à elle toute seule, eh bien, tous les enjeux de la psychanalyse. Ça soulève, ça fait sourire, ça fait rire ou ça met en colère. Mais enfin, le rire est un bon modérateur de la concupiscence, comme disait Pascal. Donc la concupiscence se trouve dans notre partenariat de travail modéré, mais elle existe.

Maintenant, pourquoi un débat et pourquoi ce débat ? Eh bien, pourquoi un débat ? C'est pour tâcher de penser ce qui nous arrive. La situation à laquelle nous nous trouvons, comme psychanalystes, confrontés nous dépasse, et nous le savons. Comme psychanalystes membres d'associations aussi. Et c'est bien parce que comme psychanalystes membres d'associations nous savons que cette situation nous dépasse, que nous avons besoin aussi d'en débattre avec des analystes qui ne sont pas membres d'associations. Nous sommes concernés au titre de ce que Freud appelait « l'analyse laïque », conjonction particulière entre guérir et chercher, comme il l'écrivait (...)

(...) Je vais lire un petit passage de la lettre que nos collègues danois nous ont adressée pour qu'elle soit communiquée : « Nous avons déjà, écrivent-ils, au sein de l'Inter-Associatif Européen, soulevé cette question de la modernité à plusieurs reprises. Etant citoyens d'un pays qui, à cet égard de développement, se trouve peut-être à précéder la France dans l'insécurité du scénario futur, nous pensons tout franchement que la situation actuelle (projet de réglementation législative) dépend directement de certains traits majeurs qui opèrent dans la modernité de la société moderne. Même si certaines initiatives politiques et législatives frappent de fait la psychanalyse et son bon fonctionnement, nous ne pouvons nous permettre de succomber à l'idée paranoïde qu'elles soient dirigées contre nous. Ecartons aussi l'hypothèse du malin génie qui nous tromperait dans la tentative d'y comprendre quelque chose. L'initiative politique est simplement et aveuglément l'effet d'une lente transformation du statut de la réalité politique – santé, bien-être, droit de l'individu, etc. – dans la société. Elle est l'effet aussi d'une mise en place d'un critère d'efficacité qui se met en place dans le système de la rationalité de la société ambiante. L'Etat, à cet égard, ne fait rien d'autre que d'exprimer ce qui est déjà là. Le législateur n'est pas contre nous, tout comme il ne peut non plus être pour nous ; il articule simplement ce qui est déjà là implicitement. A cet égard, il nous semble que notre discussion inter-associative ne concerne pas, et pas seulement, l'initiative législative française actuelle, mais toute la question de la psychanalyse comme incarnant le malaise dans la civilisation. La psychanalyse se trouve de fait en rupture avec certaines idées fixes de la modernité. Et, partant de là, la question de l'inconscient prend des accents tout nouveaux et dérangeants par rapport à cette rationalité d'Etat – santé, bien-être, individus – sauvée de son inconscient. Si la psychanalyse assume cette éthique du bien-dire dont il est question dans la convocation à l'Agora, elle ne peut pas en même temps œuvrer pour le bien-faire ou le bonheur, si ce n'est par accident. Avec nos meilleurs souhaits. » (...)


(...) Quelle est la nécessité des associations ? C'est une question sérieuse. Moustafa Safouan souhaitait nous en parler ; il n'est pas là. Il avait un engagement précédent qu'il avait oublié quand il nous avait donné son accord. Mais il me disait : « Poser la question de la nécessité des associations est bien différent, a une tout autre portée que poser la question de l'obligation à y être inscrit. » Quels sont les modèles associatifs ? Il y en a plusieurs. Nous le voyons bien. Il y a des écoles, il y a des sociétés, il y a des mouvements, il y a des cartels, il y a des noms divers parmi nous. Et vous le savez vous-mêmes, quand je lisais la liste tout à l'heure de nos associations, vous l'avez entendu : il y a des noms plutôt croquignolets, des noms qui datent de certains moments d'après la dissolution, des signifiants. Et puis des noms très sérieux, très repérables aussi de sociétés, d'associations. Mais enfin, nous avons aussi d'autres noms, des petits noms lacaniens. Moi j'appelle ça comme ça : nos petits noms lacaniens. (...)

(...) Alors faire partie d'une association, c'est d'abord une question analytique. Il y a plusieurs niveaux à penser la question de l'association : c'est d'abord une question analytique. C'est sans doute d'abord une question de la cure ; c'est aussi une question sociale ; c'est aussi une question politique. C'est ce que le plan de notre travail propose. Il y aura ce qu'on appelle classiquement des tables rondes. La première, c'est « Le psychanalyste et l'institution ». Je suis en train de lire le mot institution où je croyais trouver le mot association. C'est intéressant, parce qu'en effet, une institution c'est autre chose. « Les institutions entre elles ». Le troisième, c'est : « Les associations, quelle histoire. » On retrouve le mot association. Le quatrième, c'est : « La psychanalyse, les psychanalystes et la modernité culturelle et sociale ». Voilà ce qui nous sert de plan sans exagérer.

Elles se succèderont. A la tribune on parlera 15 à 20 minutes, mais pas plus, parce qu'il faut qu'il y ait un rythme. Commencez par où on va ; ne commencez pas quelle conclusion il y aura à tout ça, et s'il y en aura une. Il faut au moins soutenir un rythme. Donc il y aura un rythme. On va essayer en tout cas. De la salle on parlera aussi et on le souhaite. (...)"

Après l'introduction:

Table ronde n° 1 "Le psychanalyste et l'institution"
réunissant Jean-Jacques Moscowitz et Guy Ciblac, présidée par Daniel Bonetti et Françoise Wilder1.

Jean-Jacques Moscovitz : 
"(...) Et il est vrai que cette psychiatrie-là veut mettre la psychanalyse en son intérieur par cette prise en main des psychothérapies par le biais de la psychiatrie, celle des experts. Le rapport de l'INSERM la donne sous un nom qui est assez offensant pour les psychanalystes : la psychanalyse est devenue dans ce rapport que vous avez lu : psychothérapie psychodynamique. Le mot même de psychanalyse pratiquement disparaît, bien que ce rapport soit apparemment bienveillant vis-à-vis des analystes. Mais, ce n'est qu'astuce pour nous faire taire. Tout simplement.(...)

(...) En tout cas, c'est cette sorte de prise en main de la psychiatrie sur la psychothérapie qui fait que l'analyse, les psychanalystes, leurs associations-se sont retrouvés secoués dans un choc, comme on l'a dit dans notre annonce, qui n'a pas son pareil depuis 1945.(...)

(...) Ces amendements, quels qu'ils soient, restent problématiques et pas simplement pour la psychanalyse, la psychothérapie, la psychiatrie mais aussi, le rapport Perben le montre, pour le droit et d'autres disciplines, la pléthore même de tels amendements est indicative que l'Etat se veut gérant de l'intime. Mais on ne va pas juger du gouvernement, qui va d'ailleurs probablement être jugé demain, avec les élections régionales...

(...) Pour être schématique, disons qu'il y a deux grandes oppositions qui nous concernent. Un pôle est irréductible aux deux autres.
« le symptôme psy » .

Il consiste à regrouper les quatre psy: psychologues, psychiatres, psychanalystes, psychothérapeutes sous la même enseigne, et par là même d'aboutir à l'idée fausse d'une production de quelque « psycho-pouvoir », de donner pouvoir au psychisme, voire même de s'attribuer un Office national du psychisme. C'est là-la position, je ne crois pas me tromper de le dire, de Jacques-Alain Miller et de celles et de ceux qui le suivent. Ils s'y trouvent pris. Et par conséquent, pour cette raison-là, encore une fois comme au moment de la Dissolution de l'EFP en janvier 1980, pour les analystes que nous sommes, il me semble qu'on ne peut pas envisager un quelconque contact avec ceux qui prétendent se soutenir de ce symptôme psy et de vouloir le maintenir.

Restent les deux autres pôles qui sont pour le coup bipolaires, et qui peut-être excluent d'eux-mêmes ce premier pôle , ce « symptôme psy » . Quelles sont les deux sortes d'actions face à à ce qui s'est passé ? L'une, appelons-là « groupe de contact ». Il est issu de questions cliniques – il faut le savoir – c'est quand même issu de personnes qui se sont retrouvées pour parler de clinique analytique, de différents bords. On ne va pas en faire l'histoire, d'autant que ça circule sur le net. Ceux de ce groupe de contact sont donc allés voir les ministres, ils ont voulu le faire et ils l'ont fait. Et puis l'autre tendance qui semble s'opposer à ce groupe de contact, ou à ce qu'a fait ce groupe de contact, qui s' appelle par ceux qui le signent, le Manifeste : que ce soit « le front du refus » soutenu par les Etats-Généraux de la Psychanalyse, ou le Manifeste soutenu à partir de textes de Chaumon, Porge, Léeès et d'autres.

Là existe quelque chose de dialectisable. Je le souhaite. Je pense qu'on peut y arriver. Nous sommes encore avant le 7 avril qui va nous donner la réponse définitive du Parlement, et on verra bien après. Mais je crois que de l'après, on peut déjà en parler un peu.(...) "

Guy Ciblac 
"(...) Donc ma question a été : comment reprendre la question de ce qui ferait la spécificité de l'analyse et de son lien avec le supposé extérieur à l'analyse ?
Un petit préambule : je crois que le refus d'une réduction de l'humain à du comptable n'est pas une lutte spécifique à l'analyse. Je pense que cette lutte est à situer dans le prolongement d'une résistance aux tentatives totalitaires. Par contre, ce qui semble nouveau, c'est que cette perversion se présente, ou veuille s'identifier comme l'idéal démocratique. Ça, c'est une véritable question. Je pense que là il peut y avoir un public beaucoup plus large à soutenir cette position. C'est très grave et il y a lieu d'être tout à fait intransigeant. Il est évident que la psychanalyse, si on peut dire les choses comme ça, ne saurait apporter son soutien, ou sa participation à la tentative de classification et d'évaluation. Mon idée est qu'il se pourrait même qu'un jour le lieu de l'analyse soit l'ultime point de solidité dans cette lutte. C'est une hypothèse. Et alors c'est définir l'analyse dans un territoire très particulier.

(...)

Jean-Jacques Moscowitz : C'est pour reprendre ce que vient de dire Ciblac, et aussi ce qu'ont dit Thierry Perlès et Nabile Farès. Il me semble que si j'ai parlé de l'intime, c'est pour la raison suivante : quand je parle du politique, la question du sujet, je l'appelle intime. Et quand je parle analyse, la question du sujet, je l'appelle sujet, mais la question politique, je l'appelle malaise dans la civilisation. Voilà l'entre intime et politique, entre sujet et malaise, ce qui articule intime et politique pour le coup. Et quand Ciblac me dit « avec l'intime, tout le monde… », moi je dis non. Ce que moi j'appelle l'intime, n'est pas encore ce « tout le monde ». Evidemment, en un quart d'heure, on ne peut pas le dire. J'avance comme cela. Ce qui pour moi s'appelle l'intime et qui pourrait particulièrement être réservé à la psychanalyse est que cet intime-là de l'humain a été mis à nu dans l'histoire, comme jamais. Et cette nudité du vivant mis à nu à ce point-là, a cassé quelque chose de la parole, a mis la parole en une très grande difficulté. Lacan en parle très peu, mais il en parle, dans l'Angoisse notamment, c'est une phrase à re-citer (de mémoire): « Qu'est-ce qu'il en est de la parole qui doit monter sur la scène pour avoir lieu, de telle sorte que le monde monte sur la scène, laissant une part d'immonde dans les coulisses ? » Et « ce qui s'est passé est que l'immonde en entier est monté sur la scène et la parole est allée faire un petit tour bien spécial dans les camps ». Quand on étudie ces choses-là, on s'aperçoit que justement, cet intime abîmé, éventré, en quelque sorte cassé, quelque chose fait que ça produit de l'analyse, ça produit de l'analyste.


Table ronde N° 2
Les institutions entre elles

Présidence : Gérard Albisson, Patrick Belamich. Intervenants : Serge Vallon et Jean-Jacques Xambo
http://www.oedipe.org/fr/actualites/agora/agora2


Propos de X ... "(...) - Comme le dit Freud, « donner aux mots leur valeur d'antan »."

Serge Vallon "Je crois que j'ai ouvert un débat qui n'est pas du tout le débat du rapport à la psychiatrie. Pourquoi ? Parce que tout simplement je pense que la psychanalyse peut se passer complètement de la psychiatrie, puisqu'elle n'est pas née de la psychiatrie. N'oubliez pas que Freud n'est même pas un médecin qui soigne. On ne peut même pas se vanter d'une filiation strictement médico-thérapeutique. La psychanalyse est née dans un champ, mais qui n'est pas vraiment le champ médical, qui n'est pas vraiment le champ psychiatrique.(...) Mais par contre, la psychanalyse, elle est née dans un moment de crise institutionnelle très profonde, de décomposition de l'empire austro-hongrois et du surgissement de certaines formes de modernité, entre autres de modernité scientifique : relativiste et autres, et y compris dans des formes culturelles, dans la peinture ou dans la musique. Donc je crois que nous naissons de ça, de la décomposition de l'ancien empire et du surgissement d'une autre modernité. Et ce n'est pas en reconstituant entre analystes des vieux empires ou des fantasmes de communauté que nous nous en sortirons. Ça n'existe pas, l'umma des psychanalystes. Ça n'existe pas non plus un empire mondial des psychanalystes qui pourrait venir à notre rescousse face à des Etats ou indigents ou envahissants. Donc je pense qu'on doit trouver d'autres formes proprement institutionnelles, mais qui ne sont pas ces deux-là."
(...)
Olivier Grignon "(...) Alors, ce que je crois dans cette histoire-là, ce qui ne va pas chez nous, les psychanalystes, c'est qu'on s'est mis à croire à ce qu'on racontait aux gens à l'extérieur. On s'est mis à croire qu'on n'était pas des psychothérapeutes. Je trouve ça très dommage. Ça serait quand même très bien qu'on soit aussi des psychothérapeutes – je veux dire des bons, de ceux qui guérissent un peu, c'est-à-dire qui ne font pas de la psychologie. Le gros problème de la psychanalyse, c'est la psychologie. On fait de la psychologie. Ce n'est plus tant la médecine ; c'est de faire de la psychologie. C'est-à-dire par exemple croire qu'il faut donner des conseils, des recettes, comme si la personne qui était capable de les utiliser existait. Evidemment, c'est plutôt ça le problème : c'est qu'il faut faire advenir un sujet qui pourrait les utiliser. Du reste, ils n'ont plus besoin des recettes à ce moment-là puisqu'ils sont capables de les inventer eux-mêmes. Donc ça, c'est le premier point, je trouve, qui obscurcit toujours pour nous le débat sur : psychothérapeutes, est-ce qu'on guérit, est-ce qu'on ne guérit pas ? On est vachement content quand on guérit quelqu'un, c'est-à-dire non pas en fonction des critères que nous on aurait, mais que lui nous dit : « Voilà, je suis guéri ; je vais bien. » Il faut le dire quand même un truc pareil !

Deuxième contradiction qui rend ce débat infernal, c'est qu'on sait très bien que 90% des gens qui sont dans des associations de psychanalystes, qui sont étiquetés psychanalystes, font de la psychothérapie. Ce sont des psychothérapeutes. Mais on ne le dit pas. Alors il faut commencer à faire le ménage chez nous un petit peu, parce que sinon on ne s'en sort pas de cette question.."

(...)

Alice Cherki:" Je suis un peu gêné parce que je n'ai pas assisté à la première partie, mais ce que je voulais dire : je suis d'accord avec ce que vient de dire Olivier Grignon ; je voulais intervenir avant. Bien entendu, on est tous d'accord pour dire qu'il ne s'agit pas de guérir le symptôme, mais probablement de replacer les gens qui viennent nous voir, qui sont dans l'errance psychique, de leur redonner la possibilité de devenir un peu sujets ; et j'irais plus loin : sujets de leur histoire. Et je pense même que c'est par là que ça passe pour eux la possibilité de se trouver confrontés à être acteurs ou pas de ce qu'est leurs vœux et ce dans quoi ils sont dans la société. Moi je crois que ça, il faut qu'on ait le courage de le penser et de le dire. Par ailleurs, par rapport à ça – je le dis très vite, mais je crois qu'on peut développer ça – mais par rapport à ça justement, je voulais revenir : il n'y a pas de contradiction, me semble-t-il, entre ce qu'a dit Marielle David. C'est vrai que c'est le système économique, avec l'évaluation quantitative, mesurable de plus en plus qui a envahi les Etats-Unis, dont je vous signale que Freud disait qu'il allait leur apporter la peste, mais qu'il n'y croyait pas du tout. Et qu'on oublie aussi ce que sont devenus les psychanalystes autrichiens, comme Fenichel et compagnie, la cicatrisation qu'ils ont été obligés de subir quand ils se sont retrouvés aux Etats-Unis, il faudrait réfléchir aussi là-dessus. Qu'est-ce qui leur est arrivé à ce moment-là ? Mais ça, c'est une parenthèse qu'on pourra reprendre plus tard. Mais ce truc de l'économie justement, les lois de l'économie, c'est quoi ? Ça veut dire transformer les sujets en objets – quelqu'un a dû le dire tout à l'heure –, en objets de production et éventuellement de consommation, même s'il s'agit pour ça de leur dire : « On va vous materner. Le droit au bonheur, vous y avez droit. Le droit à la guérison, vous y avez droit. Le droit à ceci, le droit à l'enfant, etc. » Mais pour les transformer en objets. Or, il me semble que nous, ce que nous voulons, c'est tout autre chose. On en a parlé. Mais de cette industrie dont vous parliez aussi, en catimini, sous le couvert d'idéologie qu'on connaît maintenant, la production industrielle de l'extermination faite par les nazis était aussi une chosification, était aussi une transformation d'objets – d'objets numérotés et de choses comme ça. On le sait maintenant. Et je crois que là, il y a quelque chose qui se réduplique sur des modes un peu différents dans une démocratie dite soft, etc. Mais dans le même temps, ce qu'il y a derrière ça, c'est effectivement fondamentalement l'idéologie de la productivité et de l'industrialisation, mais qui emmène la transformation qu'on ne veut pas que les gens soient sujets. On veut qu'ils soient simplement objets. Et dans cette perspective-là, on peut dire – et on l'a vu dans les guerres de colonisation dont on entend les effets maintenant, puisque certains d'entre nous en parlent beaucoup – aussi transformé les gens en objets. Qu'est-ce que ça fait comme dégâts ? Ça fait que soit les gens sont tétanisés et sont dans une infinie violence, soit alors ils retournent une certaine violence contre les autres, etc. Et tout ça vient du fait que quand on transforme les gens en objets, effectivement, on veut un peu moins d'humain ; on veut qu'ils soient un peu moins humains. C'est pour ça que je crois qu'il n'y a pas de contradiction profonde entre les deux."

(...)

Olivier Grignon :." Je ne défends pas une épistémologie médicale de la guérison qui est une guérison que l'on sait à l'avance. La grande différence, c'est que d'une part, on sait en médecine à l'avance qu'est-ce qu'est la guérison, puisqu'on sait le but où il faut arriver, et en plus on sait le chemin pour y arriver. Rien à voir avec la psychanalyse où on ne sait ni le chemin pour y arriver, et ni ce qu'il y aura à l'arrivée. Et en effet, quelque chose qui est plutôt de l'ordre du sinthome, c'est-à-dire le trognon, ce qui reste, je dirais, qui équivaut à la structure, c'est-à-dire à une espèce de minimum de surmoi qui équivaut à ce qu'il y ait une structure symbolique qui tienne. Quand on en est arrivé là, après bien des vicissitudes – et je vous demande combien de vos cures vont jusqu'à ce point-là du reste, où l'interdit se confond avec l'impossible –, eh bien, en effet, on est du côté du sinthome. J'appellerai ça la guérison, en effet. Mais assez rare, quand même."

(...)

Olivier Grignon :" Je voudrais répondre à votre écho. Je trouve qu'évidemment, vous témoignez de votre désir d'analyste engagé dans une sorte d'autocontrôle – mais pas seulement – hétéro-contrôle, autocontrôle, mais en tout cas vous maintenez vive la question de savoir si vous êtes ou pas analyste. En effet. Donc, vous ne cessez d'interroger votre désir d'analyste. J'espère que la fréquentation des écoles de psychanalyse ne va pas éteindre ça en vous. Parce que le gros problème auquel nous sommes confrontés, c'est que rien n'empêche de faire une conférence sur la subversion du sujet, sur la pulsion de mort, etc., tout ce que vous voulez, et faire par ailleurs, dans son cabinet, un travail de renforcement du moi le plus banal, le plus basique. Evidemment, le problème c'est ce hiatus entre le discours de la psychanalyse, la théorie analytique, et ce qu'on fait vraiment. Et ça, ça s'entend où ? Ça s'entend en contrôle. Ça s'entend quand on reprend aussi des deuxièmes ou troisièmes ou quatrièmes tranches. Or, comment on gère ce truc-là ? Ça existe, il faut le savoir. Les associations, elles ne protègent pas contre cela. Par contre, qu'il y ait la nécessité de l'association analytique dans le trajet d'un analyste, c'est pour ça qu'on a créé un Inter-Associatif et pas une Fondation Européenne pour la Psychanalyse qui agrégeait les analystes au un par un. Pourquoi ? Parce qu'il fallait affirmer la nécessité de l'association dans le parcours du psychanalyste. Pour une raison toute simple, je crois, c'est que, d'abord il y a la nécessité d'avoir à rendre compte – qui n'est pas rendre des comptes – de ce qu'on fait. Et puis peut-être pour une raison plus profondément analytique, parce que probablement la fin d'une analyse de psychanalyste  ne se résout pas dans le strict dispositif de la cure analytique classique. Qu'il y faut probablement un espace mœbien entre le privé de la cure et le public des analystes où on risque son énonciation."


Elisabeth Roudinesco : "Oui, Jean-Jacques, ils ont bien fait de vous faire un procès. Vous en auriez fait autant si on vous accusait d'être infiltré par les sectes. Donc le problème n'est pas là. Les psychothérapeutes aujourd'hui, ils ont été victimes de rumeurs. D'abord on a dit qu'ils étaient 30.000. J'ai moi-même recopié ce chiffre qui était faux. Ensuite j'ai enquêté. Je me suis aperçue qu'ils n'étaient pas 30.000 mais que ce chiffre avait été donné par le ministère pour lancer une chasse aux sorcières, tout simplement. En réalité, ils sont 7500. Pour la génération de ceux qui ont plus de 50 ans, ils ont été à 100% analysés – il faut que vous le sachiez – et sur vos divans. Donc ça pose quand même des questions. Pour le reste, pour les plus jeunes, ils sont évidemment moins en analyse : 75% des plus de 50 ans pratiquent aussi la psychanalyse. Je ne vois pas pourquoi ils ne la pratiqueraient pas, puisqu'ils ont une formation psychanalytique de tous bords, puis ils pratiquent aussi tout le reste, c'est-à-dire ce qu'on appelle les psychothérapies, et qui ne sont pas les TCC. Laissons les TCC de côté, ce sont les psychiatres et le ministère qui veulent les introduire. Evidemment, vous leur avez fait la guerre. Tu viens de le dire et tous les documents le montrent. Quand les psychothérapeutes ont voulu un statut, les psychanalystes français se sont précipités pour les empêcher et leur ont fait la guerre, et puis on est arrivé à la situation actuelle, c'est-à-dire que la quasi-totalité des grosses sociétés analytiques se sont mises à genoux devant monsieur Mattei pour qu'on les dispense d'une loi qui allait évidemment porter sur les psychothérapeutes. Tous ces chiffres, je vais les sortir dans trois semaines dans un livre, et non pas dans un article, c'est beaucoup plus sérieux. Et tu t'apercevras aussi, Jean-Jacques, que la fameuse rumeur de l'infiltration sectaire, elle a été lancée par les psychanalystes eux-mêmes et par le ministère. Les sectes sont les sectes, les sectes utilisent des procédés de psychothérapie, bien entendu, puisqu'il y a des sectes guérisseuses. Les sectes ont des liens avec les médecines parallèles, on est bien d'accord. La scientologie utilise la psychanalyse. Mais on n'a jamais dit qu'il y avait de la scientologie dans les associations psychanalytiques. Donc le problème, il n'est pas du tout celui que tu poses de cette façon-là. La vraie vérité, c'est que vous avez une peur bleue des psychothérapeutes. Voilà, c'est tout. Parce qu'ils sont en train de gagner la société civile."

(...)

Alice Cherki : C'est mon tour de parole, mais c'est un peu décalé. Je suis assez d'accord avec ce que mon voisin a dit, mais je voudrais revenir plutôt sur l'interpellation qui a été faite tout à l'heure du « on veut que les gens soient des objets et non pas des sujets », auquel Michel Guibal a répondu en disant : « Mais c'est comme ça. Les gens viennent nous voir pour avoir droit à la parole, et c'est le collectif qui ne veut pas de gens. » C'est vrai, je me souviens moi, il y a déjà plus de quinze ans, en sortant d'avoir écouté des gens, je me disais : « Mais qu'est-ce que je suis en train de faire ? Je suis en train d'aider des gens à se libérer, à vouloir prendre la parole, alors que personne autour d'eux ne veut ça », que la société ne le veut pas, etc., c'est un métier de fou. Et ça, je crois qu'on peut se le répéter tout le temps. Mais il y a quand même des moments de l'organisation de la société, de l'organisation de l'Etat, de l'organisation du monde et du politique qui font en sorte que cette intention de faire que les sujets soient que des objets est plus prégnante que d'autres moments. Or dans la situation dans laquelle on est actuellement, puisqu'on doit parler aussi du politique, on se retrouve devant ce que Freud déjà évoquait dans Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort, quand il parlait de la violence d'Etat légitimé et des effets de cette violence d'Etat légitimé. Elle est beaucoup plus soft actuellement, apparemment, mais quand même. On peut dire que tout tend à être mis en place dans ce contexte-là, avec cette violence-là. Voilà, je suis un peu en décalage dans le débat psychanalyse-psychothérapie, mais pas vraiment je crois, parce que c'est aussi avec ça dans lequel nous ramons à contre-courant."

(...)


Table ronde n° 3
Les associations, quelle histoire !
Karel Lamberts et Alain Vanier vont présider la table ronde, avec Olivier Grignon et Jacques Sédat.

Olivier Grignon " (...) Donc c'est à Bruxelles, le 16 janvier 1994, que s'est ouvert l'Inter-Associatif qui, au départ, était français, qui a comporté d'abord 8, puis 11 associations, qui avaient ouvert leur inter-association aux associations de pays étrangers. Il faut savoir qu'à l'origine, cette ouverture ne devait pas être spécifiquement européenne. Elle avait pour vocation d'être beaucoup plus largement internationale. Nous avions commencé par l'ouvrir à l'Europe parce que devait se tenir le troisième colloque inter-associatif qui, lui, était européen. Et il nous avait semblé plus judicieux de confier l'organisation d'un tel colloque aux associations européennes elles-mêmes. Donc il valait mieux inverser l'ordre des événements et commencer par constituer l'Inter-Associatif comme européen avant l'organisation de ce troisième colloque inter-associatif.

Il faut que vous sachiez également que donc ce projet a capoté, non pas l'ouverture à l'Europe qui, elle, a bien été effectuée le 16 janvier 1994, mais son extension à d'autres régions du monde. Pour une raison très simple à expliquer : c'est qu'à ce moment-là s'est créé un autre type d'Inter qui n'était pas un Inter-Associatif, un autre Inter qui était – qui est encore du reste – la Fondation Européenne pour la Psychanalyse qui, elle, procédait par une autre structure, c'est-à-dire l'agrégation des personnes une par une, et non pas par association. Ce regroupement, ce type d'Inter, s'est posé en rivalité de l'Inter-Associatif, et donc nous nous sommes retrouvés devant un problème insoluble parce que nos collègues, et notamment nos collègues sud-américains, ont refusé d'avoir à choisir entre l'Inter-Associatif et la Fondation Européenne pour la Psychanalyse. Ce qui fait que ce projet a été bloqué, et qu'il est revenu à leur initiative à Bruxelles, il faut que vous sachiez aussi qu'il n'y avait pas que des Européens ; il y avait des observateurs du Canada, d'Israël et d'Amérique du Sud. Donc, ce projet d'Inter-Associatif, les Français et les Européens ont perdu la main à ce moment-là, et il s'est bien effectué, cet Inter-Associatif qu'on pourrait dire totalement international, mais il s'est fondé à l'initiative des Sud-Américains qui ont repris le projet pour fonder Convergencia qui est un Inter-Associatif international. Voilà.
Lors du vote qui a, dans un très grand moment d'émotion que se rappellent sûrement ceux qui y étaient, dans un moment donc d'émotion quand a été votée la constitution de cet Inter-Associatif, les statuts de l'Inter-Associatif qui existaient depuis 1991 – ils avaient été votés en 1991 – ont été adoptés. Je vous lis les statuts de l'Inter-Associatif :

« L'Inter-Associatif de Psychanalyse réunit des associations psychanalytiques se référant à l'œuvre de Freud et à celle de Lacan afin,

1) d'organiser les échanges théoriques et cliniques entre ses différentes associations ;

2) de coordonner leur réflexion et leurs actions pour une politique de la psychanalyse. »

C'est clair.

« L'Inter-Associatif de Psychanalyse est une réunion d'associations psychanalytiques ayant chacune leur histoire et leur identité propres. Il laisse à chacune d'entre elles la responsabilité de la formation des analystes, et donc le soin de traiter la question de la garantie. L'Inter-Associatif de Psychanalyse prend en compte la diversité de l'espace psychanalytique, formé par ses différentes associations, et constitue un pari sur l'hétérogénéité, y saisissant aujourd'hui la chance d'une mise au travail de l'analyse. »

Donc, ce que nous avons voté à ce moment-là entérinait ces statuts et – vous le trouverez dans les débats – décidait d'un nouveau type de lien social entre analystes. Pas moins. (...)

Alors, que reste-t-il donc de ces ambitions, de cet espoir, de cette émotion qui a saisi tous les participants le 16 janvier 1994, qu'on peut retrouver dans les textes,à propos de cette structure qui avait été créée pour débattre et traiter le problème dont s'est occupé le Groupe de Contact ? Est-ce qu'il n'en reste aujourd'hui que des ruines ? En tout cas, les récents événements m'emmènent à penser qu'il n'y a pas d'Inter-Association réelle. Il y a quelques personnes individuelles qui, contre vents et marées, continuent de travailler ensemble inter-associativement, mais il n'y a pas réellement d'Inter-Association. Et ce malgré la dénomination, les appellations officielles des associations de psychanalyse dont les responsables étaient au Groupe de Contact, mentionnent dans leurs courriers « membres de Convergencia », « association, membre de Convergencia » ou « membre de l'Inter-Associatif de Psychanalyse ».
Que faire ? Parce qu'on ne peut aujourd'hui poser la question de l'avenir de l'Inter-Associatif de Psychanalyse qu'à partir des réponses que l'on apporte à la question de savoir : qu'est-ce qu'il en reste ? En tout cas aujourd'hui, il y aurait, à mon avis – si c'est encore possible – la nécessité d'un changement. Ce qui vient de se passer impose à l'Inter-Associatif de réviser son histoire et son existence. Parce que, quand même, qu'est-ce qui a fait que des responsables d'association qui ont signé ces statuts, et même en ont été les agents, ne se sont pas adressées à l'Inter-Associatif de Psychanalyse ? Mais en même temps, attention, la question est double : il faut aussi que l'Inter-Associatif de Psychanalyse – le réel, celui qui fonctionne encore – se demande : pourquoi les associations n'ont pas fait appel à lui ?. Je crois que ça demande un réel travail très très important : savoir pourquoi il ne s'est pas trouvé que ces personnes, du groupe de contact –au départ ce sont des personnes, mais devenues des responsables d'association – et je vous signale quand même que pour moi il y a clairement un désaveu de l'Inter-Associatif de Psychanalyse dans le fait que, dit Brémond, Gérard Pommier en tant qu'initiateur de la Fondation Européenne pour la Psychanalyse a été, en tant que tel, agrégé à ce groupe :ce n'est pas rien ça, quand même :ceux-là mêmes qui l'ont fondé n'ont coopté personne de l'Inter-Associatif,pour coopter le fondateur de la Fondation Européen qu'il combattaient ! Je dis donc qu'il y a un désaveu de l'Inter-Associatif de Psychanalyse. Alors il faut savoir pourquoi, il faut savoir pourquoi, parce que quel est l'avenir et qu'est-ce qu'on peut raisonnablement construire ?
Donc comment penser aujourd'hui l'Inter-Associatif après cet acte du Groupe de Contact qui, à mon avis, est en train de créer une structure nouvelle inter-associative. Il y a une Inter-Association d'un type nouveau. C'est un acte très important qui mérite qu'on s'y arrête. Je ne sais pas : est-ce que l'Inter-Associatif de Psychanalyse doit être autre chose qu'un Inter-Associatif ? Est-ce qu'il n'y a plus que des un par un ? Evidemment, au titre de leur association, mais enfin, ce sont toujours les mêmes ! Est-ce que finalement, il faut changer, faire autre chose ? Ce n'est plus un Inter-Associatif. Est-ce qu'il faut que l'Inter-Associatif propose de s'ouvrir aux associations de l'IPA, puisque c'est ça l'Inter-Association nouvelle du Groupe de Contact ? Pourquoi pas. Je pense que c'est une question qui doit être sérieusement posée. Il faudrait modifier les statuts. Mais pourquoi pas ? Ou doit-il se dissoudre comme un outil historique qui aura été le catalyseur d'une nouvelle Inter-Association qui est celle posée en acte par le Groupe de Contact ?

Alors, je n'ai pas du tout les moyens de répondre à de telles questions, mais je voudrais vous faire part d'une petite réflexion personnelle. J'espère que les responsables des dites associations du Groupe de Contact ont fortement incité leurs membres à venir à cette Agora. Parce que quand même le débat en vaut la peine. Il y a quelque chose qui, moi, me choque dans la position officielle – surtout maintenant où j'ai lu les Eléments pour une histoire du Groupe de Contact – il y a quelque chose qui me choque dans la position officielle du Groupe de Contact, qui est d'avoir affirmé que c'était un bon accord. Point final. Ça, je trouve ça dangereux et même insupportable. (...)
(...) Mais en tout cas, c'est quelque chose dont le retour de la négation va faire mal, parce que ça, c'est la porte ouverte à la psychologisation de la psychanalyse. Quel est le point qui est démenti? Je vais vous le lire chez, par exemple, Marilia Aisenstein. Ça ne m'a pas étonné de trouver cette position chez elle. C'est en toutes lettres dans la Monographie sur la psychanalyse en Europe qu'avait publiée la SPP.

Elle dit cela  : « Il y a des choses dangereuses pour le public. Ce danger, avec cette loi, disparaît. » Et qu'est-ce qui fait disparaître ce danger ? « Le sérieux. » Ce sont ses mots. Je n'invente rien. « C'est le sérieux. Le sérieux du psychanalyste inscrit dans une école et confirmé par elle, notamment [ajoute-t-elle dans son article de Libé] la SPP. » Ça ne m'étonne pas d'elle. Mais là où je suis très étonné quand même, et où ça m'embête beaucoup, c'est que cette position, elle n'a pas été du tout démentie par les autres membres du Groupe de Contact. Et non seulement elle n'est pas démentie, mais elle est affirmée par Brémond qui nous dit dans son texte : « Le souci des pouvoirs publics de protection des personnes est légitime. » Alors là, je trouve ça invraisemblable. Quelle idée on se fait du bien du sujet ! Qu'est-ce que c'est donc, ça ? C'est une idée de l'idéologie médicale la plus carabinée, si je peux me permettre « Je sais mieux que vous ce qui va pour votre grand bien, et au besoin je vous protége de vous-même par force de loi » C'est-à-dire que ce dont il s'agit, c'est de protéger les gens contre leur jouissance. Ecoutez, franchement, si dans l'éthique de la psychanalyse Lacan n'a pas rabâché que la psychanalyse n'avait pas à être au service du bien et au service des biens, franchement, mais que des lacaniens puissent dire un truc pareil, je trouve ça catastrophique !"
(...)
Jacques Sédat "(...) Quelle est la situation aujourd'hui ? La situation aujourd'hui est complexe, en ce sens que la visibilité du champ psychanalytique français fait qu'il n'y a plus de recoupement idéologique et que le climat de guerre froide qui a pu exister à une époque n'est plus. En témoigne le fait que des textes communs aient pu être signés entre des membres ipséistes et des associations lacaniennes, et non des moindres. En témoigne aussi le fait qu'il y a des contacts toujours maintenus avec l'Ecole de la Cause qui jusque-là avait vécu elle-même dans un isolement volontaire. Et Elisabeth Roudinesco qui était là s'en souvient , j'ai été invité au premier forum de Jacques-Alain Miller et je m'y suis rendu. Il y a des contacts aussi avec les associations de psychothérapeutes. Je suis allé parler à l'AFFOP et à l'AFDP, en mon nom personnel, mais si j'y étais invité, c'est que je faisais partie aussi du « Groupe de contact » dont je suis virtuellement le secrétaire.

Donc aujourd'hui il existe l'Inter-Associatif, il existe le « Groupe de contact », il existe ce groupe issu de l'APUI qui est le « Groupe du vendredi », il y a l'ensemble des activités de Jacques-Alain Miller. Voilà un paysage psychanalytique qui a sérieusement changé depuis deux ans. Je m'arrête là pour que nous puissions passer aux questions.(...)"

Elisabeth Roudinesco : "Ecoute, si tu veux bien, je ne conteste évidemment pas les faits qui sont tous exacts. Mais on peut les interpréter autrement que tu ne l'as fait. Dire qu'il n'y a plus de guerre dans le champ psychanalytique actuel, c'est parfaitement inexact. Elle s'est déplacée. Tu ne vas quand même pas me faire croire que vous êtes en paix avec l'ECF, étant donné ce qui s'est répandu dans les colonnes d'Œdipe, dès que l'affaire de Mattei et du rendez-vous du 12 décembre a été connue, s'est élancée sur tous les sites une véritable chasse aux sorcières – et je pèse mes mots – contre l'ECF, contre les pratiques, je rappelle, le texte de Bruxelles, etc. Il a fallu ça pour qu'on se mette à dire : « Voilà, on va pourchasser ces gens-là qui pratiquent des séances de cinq minutes. » Ne me dis pas que c'est pacifié. Ce n'est pas parce que toi, tu vas te promener au Forum, comme moi d'ailleurs, que les choses sont pacifiées.

Donc l'objectif de ce Groupe de Contact, dont j'apprends que tu es virtuellement le secrétaire – c'est très bien – ça s'est transformé en organisme officiel – on va interpréter les choses comme ça, mais évidemment tu peux donner une autre interprétation – ça s'est transformé en organisme officiel de chasse aux sorcières contre l'ECF. Pour des raisons très simples : c'est l'objectif de la SPP depuis très longtemps. Donc ce que tu présentes comme pacification – là je parle d'histoire pure, je ne parle pas des positions que je pourrai avoir vis-à-vis de machin – l'objectif de la SPP, ce n'est pas tout à fait de l'IPA, mais de la SPP en France, il est très simple : venir à bout du lacanisme. Et pour venir à bout du lacanisme, comme on s'est aperçu tranquillement que vous étiez prêts à faire Groupe de Contact…

…Ne me dis pas que vous êtes en paix avec lui. Jacques-Alain Miller est dénoncé en permanence pour les séances courtes ; Lacan est dénoncé en permanence – je rappelle le texte de Bosset(?). Et donc, ce n'est pas la paix, c'est la guerre. Premier point. C'est tellement la guerre qu'il est haï. Et pourquoi il est haï ? Je te rappelle aussi les plaintes permanentes qui font qu'on l'accuse de manipuler les médias, etc. On m'a d'ailleurs accusée au passage en même temps. Donc ne me présente pas tout ça comme tranquille, pacificateur, pas de guerre, parce que ça, ce sont des histoires pieuses pour églises. Ce n'est pas l'histoire réelle. Je veux bien qu'on raconte des histoires pieuses pour églises, mais pas à moi, tu vois, parce que je connais, j'ai déjà donné. Le plus grand pourvoyeur d'histoires pieuses a d'ailleurs été l'ECF – je te le fais remarquer – parce qu'on a présenté Lacan comme un bon papa tranquille qui n'avait jamais gagné d'argent et qui faisait des séances normales. Là maintenant, ça suffit. Nous connaissons maintenant la réalité de tout ce monde-là, et tout ce monde-là est en guerre, et pas du tout en paix. Il est en guerre. Bien.

Pour ce qui est des différentes commissions et balades au ministère, je ne conteste aucun fait ; ils sont parfaitement exacts. Et d'ailleurs, c'est tellement exact que je te rappelle que depuis 1999, j'ai retrouvé dans mes archives un dossier comme ça que tu m'avais toi-même envoyé où d'ailleurs toutes les sociétés me faisaient part de toutes leurs visites au ministère. J'ai mis ça dans un dossier, puis je les ai retrouvés récemment. Donc j'ai la totalité de vos correspondances. « Monsieur le ministre, monsieur le machin. Les psychothérapeutes nous cassent les pieds. Ils veulent un statut. Nous, on n'en veut pas. » Et vous avez engagé tranquillement la guerre contre les psychothérapeutes parce que eux voulaient un statut. Et pourquoi voulaient-ils un statut ? C'est extrêmement simple : ils n'ont pas du tout les états d'âme de la psychanalyse, eux. Ce sont des corporations soignantes qui sont considérées par les psychiatres et les psychologues comme des parias dans la Cité, par le ministère aussi, et eux ils veulent un statut. Evidemment qu'ils ne sont pas comme les psychanalystes. Le psychanalyste, c'est tout à fait autre chose : c'est la discipline reine. elle ne veut pas de statut.

Alors vous avez engagé tranquillement, avec la SPP, la guerre à Miller, sans le dire. Et vous l'avez engagée, maintenant elle y est. Et puis d'autre part, vous avez engagé la guerre contre les psychothérapeutes. Pourquoi n'avez-vous pas essayé – parce que tu me dis aussi : « Je me balade chez l'AFOP et tout ça ». Bien sûr que tu te balades partout. Tu peux te balader partout, et puis faire la guerre à tout le monde, parce que tout de même, on connaît bien. Le Groupe de Contact, virtuellement secrétaire, c'est absolument l'IPA, et l'IPA a fait partout – et en France encore plus – une simple et claire politique : la politique de la psychiatrie la plus absurde, la plus catastrophique. Et vous allez vous en rendre compte : c'est la politique de DSM. Ils se sont allongés devant tout ça ; ils se sont agenouillés devant tout ça dans le monde entier, aux Etats-Unis on le sait. Et ils vont être les premiers pourvoyeurs des TCC, quitte d'ailleurs, dans des petites luttes secondaires, on a évidemment monsieur machin contre monsieur machin qui va dire : « On préfère Accoyer, on préfère Mattei. » Tout ça, c'est du pareil au même. Il s'agit de faire une loi dans laquelle on va mettre en coupe réglée la totalité de la santé mentale en France : quadriller les écoles, quadriller avec le DSM et les thérapies comportementales les comportements en général, faire des préventions de suicide. La pire des choses.

Jacques Sédat : Tu me décrits là l'amendement Goutteron, je te signale.

Elisabeth Roudinesco : Non, non, ce n'est pas l'amendement Goutteron. S'il te plaît. Pour le moment, je n'ai pas parlé des amendements ; je parle de politique de santé mentale dans ce pays. On a eu le gouvernement le plus réactionnaire. C'est vrai que c'était initié par Kouchner, avec une petite différence d'ailleurs avec la Droite – parce qu'il y a une différence entre la Droite et la Gauche – la Gauche considère que la psychiatrie doit être sociale. Donc son quadrillage n'est pas du même genre. La Droite considère que le quadrillage est biologique, c'est-à-dire que ce n'est pas tout à fait pareil. Pour la Gauche, le fou, c'est un handicapé social. Pour la Droite, c'est un handicapé biologique. Monsieur Mattei est du côté de la biologie. Ça change un petit peu quelque chose. Evidemment, si on se place d'un point de vue corporatistes, ce sont les mêmes amendements, etc.

La question est la suivante – moi, je ne suis pas en train de dire : amendement machin, truc muche, Goutteron, truc muche. Je dis : « Voilà, on est dans la situation où la quasi-totalité des corporations psychanalytiques, qui prétendent vouloir pacifier quelque chose, se sont alliées avec le pouvoir le plus rétrograde pour être exemptées d'une loi qui tombe sur le dos des 7500 psychothérapeutes, dont on a grosse le chiffre au passage pour dire que c'était les sectes. Je te ferai remarquer que la lutte contre les sectes à partir de 1999, elle s'est estompée. Le phénomène sectaire a été maîtrisé en France à partir de 1999. C'est exactement à cette date qu'on a commencé à dire que les psychothérapeutes étaient infiltrés par les sectes. Je l'ai cru moi-même avant enquête.

Donc le Groupe de Contact, il a servi à ça. Evidemment que Miller s'est associé avec les psychothérapeutes. Eh bien la guerre, elle est très simple, et vous êtes en train de la faire à Miller et aux psychothérapeutes. Alors ne me parle pas de pacification. Ça, c'est peut-être ta présentation. Mais quant à l'objectif de la Société Psychanalytique de Paris – j'espère, mon cher Olivier, que malgré tout ce que tu as raconté, tu vas quand même t'en rendre compte, ça fait quand même trente ans qu'ils veulent décapiter Lacan et le lacanisme. Mais surtout, ils ne veulent pas de Lacan. C'est Lacan leur ennemi. Ils veulent bien que Lacan ça soit un philosophe, ils ne le discutent pas : grand penseur, il est passé dans le patrimoine. Mais les lacaniens et leur pratique, non. Et l'objectif de ces gens – je parle bien de la SPP en France – c'est faire semblant de causer avec les lacaniens de Lacan, de l'apport de Lacan, etc. Mais c'est évidemment d'avoir la peau de Lacan en tant que clinicien – « pas de clinique lacanienne ». Voilà mon interprétation des faits. Et donc vous vous êtes parfaitement trompés d'ennemi.

Quant à l'exemption de la loi qui va vous sauver pendant quelque temps d'être considérés comme des psychothérapeutes, elle va vous revenir par la fenêtre : par la liste des Annuaires. Qu'est-ce que c'est qu'une liste ? Que ce

08/05/2004
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