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Après-coup

Après-coup

Réactions de la presse, au lendemain du vote, le 19 janvier 2004, des sénateurs en faveur de l’amendement Mattéï/Giraud


Dans le quotidien Le Monde:

Le Sénat crée un registre national des psychothérapeutes qui ne sera pas imposé aux psychanalystes
LE MONDE | 20.01.04 | 13h52 • MIS A JOUR LE 20.01.04 | 17h02
L'amendement adopté a été présenté par le ministre de la santé et remplace celui, controversé, du député Bernard Accoyer. Pour M. Mattei, sa rédaction n'est toutefois pas définitive.

Exit l'amendement Accoyer. Voici l'amendement Mattei. C'est finalement en adoptant un amendement du ministre de la santé à son projet de loi sur la santé publique que le Sénat a créé, lundi 19 janvier, un registre national des psychothérapeutes. Les médecins, les psychologues titulaires d'un diplôme d'Etat et "les psychanalystes régulièrement enregistrés dans les annuaires de leurs associations" seront dispensés de cette inscription pour pratiquer la psychothérapie.

Du même coup, M. Mattei et les sénateurs ont sans doute rallumé le feu de la polémique avec les psychothérapeutes et une partie des psychanalystes regroupés autour de Jacques-Alain Miller. Ceux-ci en tenaient pour l'amendement proposé par le vice-président du Sénat, Adrien Gouteyron (UMP, Haute-Loire), qui prévoyait d'instituer un "conseil national des pratiques thérapeutiques relatives au psychisme" (Le Monde du 13 janvier).

Jean-François Mattei avait repris au vol la suggestion du président de la commission des affaires sociales du Sénat, Nicolas About (Union centriste, Yvelines) pour proposer un amendement. L'opposition a d'autant moins apprécié la surprise que M. Mattei avait affirmé, quelques minutes plus tôt, que le gouvernement n'avait pas l'intention de déposer d'amendement sur l'article concerné.

"EXPÉRIENCE PERVERSE"

La demande de priorité formulée par Nicolas About, laquelle est de droit, a fait que les autres amendements proposés - celui de M. Gouteyron, ainsi que ceux, convergents, des groupes socialiste et communiste, supprimant purement et simplement l'article en question - n'ont pas été soumis aux suffrages. Autre sujet de mécontentement, le scrutin public, également demandé préalablement par M. About, et qui s'est soldé par un vote de 198 voix pour et 117 contre. Cette modalité permet en effet de comptabiliser les procurations et de faire le plein des voix, contrairement au vote à main levée, plus aléatoire, de la trentaine de sénateurs présents à ce moment-là dans l'Hémicycle.

Avant d'en arriver à ce résultat, les débats ont été vifs. Tout d'abord sur les conditions de la discussion. Déjà reporté de jeudi à lundi en raison de l'indisponibilité de M. Mattei, l'examen de l'article controversé a eu lieu peu après 17 heures, une fois que le ministre de la santé avait rejoint les sénateurs, en interrompant l'examen d'un autre article.

Avec un ton que n'aurait pas renié Pierre Brasseur, le sénateur communiste Jack Ralite (Seine-Saint-Denis) a qualifié l'amendement Accoyer de "tentative d'expérience particulièrement perverse". Il a appelé à "créer des réseaux de connivence avec les artistes et les chercheurs" et "une commission parlementaire mixte". Dans un style moins flamboyant, sa collègue de groupe Nicole Borvo (Paris) a pointé les problèmes de santé mentale et a invité le Parlement à "se pencher sur la réalité de la santé mentale avant de légiférer".

Jean-Pierre Sueur (PS, Loiret) a développé son "opposition totale à l'amendement Accoyer, sur la forme et sur le fond". S'adressant à Jean-François Mattei, il a poursuivi : "Monsieur le Ministre, vous auriez tort de vous entêter, car vous en subiriez les conséquences."Cette mise en garde a été reprise dans des termes beaucoup plus virulents lors d'une explication de vote de Gérard Delfau (RDSE, Hérault), favorable à l'amendement Gouteyron : "Monsieur le Ministre, pour le restant de vos jours, vous serez responsable d'avoir fait voter un amendement liberticide." Reprenant une phrase de l'amendement repris par M. Mattei, M. Delfau a lancé : "Vous nous dites : le représentant de l'Etat décide qui est psychothérapeute. Même au temps de Staline, des voix se seraient élevées..."

M. Mattei a été pris à partie plus subtilement par Marie-Christine Blandin (apparentée socialiste, Nord), qui lui rappelait qu'il avait jugé prématurées les propositions faites un peu plus tôt dans le débat pour lutter contre l'obésité : "Trop tôt pour les fontaines d'eau et l'étiquetage des boissons. Pas pour les psychothérapeutes..." Peu à l'aise dans ce débat provoqué par une initiative parlementaire et éclipsant quelque peu les ambitions de son projet de loi, M. Mattei a tenté de convaincre les sénateurs que la navette parlementaire laisserait, d'ici juin, le temps d'"améliorer le texte". Personne ne s'est aventuré à estimer que cela n'était pas nécessaire.

Paul Benkimoun






Dans le quotidien Libération :

Le Sénat épargne les psychanalystes
L'amendement Accoyer encadrant la psychothérapie a été modifié pour éviter le tollé et a été voté.

Par Eric FAVEREAU

mardi 20 janvier 2004


«Nous avons jusqu'à juin, avec les différentes navettes parlementaires, pour trouver la bonne formulation.» Jean-François Mattei, ministre de la Santé

près de multiples reports de séance, le Sénat a voté finalement, hier en début de soirée, un amendement tendant à réglementer l'usage du titre de psychothérapeute. Est ainsi créé un «registre national des psychothérapeutes» pour tous ceux qui voudraient se servir de ce titre. Seraient néanmoins «dispensés de s'inscrire les médecins, les psychologues d'Etat ainsi que les psychanalystes régulièrement enregistrés dans les annuaires de leur association». Une façon de ne pas toucher à la psychanalyse.

Fin du débat ? Nullement. Le ministre de la Santé s'est montré on ne peut plus prudent. Prenant bien soin de préciser que «le gouvernement reste très ouvert». «Nous avons jusqu'au mois de juin, avec les différentes navettes parlementaires, pour trouver la bonne formulation. Et quand bien même, ajoute Jean François Mattei, la rédaction ne serait pas très satisfaisante, il nous appartiendra encore de l'améliorer.» En d'autres termes, rien n'est définitif.

Fronde. Drôle d'impression, en tout cas, hier au Sénat sur les bancs de la majorité ! On aurait dit qu'elle avait entre les mains une «patate chaude» dont elle ne savait comment se débarrasser. Obligés de discuter de l'amendement dit Accoyer - voté en première lecture le 8 octobre par l'Assemblée, et qui entendait réserver aux seuls médecins et psychologues la pratique de psychothérapie -, nos sénateurs ont tenté durant toute la séance de se dépêtrer de ce texte qui avait provoqué une véritable fronde dans la planète psy. «On vit, depuis le début, dans un débat surréaliste. On ne saurait compter sur ce sujet le nombre de changements d'ordre du jour, de saucissonnages successifs. Il nous est dit qu'il va y avoir un amendement du gouvernement, mais celui-ci dément», a expliqué en préalable Jean-Pierre Sueur, sénateur socialiste.

Jean-Pierre About (UMP), président de la Commission des affaires sociales et manifestement très agacé par ce débat, s'énerve. Puis lâche : «Ce texte n'a pas plus d'importance qu'un autre. En tout cas, vos propos relèvent du fantasme, et très logiquement ils vont avoir toute leur place dans le débat qui va suivre.» Le sénateur UMP Françis Giraud, pourtant rapporteur du projet, ne cache pas non plus son peu d'intérêt pour le sujet. Et fait ouvertement le service minimum. «Nous n'avons pas voulu encadrer la pratique de psychothérapie, mais l'usage du titre, dont tout le monde peut se prévaloir aujourd'hui.» La solution proposée est donc de le réserver aux seuls médecins ou psychologues, mais pour avoir la paix, on exclut les psychanalystes de toutes obligations. Voilà, c'est simple, pas besoin de longues diversions, et fermez le ban.

Dialogue. «Je voudrais affirmer mon opposition totale, radicale, sur la forme comme sur le fond, a rétorqué Jean-Pierre Sueur. C'est une question grave dont il n'est pas admissible qu'elle ait été traitée de cette façon-là. Nous demandons le retrait pur et simple de cet amendement pour deux raisons. Nous n'acceptons pas l'idée d'une tutelle de la psychiatrie sur l'ensemble des psychothérapies. Car ce serait un retour à l'hygiénisme. Et, en second lieu, nous considérons que le dialogue est la ligne essentielle pour légiférer. C'est pour cela que nous demandons une mission d'information.»

La gauche, qui avait voté en faveur de l'encadrement, y est aujourd'hui radicalement opposée. Jack Ralite, ex-ministre communiste, appelant à la rescousse poètes et philosophes, dénonce un «grignotage de l'Etat de droit». Rien n'y fait. Par 198 voix contre 117, l'amendement est adopté.

21/01/2004
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