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Histoire d'un amendement

Ces propos de Jean-Pierre Sueur, Sénateur socialiste du Loiret, sur l’article 52 de la loi du 9 août 2004, qui nous sont parvenus par l'intermédiaire d'(a)lpha qui les mis en ligne avec l’autorisation du Sénateur Sueur et l’accord du Conseil d’Administration de Psypropos sur son site : www.alpha-psychanalyse.org Nous nous permettons de les répercuter tout en vous invitant à visiter le site d'(a)lpha dont nous nous faisons régulièrement l'écho des activités ici et dont nous soutenons bien entendu la démarche. Et la politique.




Histoire d'un amendement


Tout commence le 8 octobre 2003 à l'Assemblée Nationale, dans la lueur jaunâtre des débats nocturnes. Un amendement est présenté par M. Accoyer, député. Cet amendement a pour objet de mettre fin au « flou » législatif qui existe par rapport à l'exercice des activités des psychothérapeutes, mais aussi des psychanalystes. Il dispose que la « mise en œuvre » des « différentes catégories de psychothérapies » […] « ne peut relever que de médecins ou de psychologues ayant les qualifications professionnelles requises ». Cet amendement suscite un très court débat. Personne ne réagit ni ne s'oppose sur le moment : cela semble, apparemment, aller dans le bon sens.


Et pourtant, cet amendement est une bombe. Il suscite aussitôt – vous vous en souvenez - un tollé, une campagne à laquelle certains d'entre vous ont participé. Car cet amendement pose d'énormes problèmes : premièrement, il traitait d'une manière extrêmement simpliste le rapport entre la loi et la souffrance psychique ; deuxièmement, et cela a été beaucoup dit, il représente un retour du scientisme, ou plutôt de l'hygiénisme, de l'idée qu'il y aurait une détermination médicale et que seule cette détermination médicale était susceptible d'apporter une réponse à la question de la souffrance psychique. C'était la main-mise sur toute forme de psychothérapie relationnelle de la psychiatrie, ou plutôt d'une certaine psychiatrie, celle qui pratique les « T.C.C » (thérapies cognitivo-comportementalistes), et qu'on a, à juste titre me semble-t-il, beaucoup critiquées, comme d'ailleurs les « philosophies » implicites induites par ces pratiques.


Au-delà de cette question, il y a tout un contexte idéologique : pourquoi M. Accoyer a-t-il déposé son amendement ? Parce qu'il souhaitait éviter que, désormais, des personnes puissent apposer une plaque Psychothérapeute, sans présenter de garantie professionnelle. Il souhaitait lutter contre les « charlatans » et éviter qu'on dérive vers une série de pratiques, de sectes, de conceptions qui ne sont pas fondées intellectuellement ni scientifiquement. Il n'est pas étonnant que beaucoup de gens souscrivent a priori à cette préoccupation qui apparaît comme étant de bon sens, et qui est apparue comme telle aux députés qui ont adopté ce texte. La question se pose en effet. On doit pouvoir en discuter. Je me permets d'observer au passage que s'il y a des « charlatans » dans la psychothérapie, il y en a peut-être ailleurs : qui jurerait qu'il n'y en a aucun dans ce qu'il est convenu d'appeler la psychiatrie, la psychanalyse, ou la psychologie ?


Mais il y a un critère simple : il y a ceux qui sont médecins. Comme ils sont médecins, ils sont forcément compétents et on en conclut – un peu vite ! – que puisqu'ils sont compétents pour le corps, ils sont forcément compétents pour l'âme. Il y a également derrière tout cela un retour à un certain nombre de concepts extrêmement conservateurs : ce n'est pas un hasard si beaucoup des discours qui ont été tenus au Sénat ou à l'Assemblée Nationale se caractérisent, en fait, par un refus de ce que furent et ce que sont les sciences humaines et sociales depuis un siècle ou davantage. A un moment du débat, n'ayant plus d'argument, j'ai dit : « Je vais vous apporter les œuvres de Michel Foucault ! ». J'avais le sentiment que, dans toute cette scénographie, il y avait, en profondeur, une contestation de l'ensemble de écrits de Michel Foucault et finalement de toute la démarche qui a instauré la connaissance critique – c'est redondant évidemment –, par rapport au conscient, à l'inconscient, à la société, au langage.


Et il n'est pas étonnant que cela se produise en un moment où il y a un fort prurit sécuritaire. Que chacun aspire à la sécurité est normal ; que l'on développe de manière outrancière l'idéologie sécuritaire en croyant que c'est une réponse à tous les problèmes est autre chose. La grande question qui agite un certain nombre d'esprits, à droite et à gauche, est de savoir s'il faut rompre enfin avec « Mai 68 », tout ce que représente « Mai 68 » étant supposé générateur des maux et des troubles qui font que l'on ne sait plus distinguer ce qui est sérieux et ce qui ne l'est pas. On présuppose ainsi, dans l'ordre de l'enseignement, que le sérieux, c'est la connaissance et que le pas-sérieux, c'est la pédagogie ! Et qu'il faut revenir au savoir. Je n'ai jamais pensé, pour ma part, qu'il y eût une quelconque pertinence à distinguer la connaissance et la pédagogie. Je ne comprends rien à ce débat, mais je vois très bien ce qu'il est censé sécuriser et ce que, pour revenir à notre sujet précis, le retour au bon vieil hygiénisme, au culte du médecin et du docteur, apporte comme sécurité mythique, illusoire, par rapport aux questions qu'induit l'apport des sciences humaines et sociales depuis des décennies.


Il s'est passé ce que vous savez : il y a eu, en particulier, un débat très important parmi les psychanalystes et cette fameuse séance chez le ministre, M. Mattéi, du 12 décembre 2003, où la proposition a été faite aux psychanalystes que l'on trouve un arrangement avec eux. Et il y a eu un clivage dans la profession entre ceux qui ont accepté de donner leurs listes, et en quelque sorte de passer un pacte avec le pouvoir de telle manière qu'ils échappent aux exigences qui seraient désormais posées vis-à-vis de tous ceux qui ne sont pas médecins, et ceux qui ont dit qu'il leur était absolument impossible d'accepter cela.


Quand un texte est adopté à l'Assemblée, il vient ensuite devant le Sénat, c'est la navette. Puis il revient à l'Assemblée et repart. C'est le fonctionnement de la démocratie. Les textes de lois se font – s'écrivent – dans le crible des amendements, contre-amendements, objections, contre-objections qui contribuent à les constituer. Le 19 janvier 2004, nous avons vécu l'acte II au Sénat. Alors que pour la discussion nocturne de l'Assemblée, il n'y avait pratiquement personne dans les tribunes, celles du Sénat étaient pleines ce jour-là, et elles étaient composées pour partie de psychanalystes et pour partie de psychothérapeutes, certains revendiquant les deux étiquettes. M. Mattéi est arrivé en disant qu'il ne présenterait pas d'amendement.


J'ai mon interprétation sur cet engagement : il ne voulait pas couvrir la chose et il eût aimé que des parlementaires présentassent un texte conforme à son attente. Il avait même préparé les choses en conséquence. Mais malheureusement pour lui, ça n'a pas marché et… il a fini par déposer un amendement.


Et cet amendement – c'est le second –, qui a été adopté par le Sénat, est ce que j'appelle un amendement étroitement politicien – mais je n'oublie pas que pour que cet amendement ait pu exister, il fallait qu'il y ait chez les professionnels concernés de solides relais. Que dit ce texte ? « L'usage du titre de psychothérapeute est réservé aux professionnels inscrits au registre national des psychothérapeutes. L'inscription est enregistrée sur une liste dressée par le représentant de l'Etat dans le département de leur résidence professionnelle. Sont dispensés de l'inscription, les titulaires d'un diplôme de docteur en médecine, les psychologues titulaires d'un diplôme d'Etat et les psychanalystes régulièrement enregistrés dans les annuaires de leurs associations. Les modalités d'application du présent article sont fixées par décret. ». Pourquoi ce texte est il politicien ? Parce qu'il n'a pas échappé à M. Mattéi et à ses collègues du gouvernement que la première version de l'amendement Accoyer avait fait fleurir de nombreuses tribunes dans de nombreux journaux et que ces tribunes étaient écrites par des gens reconnus : il y avait M. Jacques-Alain Miller et Mme Elisabeth Roudinesco, et puis est arrivée Mme Catherine Clément, puis est arrivé M. Philippe Sollers, et M. Bernard-Henri Lévy, et on a même eu en prime, M. Jean-Claude Milner ! Alors M. Mattéi a dû se dire : « Ces gens créent tout un problème. Il y a, finalement, une façon de s'en sortir. Les médecins, on les a déjà avec nous. Les psychiatres patentés de la tendance prétendument dominante, ou que l'on veut considérer comme telle, on les a aussi avec nous. Nous allons dispenser les psychanalystes et leurs encombrants porte-parole de l'inscription sur les listes, et nous aurons enfin la paix ! »


Petite parenthèse : tout ce dispositif présuppose que la psychiatrie serait un espace lisse et non problématique et qu'il y aurait une légitimité à interpeller les autres disciplines à partir de cet espace supposé lisse et non problématique. Tout ce système présuppose que les psychanalystes, feraient, eux aussi, partie d'un espace lisse et homogène dès lors qu'ils auraient leurs listes. On aurait donc la paix ! Et on aurait la paix parce qu'on aurait donné satisfaction aux psychanalystes. On escomptait que tous ceux qui peuvent faire des colloques et des conférences, ameuter le ban et l'arrière-ban, publier des revues et dire que la patrie est en danger arrêteraient de parler. Et comme ils arrêteraient de parler, tout serait réglé.


Ce calcul politique a marché : à partir du moment où cette deuxième version a été adoptée, on a moins entendu parler du sujet et beaucoup ont cessé de s'y intéresser, semblant considérer qu'il était réglé.


On est passé d'une version 1, avec les médecins d'un côté et les psychanalystes et psychothérapeutes de l'autre, à une version 2 (l'amendement voté au Sénat) avec les médecins et les psychanalystes d'un côté et les psychothérapeutes de l'autre. Qu'il y ait des problèmes chez les psychothérapeutes, on s'en arrangerait… Cela ferait moins de tribunes dans la presse. Et on s'appuyait subrepticement sur les non-dits qui traînent : à savoir que les psychiatres seraient plus sérieux que les psychanalystes ; que les médecins seraient, eux, au-dessus de tout puisqu'ils étaient médecins ; et enfin que les psychanalystes seraient nettement plus sérieux que les psychothérapeutes qui se trouveraient donc logiquement condamnés aux listes préfectorales !


Gilbert Chabroux, Jack Ralite et moi avons posé une question : si on adopte ce système, qu'est ce qui empêche les psychothérapeutes (qui, pour beaucoup, ont suivi une analyse) de s'intituler psychanalystes et qu'est-ce qui les empêche de créer une vingtième ou une vingt-cinquième société de psychanalyse ? A cet argument il n'y avait pas de réponse possible en droit puisque la psychanalyse n'est pas définie par la loi, pas plus que ne l'est la psychothérapie.


Il y avait une issue possible. Un sénateur, vice-président du Sénat, membre de l'U.M.P, M. Adrien Gouteyron, avait proposé un amendement qui favorisait cette issue. Or, cet amendement n'a pas été mis au vote du fait que M. Mattéi, utilisant toutes les ficelles du règlement, a demandé la priorité sur son amendement, bien qu'il eût proclamé auparavant qu'il ne le ferait pas, et d'ailleurs qu'il ne proposerait pas d'amendement ! Il y avait un petit risque que l'amendement Gouteyron passe. Mais M. Mattéi ne le voulait pas. Ce n'est pas anodin de refuser qu'un tel texte soit soumis au vote !


L'amendement Gouteyron présentait quelques défauts mais il avait l'avantage de proposer une méthode quelque peu différente de celle de MM. Accoyer et Mattéi : il proposait de mettre en place, pour évoquer ces questions, préalablement à tout projet de loi, une sorte de parlement des « Psys » où il y aurait à parité des représentants des quatre professions concernées. Il y avait là une démarche qui pouvait être intéressante. On peut en effet considérer que le problème qui a été à l'origine de l'amendement Accoyer n'est pas illégitime ou, en tout cas, qu'il n'est pas illégitime d'en parler et de rechercher des solutions. Je crois que la bonne « issue » aurait consisté à instaurer un dialogue avec les professionnels portant en particulier sur la prise en compte des autorégulations qui existent dans les professions, - puisqu'il existe beaucoup de structures constituées dans ces professions et qu'elles permettent de donner un certain nombre de garanties quant aux déontologies, aux formations, aux méthodes, etc. -, la bonne solution était de s'appuyer sur elles. A l'inverse, prendre le problème comme l'a fait M. Accoyer aboutissait nécessairement à une impasse.


Mais nous en arrivons à la troisième version. Elle est adoptée à l'Assemblée Nationale le 8 avril 2004 lors de la nouvelle lecture du texte au sein de cette assemblée. M. Dubernard réécrit l'amendement Mattéi qui avait été voté au Sénat. Il formule ainsi la première phrase du texte : « La conduite des psychothérapies nécessite soit une formation théorique et pratique en psychopathologie clinique, soit une formation reconnue par les associations de psychanalystes. » Il y a déjà un problème : pourquoi inscrire dans la loi les « formations reconnues » par les associations de psychanalystes et non celles reconnues par les associations de psychothérapeutes ? Voilà une question qui a été posée immédiatement par les associations de psychothérapeutes qui sont venues nous voir et que nous avons à notre tour posée au ministre. Il n'y a jamais eu de réponse. La réponse, elle est dans le non-dit.


Ce qui est intéressant, c'est qu'avec l'amendement Dubernard, nous voyons apparaître dans le processus ce que j'appelle la contradiction finale. Il y a déjà dans cette troisième version quelque chose qui ne va pas si l'on se place au sein du système de l'amendement Accoyer initial. On lit en effet dans cette troisième version : « Sont dispensés de l'inscription sur la liste visée à l'alinéa précédent les titulaires d'un diplôme de docteur en médecine, les personnes autorisées à faire usage du titre de psychologue dans les conditions définies par l'article 44 de la loi n°85-772 du 25 juillet 1985 portant diverses dispositions d'ordre social et les psychanalystes régulièrement enregistrés dans les annuaires de leurs associations. » Or, si la conduite des psychothérapies nécessite la formation prévue au premier alinéa, on ne voit pas pourquoi en sont dispensées, en vertu du troisième alinéa, des personnes dont rien ne prouve ni ne garantit qu'elles ont suivi la formation inscrite dans le premier alinéa.


J'en arrive à la quatrième version. L'amendement revient devant le Sénat le 9 juillet. Il fait très chaud. L'amendement est toujours inscrit dans le même projet de loi sur la santé publique. Lors du débat, nous bataillons considérablement sur une question d'obésité. Le Monde publie une première page exposant que la majorité du Sénat est soumise aux lobbies. En première lecture, le Sénat avait, en effet, voté l'interdiction des distributeurs de barres chocolatées dans les collèges et lycées et avait aussi décidé qu'il y aurait une interdiction de la publicité pour ces produits dans les émissions pour les enfants, à la télévision. Marie-Christine Blandin et Gilbert Chabroux avaient beaucoup œuvré en ce sens. En première lecture à l'Assemblée, ces propositions passent. Tout va donc bien. Mais voilà que, tout d'un coup, on se rend compte, peu avant la nouvelle lecture au Sénat, qu'on peut mettre de l'eau et des pommes dans les distributeurs ! On n'y avait pas pensé ! Et puis M. Mattéi n'est plus là : il est remplacé par M. Philippe Douste-Blazy qui dit sa préférence pour une taxation sur les publicités. Avec le produit de cette taxe, on fera des émissions pour expliquer que toutes les choses dont il est question dans les autres émissions sont mauvaises pour la santé ! Un certain nombre de sénateurs se mettent en colère. J'interroge : que s'est-il passé depuis la dernière lecture ? Le rapporteur me répond « Vous me mettez en cause ! » Je lui dis que je ne le mets pas en cause mais que j'observe qu'il y a un changement et que la chambre syndicales des distributeurs a peut-être fait valoir son point de vue. M. Douste-Blazy obtient donc le vote de cette taxe sur la publicité pour les émissions. Son montant était de un et demi pour cent du coût des émissions, un et demi pour cent pour faire des émissions en faveur de la santé publique ! Mais voyez-vous, il faut toujours être vigilants, car en dernière lecture, après que commission mixte paritaire eut porté ce taux à cinq pour cent, au moment où seul le gouvernement peut encore amender le texte, M. Douste-Blazy, pourtant ministre de la santé, déposa un amendement ramenant la taxe à… un et demi pour cent ! C'était le 30 juillet, si bien que cela s'est passé dans une indifférence à peu près générale, aussi générale que l'amendement Accoyer dernière version. Voilà pour le contexte.


Nous sommes donc là, au Sénat et, dans la tribune, il y a toutes les sociétés de psychothérapeutes. Il n'y a plus de psychanalystes (un ou deux quand même). Comme si ce n'était plus leur sujet. Ils étaient rassurés. Tout était réglé. Je rends hommage à ceux et à celles qui ont dit et écrit qu'il n'y avait aucune raison d'être rassuré et qu'il fallait au contraire s'inquiéter. Je pense en particulier à Elisabeth Roudinesco  [i] qui a publié, entre temps, un livre sur le sujet : « l'Etat, le patient et le psychothérapeute ».


Nous reprenons la bataille. Nous nous battons pour les psychothérapeutes. Nous disons ne pas comprendre les fondements de cette discrimination entre psychanalystes et psychothérapeutes. Mais le texte suit son cours. Nous savons que dans la version Dubernard les médecins, les psychologues et les psychanalystes enregistrés sont dispensés de ce qui échoit au psychothérapeute, c'est-à-dire au privilège d'aller voir Monsieur le préfet ou Monsieur le sous-préfet pour solliciter l'inscription sur la fameuse liste…


Mais avec cette quatrième version, les choses changent : « L'inscription sur la liste visée à l'alinéa précédent est de droit… » Elle est de droit pour les psychanalystes enregistrés sur leur propres listes, les psychologues diplômés et, bien sûr, les médecins. Le sujet n'intéresse presque plus personne, mis à part, évidemment, les psychothérapeutes…


Je termine avec la dernière version. Mais je précise d'abord que, lisant, il y a un mois, la chronique du Médiateur, Robert Solé, dans le journal Le Monde, je constate que celui-ci revient – suite à la publication de nombreux articles traitant de psychologie dans le journal – sur l'amendement Accoyer. Mais il cite la quatrième version, que je viens de commenter, et non le texte définitif. Je lui téléphone et lui signale qu'il parle d'un texte de loi qui n'est pas celui qui a été voté. Je lui envoie la version définitive. Nous nous rappelons et il reconnaît que, jamais, le texte finalement adopté n'a été publié dans Le Monde, pas plus que dans aucun autre journal.


Or, ce qui m'a aussi beaucoup intéressé, c'est qu'au bout des deux navettes, les sept députés et sept sénateurs de la Commission Mixte Paritaire se sont mis d'accord sur une dernière version. Une collègue qui avait voté la première version – ce dont elle s'est repentie. – me disait à la sortie que les choses étaient « réglées » et que les membres de la commission s'étaient accordés pour écrire que tous les professionnels concernés devraient avoir une formation. Le texte paraît : c'est en effet écrit et cela m'a permis de dire lors du débat sur l'ultime version qu'il n'y avait plus d'amendement Accoyer. Mais en même temps, ce texte est totalement contradictoire. Et à mon avis, ce n'est pas un hasard. Observons seulement les deux derniers alinéas de cette ultime version : « L'inscription sur la liste visée à l'alinéa précédent est de droit pour les titulaires d'un diplôme de docteur en médecine, les personnes autorisées à faire usage du titre de psychologue dans les conditions définies par l'article 44 de la loi 85-772 du 25 juillet 1985 portant diverses dispositions d'ordre social et les psychanalystes régulièrement enregistrés dans les annuaires de leurs associations. Un décret en Conseil d'Etat précise les modalités d'application du présent article et les conditions de formation théoriques et pratiques en psychopathologie clinique que doivent remplir les personnes visées aux deuxième et troisième alinéas. » Si l'inscription sur la liste est de droit pour certains, il n'est pas besoin de formation complémentaire. Et si on est dans la logique du quatrième alinéa, à savoir que tous les professionnels concernés doivent avoir une formation, alors il faut changer le troisième alinéa. C'est-à-dire que si l'on pense ce que semble avoir pensé la majorité de la commission mixte paritaire, à savoir que tous les professionnels doivent suivre une formation spécifique, les psychanalystes doivent aussi suivre ladite formation. Et par conséquent, contrairement à ce que beaucoup d'entre eux croient, parce qu'ils ne connaissent pas la dernière version qui a été effectivement votée, ils n'ont rien gagné du tout. Et il faut faire un décret. Mais ce décret est infaisable. Le texte étant contradictoire, le jour où un ministre fera un décret fondé sur le quatrième alinéa, il sera symétriquement possible de faire un recours devant le Conseil d'Etat en vertu du troisième et, si le ministre fait un décret fondé sur le troisième alinéa, il sera systématiquement possible de faire un recours devant le Conseil d'Etat en se fondant sur le quatrième. Par conséquent, si l'on veut sortir de la contradiction, il faut… relégiférer !


J'ai voulu vous raconter aujourd'hui cette histoire, pour tenter de montrer ce que vous avez déjà compris. On croit toujours que la loi est un texte lisse, comme une norme. Or, la loi est aussi un champ de bataille. Le lapsus final auquel on aboutit, c'est la traduction concrète qu'il y a un antagonisme entre deux manières d'appréhender le problème et que le Parlement n'a pas réussi à le traiter en s'y prenant de cette manière. Au terme de tant de débat, il reste une très remarquable contradiction !


Cela montre, me semble-t-il, que, lorsque l'on parle de la singularité et de la société, c'est-à-dire de chaque être humain, de la souffrance psychique, du dialogue, de la relation entre un psychanalyste, un psychothérapeute et un patient, il faut le faire avec infiniment de précaution. Il ne faut pas vouloir faire des lois qui soient de fausses sécurités et qui ne sont en fait que des murs de papier fragiles qui ne sécurisent rien et entraînent des régressions intellectuelles lourdes. Si l'on veut traiter cette question, il faut que les professionnels et les acteurs de la société et les politiques se parlent, refusant de réduire à quelques fallacieuses sécurités ce qui est l'intimité, la profondeur de l'être humain, - ce qui nous concerne tous et ce pour quoi je vous remercie d'avoir bien voulu m'écouter.



1) Roudinesco Elisabeth, Le Patient, le Thérapeute et l'Etat, Ed. Fayard, Paris, 2004.





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30/03/2005
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