Chaque visage est le Sinaï d'où procède la voix qui interdit le meurtre - Lévinas

Mobilisation psy

Pour (se) tenir au courant, en plein remous, au fil du temps ... dans la presse du 12 et 13 janvier 2004





TEN LINE NEWS
n° 163 - nouvelle série
Date: lundi 12 janvier 2004
Sélection des listes de l'AMP

Editée sur UQBAR par Luis SOLANO
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Paris
Grand Meeting des Psys du samedi 10 janvier
IVè Forum des psys. Le Grand Meeting à la Mutualité. Meeting, donc slogans. Librement bricolés d'après leurs interventions, sans l'accord des orateurs, en voici quelques uns :
Philippe Sollers : Contre les palotins, Sainte Anne avec Baudelaire!
Jack Lang : Pour un Front Culturel des Disciplines Interprétatives et des Précarisés, à bas la mise en norme!
François Bayrou (par la voix de Gérard Miller) : Pour le politique et la démocratie, à bas la folie normative!
Michel Guilloux (rédacteur en chef adjoint de "L'Humanité" ) : Contre la normalisation, tous unis avec les intermittents du spectacle!
Catherine Clément : Avec Michel Foucault, contre les chambres stériles du principe de précaution, vive notre étrangeté légitime!
Élisabeth Roudinesco : À bas le nouvel hygiénisme, à bas la société dépressive!
Yves-Charles Zarka (Directeur de la revue Cités) : Vive le politique et la démocratie, à bas le nouveau pouvoir gris et la société de réseaux!
Bernard-Henri Levy : Pour l'idéal scientifique, contre le scientisme! Défendons la société! Fêlés de toutes sortes, tous unis contre les corps dociles et les âmes tristes! Foucaldiens, lacaniens, tous unis!
Jean-Claude Milner : À bas le tout-psy, gardien du sommeil des maîtres!
Anne Béraud : Pour que nous ne nous réveillions pas un jour québecois!
Lilia Mahjoub : Pour le droit de ne pas tout dire!
…et bien d'autres (une américaine del'ACF-Montpellier, Julia Richards; une conseillère municipale UMP; des syndicalistes psychothérapeutes, un psychologue clinicien…).
près de 1300 entrées payantes, et une centaine d'invités. Enthousiasme. "Ce-n'est-qu'un-début, le-combat-con-tinue…". (From Gilles Chatenay)


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Dans le Journal : l’Humanité

Au sommaire du 12 janvier 2004

Les psys ne veulent pas être " Les gardiens du sommeil des maîtres "
Deuxième round au Sénat mardi

MOBILISATION
Les psys ne veulent pas être " Les gardiens du sommeil des maîtres "

Samedi, 1 200 psys, et avec eux des intellectuels, ont dénoncé le rôle répressif qu'entend leur faire jouer une partie de la majorité parlementaire.

Un meeting de protestation, ralliant durant cinq bonnes heures quelque mille deux cents psychanalystes, psychothérapeutes de toutes obédiences, psychologues et psychiatres à la Mutualité, est un événement. Le député UMP de Haute-Savoie, Bernard Accoyer, contre l'amendement duquel ce rassemblement était organisé ce samedi à la " Mutu " (voir " Le manifeste du forum des psys " publié dans notre édition du 1er décembre), serait bien avisé d'en prendre la mesure. D'autant que les participants, dans leur attention concentrée aux discours, comme dans la chaleur des applaudissements dont ils ont remercié les orateurs, exprimaient une détermination unifiée peu commune.

" Vous croyez que c'est fini ? Vous n'y êtes pas du tout ! " avait prévenu le psychanalyste Jacques-Alain Miller, dans une salle de l'hôtel Méridien à Paris où ils se réunissaient pour la troisième fois déjà, en décembre. Car le rapport de forces, entre les psys et les parlementaires, notamment ceux de l'actuelle majorité, n'est pas engagé d'hier. Il dure depuis trois mois. En effet, le 8 octobre dernier, Bernard Accoyer a fait voter à l'Assemblée nationale un amendement à la loi de santé publique, commandant que les psychothérapies entrent dans le Code de santé publique. Celles-ci seraient désormais à considérer comme des " outils thérapeutiques utilisés dans le traitement des troubles mentaux ". Le ministère de la Santé en fixerait les différentes méthodes. L'amendement prévoit, en outre, que seuls les médecins, psychiatres, et les psychologues seraient à même d'être psychothérapeutes, si tant est qu'ils aient " les qualifications professionnelles requises par ce même décret. L'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation de la santé " apporterait alors " son concours à l'élaboration de ces conditions ". En clair : " Les non-médecins et les non-psychologues exerçant la psychothérapie depuis plus de cinq ans à la date de promulgation de la loi, devront être évalués par un jury dont la composition est fixée par le ministre de la Santé et le ministre de l'Éducation Nationale. "

Étant donné la spécificité de la formation des psychanalystes et de nombre de psychothérapeutes, très longue - environ sept années - et sérieuse, mais échappant à la main mise de l'État, on comprendra l'opposition des praticiens devant tel amendement : il arraisonne psychothérapie et psychanalyse à la médecine et ruine toute indépendance d'instruction et de pratique. Le député UMP a camouflé cette attaque sans précédent sous les apparences d'une lutte contre les pratiques sectaires.

Cependant, l'émoi qui a saisi ces professions, la mobilisation massive dont elles font preuve, le soutien actif des intellectuels dont elles s'entourent, ne s'éclairent pas seulement à la lumière explicite du texte de l'amendement Accoyer. Les psys ont une critique plus profonde de la situation. Ce qu'ils refusent, ce contre quoi ils se battent, au fond, c'est la perspective civilisationnelle que ce texte dévoile. Une perspective relevant selon Jacques-Alain Miller, d'un " néo-hygiénisme " qui ne se dit pas, réalisant un projet véritablement " autoritaire ". Une perspective dont Bernard-Henri Lévy disait samedi qu'elle dessine d'ores et déjà un horizon de " corps dociles et d'âmes tristes " et qui relève, pour le philosophe Jean-Claude Milner, d'une volonté manifeste de mécaniser " le psychique au nom d'une science mécanisée ". Le même ajoutera dans son intervention, très appréciée, que s'ils ne s'opposent pas à ce dispositif, les psys sont destinés à devenir " les gardiens du sommeil des maîtres ".

Roger Wartel, professeur émérite de psychiatrie et psychanalyste, résume : " L'amendement Accoyer tient en remorque, sournoisement mais dangereusement, une conception de la santé mentale et de l'organisation de la psychiatrie qui s'affirme sans nuance aucune : lesdits troubles mentaux sont de nature similaire aux maladies organiques classiques, et doivent être traités avec des outils affûtés et remis entre de bonnes mains. Il s'agit de remettre de l'ordre, tant au rang d'une doctrine qu'au niveau de pratiques alignées, confiées à des catégories hiérarchisées et contrôlées, ainsi qu'à leurs contrôleurs. "

L'ordre, le contrôle, c'est dit. Deux mots, deux pôles autour desquels s'articule effectivement l'idéal démocratique du capitalisme mondialisé ; le troisième pôle de la trinité néolibérale étant évidemment l'enrichissement.. Michel Guilloux, rédacteur en chef adjoint de l'Humanité, qui était invité à représenter notre journal n'a pas manqué de l'indiquer : " Insécurité sociale généralisée. Souffrance sociale. Contrôle social. Voilà le retour aux "classes dangereuses", "classes chômeuses" vouées à l'esclavage moderne du RMA. Tout ce qui peut participer à la "réalisation de l'être humain", toutes les solidarités qui peuvent se nouer, constituent autant d'obstacles à ce projet de société ultralibérale. Ceux qui agissent dans la voie de l'émancipation humaine en sont donc aussi les cibles. "

Ce " phénomène idéologique de la protection, celui du contrôle des masses ", selon les mots de Yves-Charles Zarka, " est plus profond que les clivages politiques habituels ". Une analyse partagée par Philippe Sollers - qui a lu un passage du Résumé de l'intrus d'Erri de Luca et l'article du philosophe Giorgio Agamben publié dans le Monde de ce week-end -, comme par Jean-Claude Milner, Bernard-Henri Lévy, Catherine Clément et Élisabeth Roudinesco, par Jack Lang aussi, ou Jack Ralite, dont la présence dans la salle a été saluée, et jusqu'à François Bayrou que Gérard Miller avait rencontré la veille et dont il a porté la parole à la tribune.

" Un spectre, de nouveau, hante l'Europe, a expliqué Milner. Le danger venu d'"en-bas" refait surface. La médecine est appelée comme remède au problème des "masses dangereuses", car, désormais, il faut fonctionner en termes de précaution et de prévention. Il faut s'attaquer à la racine des "masses dangereuses" : "L'individu dangereux", mais avant qu'il ne devienne dangereux, quand il ne fait encore que souffrir. Aussi, les psys doivent-ils devenir le premier maillon de la tranquillité sociale. "

Ordre et contrôle, " Michel Foucault avait prévu cette alliance, rappelle pour sa part Bernard-Henri Lévy, celle du mariage du libéralisme et de la médecine sociale. Sous le prétexte du chiffre, les Accoyer et consorts se prennent pour les tenants de la science, mais ce sont des psycho-flics. Quand la religion de la médecine devient reine, la politique devient une région de la clinique et son régime devient totalitaire. " Jacques-Alain Miller a donc pris l'initiative de rassembler autour de la cause freudienne un vaste mouvement de psys - et d'alliés - et les a décidés, au vu des promesses légales d'une politique qui abdique et " remet entre les mains du pouvoir réglementaire " le plus funestement foucaldien " sa responsabilité ", à se battre, à démontrer l'absurdité des projets que la raison ultralibérale élabore pour notre société. Non, décidément, les psys n'ont pas vocation à devenir " les gardiens du sommeil des maîtres ". Et Jean-Claude Milner de conclure : " Ce qui s'est passé ici, c'est une tentative pour que ceux qui dorment se réveillent. S'ils sont somnambules, ils tomberont ! "

Jérôme-Alexandre Nielsberg

L'Humanité publiera demain une partie des interventions prononcées lors du meeting de la Mutualité.
Article paru dans l'édition du 12 janvier 2004.

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Dans le Journal Le Monde
lundi 12 Janvier 2004
En première page, à droite « La France freudienne » se mobilise » avec une très belle photo de Jacques-Alain Miller souriant, accompagné du texte suivant : « L’amendement du député ‘UMP) Bernard Accoyer visant à réglementer les psychothérapies sera discuté, mardi 13 janvier, par le Sénat dans le cadre du projet de loi sur la santé publique. Dans l’attente de savoir comment ce texte sera remanié, la mobilisation des psychanalystes et des intellectuels ne faiblit pas. Samedi 10 janvier, à l’appel de Jacques-Alain Miller (photo), ils étaient plus d’un millier, à Paris, pour s’opposer à la « conspiration des imbéciles ». (lire page 10).
Société (page 10)
"La France freudienne doit être à l'avant-garde d'un nouveau combat contre l'obscurantisme"
LE MONDE | 12.01.04 | 12h32

"CETTE FOIS, j'ai pénétré la salle des machines" : c'est en ces termes que Jacques-Alain Miller (dit "JAM") tire aujourd'hui le bilan de sa rude campagne contre l'amendement Accoyer. Deux mois d'assaut durant lesquels ses amis les plus fidèles auront été sollicités, y compris dans les milieux politiques – notamment Roland Dumas, en direction du PS, et Blandine Kriegel, pour l'Elysée. "Hier, j'ai déjeuné avec mon premier sénateur, rompant ainsi avec une posture de trente ans. Auparavant, je n'avais jamais rien demandé à un homme politique", avait confié au Monde le chef de file de l'Ecole de la cause freudienne, à la veille du quatrième Forum psy, prévu samedi 10 janvier à Paris.

Pour l'occasion, outre les représentants de la Coordination psy, JAM avait voulu mobiliser ceux qu'il nomme "les chevau-légers de l'intelligentsia", et d'abord les écrivains et philosophes Philippe Sollers – qui devait ouvrir le meeting par une intervention aussi lacanienne que décalée –, Elisabeth Roudinesco, Jean-Claude Milner, Catherine Clément et Bernard-Henri Lévy. "Je sens qu'on va refuser du monde", avait prophétisé ce dernier, de Jérusalem où il se trouvait pour un hommage à la mémoire de Benny Lévy.

Et de fait, si "BHL" n'était pas encore arrivé, la température était déjà élevée et les places assises très rares dans le salon Jussieu de la Mutualité, samedi vers 14 heures, à l'ouverture du meeting organisé "pour les libertés" et "contre les projets orwelliens du ministère de la santé". Devant plus d'un millier de personnes, Jacques-Alain Miller a pourfendu "le point de vue néo-hygiéniste et autoritaire de l'administration", avant de menacer, en tambourinant du poing sur la table : "Je dis tranquillement que ce n'est pas le texte d'une loi de la République. A une telle loi, nul n'est tenu de se conformer. Si, à Dieu ne plaise, elle venait à être votée, il ne nous resterait plus qu'à entrer dans la voie de la désobéissance civile..."

Sans aller jusque-là, Jack Lang s'est lui aussi enflammé contre "la dictature de la technocratie et de l'administration". S'amusant à égrener les "perles" du député Accoyer à l'époque du débat sur le pacs ("Ce n'est pas du Baudelaire", a-t-il ironisé, en un clin d'?il à Sollers), l'ex-ministre a exhorté l'assistance à "refuser la domestication des esprits". Puis s'avança Murielle Schor, élue (UMP) de Paris (17e), qui se présenta comme "femme de droite et analysée, amie d'enfance de Jacques-Alain", pour s'engager à "faire le lobbying de la psychanalyse auprès du gouvernement".

"LA CONSPIRATION DES IMBÉCILES"

Enfin, cette série d'interventions fut conclue par une allocution proprement spectrale de François Bayrou, qui était absent, mais auquel Gérard Miller (le très médiatique frère de JAM) entreprit de prêter sa voix, sur le mode du "je lui ai demandé si" et du "il m'a dit que": "L'affaire Accoyer n'est pas une petite affaire. Au bout, il y a la dictature", aurait donc affirmé le dirigeant de l'UDF.

Contrôle des corps, discipline des âmes et tentation totalitaire : c'est en se référant à la lettre et à l'esprit de Michel Foucault qu'Elisabeth Roudinesco a retracé la généalogie moderne des politiques de santé mentale, pour affirmer que "la France freudienne doit être à l'avant-garde d'un nouveau combat des Lumières contre l'obscurantisme des expertiseurs et des dépisteurs d'inconscient". De même Bernard-Henri Lévy a-t-il marqué que "la vision infernale de Foucault trouve aujourd'hui à s'incarner sous le visage un peu grotesque des représentants de la pensée évaluatrice", appe-lant l'assemblée à briser "la conspiration des imbéciles".

Mais c'est à Jean-Claude Milner qu'il revint d'électriser pour de bon cette réunion, au point de la faire virer au "meeting": annonçant le "retour des classes dangereuses" et la volonté étatique de transformer chaque "psy" en "gardien du sommeil des maîtres", il a conclu, sous un tonnerre d'applaudissements, en posant simplement ceci : "Ce qui s'est passé ici, c'est une tentative de faire du bruit pour que ceux qui dorment se réveillent. Et, s'ils sont somnambules, ils tomberont.."
Jean Birnbaum (www.lemonde.fr)
€ ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 13.01.04
Trois questions à  ...  Paul-Laurent Assoun

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LE MONDE | 12.01.04
Trois questions à  ...  Paul-Laurent Assoun

Directeur de l'UFR sciences humaines cliniques à l'université Paris-VII, estimez-vous nécessaire de réguler la pratique des psychothérapies  ?

Directeur de l'UFR sciences humaines cliniques à l'université Paris-VII, estimez-vous nécessaire de réguler la pratique des psychothérapies  ?


Le projet actuel répond au souci de "sécuriser" les pratiques psychothérapiques. On se réfère à une certaine idéologie de la santé. De même que l'idée d'évaluer les psychothérapies -  défendue dans des rapports récents  - répondait au souci de réduire le coût social de la santé mentale. En suivant une telle idéologie sociale légitimée de la médecine, on méconnaît la souffrance psychique et le sujet lui-même. Le législateur est intervenu comme s'il y avait besoin tout à coup d'une règle, semblant ignorer que cette question travaille de longue date le champ des pratiques cliniques psychiques. Sur le fond, tout le monde sait qu'il existe des charlatans. Les thérapies irrationnelles, sur le thème du New Age, ou d'un syncrétisme douteux, pullulent. Ces pratiques leurrantes ou nocives, dans la mesure où elles possèdent une telle attractivité, doivent être interrogées dans le contexte du "malaise de la civilisation". Il est logique de se tourner vers le diplôme et l'université, comme garants de connaissances, mais cela laisse ouvertes les questions du savoir clinique et de ce qu'on nomme "transfert".


Plusieurs associations de psychanalystes ne voient pas d'inconvénient à une réglementation des psychothérapies pour peu que la psychanalyse en soit exclue. Une telle séparation est-elle possible  ?


Il est vrai que la psychanalyse a son autonomie, liée à sa spécificité, que les institutions analytiques ont vocation à défendre. Mais la psychanalyse ne saurait se couper des enjeux d'une modification de la loi et d'une discussion de fond sur le statut de psychothérapeute. Il y a d'ailleurs un trajet possible des patients, de la psychothérapie à la psychanalyse. Au-delà de tout éclectisme, il convient de rendre visible l'apport de la psychanalyse à la recherche en sa dimension "transdisciplinaire". L'acte analytique ne saurait se couper des avancées du savoir.


Quel danger voyez-vous dans cette séparation  ?


Je me méfie de cette volonté de ranger les disciplines dans des tiroirs. En prétendant renforcer la "technicisation", on bafoue plus ou moins la prise en compte du sujet. Des projets existent d'ailleurs en Europe de formation raccourcie de techniciens psychothérapeutes sur certains symptômes ciblés, tels les phobies, alors que c'est l'occasion pour un sujet de témoigner d'un conflit. Ainsi produit-on des sujets cautérisés par des thérapies ponctuelles, lesquelles ont en fait aggravé l'étrangeté du sujet à lui-même, tout en le "réadaptant" fonctionnellement et en gommant le symptôme. Derrière la question du statut des psychothérapeutes ou de la psychothérapie, il y a celle du traitement psychique, posée par Freud au début du XXe  siècle.


Propos recueillis par Paul Benkimoun

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 13.01.04_______________________________________


Libération, le journal


Article suivant signalé par ailleurs dans les liens:

Ils s'opposent à un amendement visant à réglementer les soins psychiques, que les sénateurs examinent à leur tour aujourd'hui.
Les psys se lèvent contre une loi

Par Eric FAVEREAU

mardi 13 janvier 2004

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Un vrai grain de sable ! Et Jean-François Mattei peut en être franchement agacé. Sa grande loi de santé publique, qui vient aujourd'hui en débat au Sénat, est «parasitée» par un petit amendement de rien du tout, concernant la psychothérapie.


Voté à l'unanimité en octobre par l'Assemblée nationale, l'amendement dit Accoyer (du député UMP de Haute-Savoie Bernard Accoyer) entendait limiter le titre de psychothérapeute aux seuls médecins et psychologues. Mais il a été très contesté et se trouve à l'origine d'une fronde (lire ci-contre). Après de multiples péripéties, un nouveau texte a été rédigé par l'un des deux rapporteurs du projet de loi au Sénat, le professeur Francis Giraud (UMP, Bouches-du-Rhône). Et le résultat est une surprise, car il se révèle très proche de celui adopté par les députés. A la différence qu'il ne parle pas de la psychanalyse, ce qui pourrait l'exclure de fait. «L'usage du titre de psychothérapeute est réservé aux professionnels inscrits au registre national des psychothérapeutes,est-il écrit. L'inscription est enregistrée sur une liste dressée par le représentant de l'Etat dans le département de leur résidence professionnelle.»L'inscription sera de droit pour les médecins et les psychologues. «Cet amendement répond, selon la commission, à un besoin unanimement reconnu d'informer et de sécuriser le public au regard des psychothérapies. Nous n'avons pas voulu définir les psychothérapies, mais nous voulons donner des garanties quant à leur formation.»


Conseil. Bien malin qui pourrait dire quel est l'avenir de cet amendement. Certes, il devrait satisfaire le monde de la psychiatrie qui voit le rôle de la médecine et de l'université réaffirmé dans cet univers fluctuant de la psychothérapie. Mais, pour le reste, rien n'est acquis. D'abord, un autre amendement est proposé par le sénateur UMP (Haute-Loire) Adrien Gouteyron. Celui-ci propose la création d'un «Conseil national des pratiques thérapeutiques relatives au psychisme». Comportant quatre collèges (psychothérapeutes, psychologues, psychiatres et psychanalystes), ce conseil aurait pour fonction de «garantir la déontologie des praticiens et la sécurité des usagers». Un texte proche de ce que suggérait le psychanalyste Jacques-Alain Miller, gendre de Jacques Lacan et opposant de la première heure à l'amendement Accoyer.


Claire. Hier, l'amendement de la commission sénatoriale a reçu l'accord du gouvernement. Que vont faire les sénateurs ? Ces derniers temps, la classe politique a eu bien des difficultés à adopter une position claire sur cette question. Un jour, tous partis confondus, ils ont voté pour une réglementation, avant de critiquer le vote le lendemain. Mais le passage au Sénat n'est qu'une étape. Comme le reste de la loi de santé publique, cet amendement repartira à l'Assemblée, avant de revenir au Sénat. Il ne sera pas adopté avant le printemps. De quoi réserver encore quelques surprises.

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Libération, le journal, suite

Santé Avant l'examen du texte, des sénateurs prudents et surpris par la mobilisation :
"On ne doit pas tout vouloir régenter "

Par Marie-Joëlle GROS

mardi 13 janvier 2004

«Toutes ces réactions sont extravagantes !», lâche Jean Chérioux, 76 ans, sénateur UMP de Paris. Assaillis de lettres de thérapeutes et d'analystes courroucés par le projet de loi sur la santé publique, et surtout par le fameux amendement Accoyer, les sages du Palais du Luxembourg entament l'examen du texte aujourd'hui. Quelques-uns ont accepté de livrer leurs impressions.


Jean-Louis Lorrain, 56 ans, sénateur UMP du Haut-Rhin, l'un des deux rapporteurs du projet de loi, s'étonne de l'ampleur de la polémique :«L'amendement Accoyer occulte tout le reste.» Le groupe socialiste se montre prudent. Il demande qu'on repose tout à plat, et qu'«une mission d'information permette d'auditionner les gens en prenant le temps», explique Claude Estier, son président. A gauche comme à droite, beaucoup dénoncent «une absence de concertation». Mais, au fond, comment les sénateurs perçoivent le rôle des psys ?


De fait, pas un qui accepte de répondre ne reconnaît avoir consulté. Jean Chérioux a bien essayé, mais c'est un mauvais souvenir : «Je faisais de l'asthme. On dit que c'est psychosomatique, alors j'ai pris rendez-vous, pour voir. Quand l'analyste m'a posé des questions sur ma famille et ma petite enfance, je l'ai envoyé promener.» Selon le sénateur UMP, «aujourd'hui, on met du psy partout. Les Français s'ennuient, alors, ils vont voir le psy. Ils feraient mieux de travailler». Michel Dreyfus-Schmidt, 72 ans, sénateur PS du Territoire de Belfort, croit voir«d'anciens chômeurs» parmi les thérapeutes :«Leur titre crée une confusion car ils ne soignent pas au sens propre, ils écoutent. Ce ne sont pas des cinglés. Le prétexte de ce texte est de lutter contre les sectes, or il existe déjà une loi antisecte.»


Comme lui, beaucoup privilégieraient la création d'un ordre professionnel veillant au respect de la déontologie. «Même s'il y a un phénomène de mode autour des psys, avec des pour et des contre, comme pour l'homéopathie, la logique de liberté doit primer. On ne doit pas vouloir tout régenter», dit Jean-Louis Masson, 57 ans, sénateur UMP de Moselle. Fils d'une psychologue, François Zochetto, 46 ans, sénateur centriste de la Mayenne, dénonce le manque de psys : «La thérapeutique psychique n'est pas valorisée. On considère à tort que ce n'est pas important. On voudrait tout régler par le médical. Or les troubles sont très variés et appellent des réponses diversifiées.» Il pourrait s'entendre avec Jean-Pierre Sueur. Le sénateur PS du Loiret rejette «une mise sous tutelle par la psychiatrie de la psychothérapie relationnelle». Car il y voit «une nouvelle remise en cause de la psychanalyse et du travail sur l'inconscient, qui s'inscrit dans une tradition très conservatrice. C'est de l'hygiénisme».


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Encore, Libération, le même jour


Santé
Une profession réveillée par un député
En trois mois, la planète psy s'est retrouvée et mobilisée contre le texte de l'UMP Accoyer.


Par Eric FAVEREAU

mardi 13 janvier 2004


«Il ne faut pas prendre le problème autourde la question de la formation mais plutôt autour de la déontologie.» Jacques-Alain Miller, ex-président de l'Ecole de la cause
 


«Saint Accoyer, nous te rendons grâce...» La planète psy devrait brûler des cierges à la gloire de ce député UMP, médecin de formation et auteur d'un petit amendement perdu dans une vaste loi de santé publique. Grâce à lui, voilà que nos psys se réveillent, redeviennent insolents, refont de la politique. Et pour certains, l'esprit de Mai se mettrait de nouveau à souffler en plein hiver raffarinesque.


Point de départ, le 8 octobre dernier : la scène se passe dans une Assemblée nationale désertée. A l'unanimité, les députés votent un amendement de Bernard Accoyer, qui entend encadrer les pratiques de psychothérapie, en les réservant aux seuls médecins et psychologues. La psychanalyse fait partie de l'amendement, et Accoyer se justifie en disant qu'il faut lutter «contre les dérives sectaires»et le «charlatanisme». «N'importe qui pouvant mettre sa plaque de psychothérapie»,argumente-t-il. Il n'y a aucun débat. Et, sur le moment, personne n'en fait écho. Ce n'est que deux semaines plus tard que cela commence à bouger. D'abord chez les psychothérapeutes : ils sont les plus nombreux mais leur position est délicate. Regroupés dans deux grandes fédérations, ils hésitent. Ils ont peur de se laisser broyer par le monde officiel de la «maladie mentale». Et se défendent modestement : «Nous soignons juste les bleus de l'âme.» En même temps, ils espèrent par le biais d'une réglementation donner une reconnaissance officielle à leur titre, mais aussi à leurs «instituts privés».


De l'autre côté, le monde de l'analyse. Il est éclaté, déchiré, mais aussi fatigué par les grandes querelles historiques entre freudiens orthodoxes et lacaniens. Cette planète a terminé le siècle dans l'ombre et la discrétion. Essayant tant bien que mal de préserver un espace «à part» où se noue un échange unique, entre un patient et son analyste. Surprise, l'amendement Accoyer agit comme un poil à gratter. Stupéfaits devant «ce débat qui n'a pas eu lieu», les psychanalystes se rendent compte qu'ils sont beaucoup moins atomisés qu'on ne le disait. Une autre génération (moins lié aux figures écrasantes du passé) émerge. Bien sûr, cela reste compliqué, tendu, à fleurs de peau et d'influence. Il n'empêche, on se parle. Jacques-Alain Miller (dit JAM), gendre de Lacan et longtemps président de l'Ecole de la cause, se sent rajeuni. Lui, l'ex-militant mao, très critiqué mais aux réseaux multiples, se lance dans la bataille. Habile et talentueux, il revit. Il se retrouve avec d'autres pour dénoncer la mainmise de l'Etat. Elisabeth Roudinesco, historienne de la psychanalyse, met en avant le danger «rampant» d'une société «dépressive» qui se rassure à coups d'expertises et d'évaluation. De son côté, le groupe de contact, qui regroupe les freudiens de la Société psychanalytique de Paris et nombre de sociétés lacaniennes, constitue de loin le groupe le plus important. Il se réunit, travaille et répète qu'il n'a que faire de l'Etat. Mais, moins habile que JAM, il lui laisse la vedette. Le 12 décembre, le ministre de la Santé réunit dans son bureau la quasi-totalité des représentants des sociétés de psychanalyse. Une réunion historique. Se rendant compte de la spécificité de la question de la psychanalyse, Jean-Francois Mattei leur dit que l'amendement futur ne concernera pas la psychanalyse, mais il ajoute, en substance : pourquoi ne ferait-on pas un annuaire des psychanalyses dont l'Etat serait le garant ? «Un annuaire ? Mais nous ne sommes pas des plombiers», rétorque, JAM, solennel, qui précise sa pensée : «Aujourd'hui, il ne faut pas prendre le problème autour de la question de la formation mais plutôt autour de la déontologie. Comment, en effet, donner des certificats de formation quand celle-ci est éminemment subjective ?» Claude Landman, président de l'Association lacanienne internationale, est plus radical : «Qu'on nous laisse tranquilles !» Et décrit ainsi la situation actuelle :«On est pris entre les fédérations de psychothérapies qui font des affaires. Et la folie de l'Agence nationale d'accréditation qui est dans une hystérie évaluative.»


Début janvier, c'est officiel : la psychanalyse ne sera plus directement concernée par cet amendement. Mais comme si c'était trop tard, les nouveaux combattants n'ont nulle envie de s'arrêter. Ils ont pris goût à cette lutte, comme on a pu le noter, lors de ce meeting organisé samedi par l'Ecole de la cause freudienne à la Mutualité, où près de 2000 analystes se sont retrouvés. Une rencontre inclassable, parfois surréaliste quand l'écrivain Philippe Sollers lâche : «C'est quand même pas mal ce que je dis, vous ne trouvez pas ? Pour un meeting, c'est décalé...» Comique quand Gérard Miller (frère de JAM) se fait le porte-parole de François Bayrou, «absent», et déclare vouloir faire partager «la sensibilité et l'élévation de pensée» du leader centriste. Ou quand Murielle Schor, élue UMP, «femme de droite», déclare faire du lobbying «contre la mise au pas des psys». Ou quand tous les représentants des partis (PS, PC, UMP, centristes) disent tout le mal qu'ils pensent de cet amendement, alors que ces partis ont tous voté pour.


De tonalité très libertaire, dépassant de loin le seul milieu analytique parisien, une fronde existe contre le monde des «évaluateurs». Ainsi, l'écrivain Catherine Clément : «Que va-t-on quadriller encore ? Notre vie intérieure.» Ou le philosophe Jean-Claude Milner qui s'alarme contre l'Etat, qui demande aux psys d'être le «gardien du sommeil des maîtres». «Il y a eu un attentat contre la psychanalyse et il a échoué», lance Bernard-Henri Lévy, en stigmatisant les acharnés du principe de précaution dans ce monde hygiéniste. Et termine ainsi : «Fêlés de tous les pays, le combat ne fait que commencer.»






Le Figaro
Melman
UNE HYSTÉRIE COLLECTIVE

PAR CHARLES MELMAN *
[16 janvier 2004]

Une épidémie menacerait la France. En déposant son projet de loi sur la santé publique, le premier depuis 1902, le ministre de la Santé ne se doutait pas que le modeste amendement 18 quater, ajouté à ses 56 articles par un député de la majorité et portant sur la réglementation des psychothérapies allait, paraît-il, provoquer l'angoisse des masses et mettre le pays au bord de l'émeute ?


Pourtant «c'est la guerre», apprend-on de la bouche du chef de l'insurrection. «Désobéissance civile», jure-t-il aux gouvernants. «Dictature !» fait-il dire à François Bayrou représenté à la Mutu. Et notre élite monte au créneau en polissant ses armes d'un style étincelant. Mais à vrai dire, contre quel ennemi ?


L'observateur doit en effet se frotter les yeux pour tenter de saisir le motif de cette ire. Il n'y a en effet rien qui justifie l'émotion de la collectivité et n'appelle son approbation obligée. Le débat se situe en effet entre la défense de l'intérêt général et d'intérêts privés particulièrement bruyants.

Jusqu'ici, il y avait dans notre pays un espace de soins, libre et réservé, dont les acteurs s'autorisaient d'eux-mêmes, de leur talent comme de leur inspiration : celui de la psychothérapie.


Fascinés par ce vide juridique, des instituts de formation privés à but lucratif (actifs sous le nom de Fédération française de psychothérapie) ont entrepris dès la législature précédente une remarquable action de lobbying à Paris et à Bruxelles pour obtenir un droit exclusif de formation et de qualification. La psychanalyse eût été d'ailleurs un département de cette principauté qui en aurait compté une vingtaine avec la Gestalt, la sophrologie, le comportementalisme, la Programmation neuro-linguistique (PNL), le psychodrame, l'amourologie du docteur Meignant, etc., et son exercice validé par les quelques années «d'étu des» requises pour la «formation» et le diplôme devenu nécessaire.


Un tel projet n'est pas sans réalisme, puisqu'il a abouti en Italie, où le chef de notre insurrection nationale a contribué (avec l'aide de Roland Dumas alors ministre des Affaires étrangères) à la mise en place d'un établissement de ce type dont il contrôle une large aile.

Faut-il ajouter que de l'autre côté des Alpes, la psychanalyse ainsi régimentée se meurt ? A Bruxelles, les Fédérations de psychothérapeutes ont obtenu le statut d'ONG. A Paris, l'amendement Marchand qui, fin 2000, accédait à leur demande avait failli être voté, sans provoquer la moindre émotion publique.


L'amendement du docteur Accoyer vise à contrôler, au moins par une formation médicale ou psychologique le dessein «fédératif» de substituer à une vocation et un art une activité marchande.

Cette garantie serait-elle suffisante ? Non, bien sûr.


La qualité du psychothérapeute relève en effet d'un coefficient personnel difficile à évaluer. Dans une population, il y aura ainsi toujours des «soigneurs» aptes à répondre à la demande ambiante. Mais cette relation change dès lors qu'elle est conçue comme une prestation de service dont la finalité est vénale. Une formation universitaire et scientifique est alors un préliminaire souhaitable à une action qui, autrement, pourrait être sans frein ni limite.


En échange de ses honoraires, le psychanalyste, lui, ne promet rien, aidant toutefois l'analysant à faire fructifier sa dépense. Mais la cure personnelle qu'il a suivie ne peut lui permettre d'accepter qu'un intérêt pécuniaire soit en dernier ressort celui du praticien. On devient psychanalyste par accident, non par souci de faire carrière.

On peut rendre hommage au docteur Accoyer et au professeur Mattei de respecter assez cette singularité de la psychanalyse pour l'avoir écartée du champ de la réglementation et d'en laisser le souci aux associations qui la représentent. La psychothérapose, cette fièvre qui agiterait la population à propos d'une menace sans objet, n'est vraisemblablement qu'un banal échantillon d'hystérie collective.

* Psychanalyste, auteur d'un Monde sans gravité (Denoël).






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13/01/2004
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