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Jack Ralite

Autour de l’amendement Accoyer/Giraud/Mattéï

Intervention remarquable - car il s’agit bien ici de recherche, de création, de transmission, d’équilibre et de santé - de Jack Ralite lors du débat au Sénat, le 19 janvier 2004, sur l’amendement devant règlementer psychotérapie (et psychanalyse).
La totalité du débat se trouve, d’une part ,sur le site du Sénat, accessible en permamence à tous, (voir des liens, des associations, Politique Santé Actualité) Et d’autre part, ici, sur le site, « Revue de Presse, psychotérapie débat »

Par ailleurs, on peut voir, sur le Forum des psychiatres, la réction de Jacques Alain Miller interrogé au Journal télévisé de Public Sénat à l’issue du vote sur l’amendement Accoyer , le 20 janvier 21, 2004 :
En voici l’url :
http://www.forumdespsychiatres.org/viewtopic.php?t=147&view=next



M. RALITE. – L'amendement Accoyer est d'une extrême gravité. (Rires à droite.)

Avant de l'examiner, je voudrais donner une de mes sources et ressources de réflexion, la création artistique.
« Toute créature est une clef des autres » disait Hofmannstahl. « La pensée avant d'être œuvre est trajet » lit-on dans Poteaux d'angle de Michaux. « Possédée d'une chanson jamais chantée » écrit Aragon sur Bérénice, l'héroïne d'Aurélien. «Des coups d'archets sur l'imagination », Julien Gracq appelle à en donner.

Ce bouquet de mots dessine finement, me semble-t-il, l'objet même du métier de psychanalyste. Il indique qu'il faut rompre avec les mots – déchirure, les mots-cri, les mots-chaîne, comme spécial, exclusion, mur, partition, assistance, étrange. Il plaide pour les mots – espoir, les mots-respect, les mots- dignité, comme inattendu, ensemble, aléatoire, autre, découverte, dialogue, relativité, désordre, surprise, pluriel et écoute. Écoute l'autre, écoute les voix inconnues, écoute les voix qui se taisent ou qu'on a fait taire, écoute éperdument…

Je fais là l'éloge du mouvement psychanalytique, dont on mesure mal le travail caché surtout aujourd'hui qu'il l'accomplit dans un paysage social brouillé, cruel, traversé par la régression de l'être à l'avoir et la gestion des hommes étendue à leur intimité.

Et l'amendement Accoyer ? Jeté tel un cavalier législatif à l'Assemblée nationale, jeté tel un abrasif d'une culture singulière à notre pays et tellement emblématique, il obéit à la pratique politique actuelle : autoritarisme banal, ordinaire, pragmatique, autoritarisme rampant, sapant, la démocratie en la rendant molle, c'est-à-dire vulnérable. Nous en sommes à l'étape suivante : l'amendement Accoyer est, dans le champ qu'il concerne, une tentative d'expérience particulièrement perverse.

Il veut juridiciser la psychanalyse, autrement dit la normer, la normaliser, la conformiser, mettre des barrages, des murs, des cloisons, des obstacles à ce travail si singulier qu'abordait Georges Canguilhem en recommandant de « dégager une place vacante pour un concept mieux avisé ». La juridicisation telle qu'elle se développe aujourd'hui vise ici à imposer une vision dominatrice sur « la vie » et « sur l'intime ». C'est un grignotage de l'État de droit, un début d'État de tutelle fouineur et surveillant les rencontres humaines.

L'amendement veut comptabiliser la psychanalyse. Nous sommes de plus en plus dans une société régie par des comptables supérieurs qui bardés de statistiques – comment faire une statistique de la pratique de l'analyse ? – vous pénètrent comme un cheval de Troie dans le cerveau et tentent, et malheureusement souvent réussissent, d'empêcher de penser toute différence, toute singularité, toute alternative. La vie fracturée, fissurée, éclatée, parfois bousillée, mise en « comptes », ce serait grotesque si ce n'était si dangereux. Ce n'est pas de « comptes » qu'à besoin la mêlée analysant-analyste, c'est de « contes », qu'ils fabriquent ensemble eux-mêmes. Éveiller les facultés bloquées d'un être en souffrance, cela ne s'est jamais résolu en termes d'arithmétique, de statistique, et d'évaluations vectorisées par un scientisme borné- bornant.

Il veut « médéfier » la psychanalyse (M. Chérioux ironise) avec son souci – qui se retrouve dans toutes les démarches ministérielles comme la lettre de M. Delevoye aux ministres pour préparer leur budget 2004 en témoigne – de la performance et de la définition d'un cœur de métier, trahissant la volonté d'externaliser le non-cœur du métier, c'est dire de le privatiser. Ce langage, que les travailleurs récusent dans l'entreprise, devient abominable quand il s'agit de la psychanalyse. Traitez-moi la « parole errante », selon la belle expression d'Armand Gatti, avec de tels concepts ! Le psychologue du travail Yves Clot approfondit cette question. Aux états généraux de la culture, le 12 octobre, il a montré le fantasme du Médef d'avoir un travailleur ayant un savoir et non un travailleur qui pense, c'est-à-dire un travailleur amputé de son initiative, un « boxeur-manchot », empruntant cette image à Tennessee Williams. Il faut être psychanalyste pour rendre, avec le boxeur, ses mains au boxeur, ses mains pour entrer en relation, pour toucher, pour caresser, pour transformer, pour construire autre chose.

Il veut médicaliser la psychanalyse, ce qui est un non-sens. Il n'y a pas de médicament en psychanalyse, pas d'opération, pas de traitement, il y a un dit partagé. La médecine de ville et d'hôpital est de plus en plus compartimentée, les spécialités de plus en plus pointues, à en oublier l'homme, et la femme, dans leur totalité. L'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation des soins est experte en évaluation-gestion de cette pratique, avec le soutien du rapport Cléry-Melin qui est le type même d'une conférence de consensus. Or, la psychanalyse se refuse à mettre l'homme et la femme en tranches, à les segmenter, les séquencer, elle les prend dans leur devenir, elle contribue à les déployer. L'homme et la femme sont des êtres sociaux, plus peut-être que certains psychanalystes ne le pensent, des êtres sociaux qui dans l'espace de la discussion analytique doivent faire un effort pour arriver à vivre avec les autres, ce qui n'est pas une médicalisation mais une politisation, au sens premier du mot « politique ».

À prêter l'œil à l'amendement Accoyer, à l'écouter, sa visée peut prendre les formes de la contrainte la plus implacable en obligeant à psychanalyser en rond, dans un monde de téléréalité, de sondages, de peur organisée, de produits, de services, de protocoles, d'espérance du risque zéro, dans un monde libéral qui récuse contradictoirement le « un », la diversité des uns, et ne cherche qu'un type, une moyenne, qui refuse de boiter ensemble, veut des cartes avec des petits drapeaux et des sanctions au cas où ça ne va pas.

Contre cela, j'en appelle à être un résistant de fond, j'en appelle à refuser d'être des intermittents de la psychanalyse, j'en appelle à une rencontre de l'intime entre les experts que sont les psychanalystes et les experts du quotidien que sont les analysants, et au-delà d'eux, car il faut élargir le débat public à la société. J'en appelle à créer des réseaux de connivence et de complicité, notamment avec les artistes et les chercheurs, à faire preuve d'une infinie générosité, j'en appelle enfin à la création d'une commission parlementaire mixte Sénat et Assemblée nationale, toutes antennes dehors, se compromettant avec la personne humaine, magnifiant la singularité dans la culture des solidarités et nous donnant dans ce secteur si fragile et si précieux où souvent le cœur a éclaté, du combustible pour la vie ! (Applaudissements à gauche.)






http://www.senat.fr/cra/s20040119/s20040119H3.html#18quater





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