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L'immatérielle

L'immatérielle

 

L'immatérielle
 

(Je tu il(s) elle(s) un singulier pluriel …)




Je suis une comète qui ne sait pas qu'elle en est une ni ce que comète veut dire... je suis une comète qui ne sait où elle va ni à qui le dire
Une comète qui s'imagine filante comme l’étoile qu'elle se sent devenir ...
Je suis l'eau je suis le feu je suis la déliquescence
L'absence qui foudroie la fébrile insécure

Je suis le vent qui s'agace qui cingle qui s’emporte et celle qui le retient
Je suis la résistance qui n’en peut plus d’exister sinon pour s’opposer
La trame dont je suis faite semble d’acier mais mon marbre se fissure

Je suis le geyser sans direction, la fontaine aux milles ablutions, l'avancée en quête de butée
le mouvement dans lequel je disparais
la fuite rebelle à l'existence
l'a-matière qui prend forme peut-être
Ou s’évapore

Je suis la sans terre
Avide de fermeté
La violence qui s'ignore
Le verbe être sans sujet
La masse dérisoire
l'esquive qui ne se supporte pas objet

Je suis l’écoulement du temps, la faune incantatoire
Je suis le vent Monsieur le vent d’Émile Veraehen, Le vent sauvage de Novembre, qui soulève et qui affole ou bien L'ambre, le musc, le benjoin et l'encens, Qui chantent les transports de l'esprit et des sens
Mes pieds sont le sable dans lequel ils se glissent oubliant ce qu'ils sont ou ne l'ayant jamais su

Je suis la trace l’envol le mouvement le confort dans l'inconfort l'équilibre dans l'instabilité
le vent le geyser l'ébullition la vague
l'eau sans contenance
le passage qui se laisse traverser
l'amour qui saigne quand on l'ignore
Le chant du cygne qui se meurt

La pierre qui s'émeut
la chaleur qui se glace
le visage sombre d’en face
Que l'horizon délasse

Je suis sans nom
sans visage
je suis la fuite du temps
la régression
l'absence de passion

L'olivier
aux rameaux argentés et son feuillage frémissant sous le soleil d'été

Le crépitement du feu dans la cheminée
Ses braises qui rougeoient
La cendre qui palpite et l’odeur de fumée dont le parquet, les murs, les vêtements, les couvertures, sont empreints au petit matin

Depuis que j’ai trois ans je ne les ai pas quittés


Je suis le jour qui disparait
et hier,
la panne d'électricité
l'émeute, le froid, la panique dans foule, le cadavre retrouvé
L’ombre des voitures courant sur le plafond à la lueur des réverbères
Les talons de la fugitive martelant le trottoir mouillé

Je suis la voix de Barbara Hendrix sur France Culture
Et sa mère qui l'a enfantée
La rage qui se terre quand la raison exaspère

la plaine qui s’essouffle
le désert qui surgit
Je suis les mauvais sentiments, la sécheresse, la peste, la rancune, le venin, le saccage quand ils se pointent, l'inquiétude qu'ils réveillent, le désastre qu'ils produisent
Je suis la boule de Noël qui résiste au froid dans une rue déserte un matin de janvier, mais jamais le froid quand il persiste...

Je suis la mort qui menace, la maladie qui nous surprend, la douleur en rupture avec le plaisir
L'accroc dans le drap de lin, la moire du satin, la brûlure du fer à repasser sur ta main.
Je suis le chien, je suis le chanvre, je suis le chancre qui me ronge, l'ablation de ton rein, l'opération de tes seins, le désespoir que rien ni personne ne retient
Je suis la faille qui s’annonce, le tremblement dissimulé, le bonheur que l’on sape
La blessure que je t'inflige quand elle m'échappe
La vivacité de l'enfant qui transcende la tristesse, son regard captant la caméra et la caméra quand elle le filme...
 

Je suis la faim quand elle s'abat
La peur, l’effroi, la révolte qu'elle sème, la colère contre moi
Et le chagrin quand à travers un autre elle t'atteint
 

Je suis l'averse ce matin
Je suis ton corps dans la nuit engourdi
Le tombé de ton pull sur la chute de tes reins.
Je suis la pellicule de ton film quand tu m'impressionnes
je suis le vide qui se remplit
de rage de colère de poésie
Je suis le point de nobody
je suis je suis ... je suis je suis je suis je ne suis plus je ne suis rien....


--


Et pourtant …
Je suis l'incompréhension quand elle menace
Le drame qui t'efface
Le désarroi qui te saisit
La douleur qu'il a subie
Je suis la honte que l'on méprise la stérilité qui paralyse
et l’effroi de celles et ceux que leurs pairs ont trahis


Je suis l’illusion que l’on devine
Le mystère qui cesse de l’être
Et l’enfant qui se crée au rythme des comptines
Je suis les mots qui enferment
la douleur sous le choc qu’ils assènent,
l’emprisonnement auquel condamne l’invective, les frissons d’horreur qui s’en suivent …
La lecture me rend chair, la parole me libère

Je suis la naïveté dont on me gratifie, son inaltérable éveil à la rencontre du jour…
J’aime l’ardeur qu’elle procure, sa façon de se soustraire à toute forme de discours
Je suis la bulle autistique, l’amour des premiers pas, l’enthousiasme qui les suscite et l’émerveillement qu’ils autorisent…

Je suis la tranquillité profonde des eaux dormantes un instant perturbée.
L’acte qui me détruit, le discours qui t’oublie, l’imprononçable qui s’écrit.
Je suis le doute qui s’affirme et l’évidence qui le dément
la clandestine, la sans abri, la fugitive, la puce qui sursaute
Et dans la solitude de l’automne, perdue parmi les feuilles mortes, l’interminable seconde entrecoupée de reniflements et de sanglots.

Alors je suis les cris des mots que l’on évide de leurs sens
Les idées que l’on galvaude
Le rire en réponse à l’indifférence au mépris à la condescendance
Le livre qui émeut et son auteur en ce matin de ciel d’orage
La catastrophe qui s’évite
La mémoire que dissipent les nuages
Le mauvais souvenir que l’on estompe en tournant les pages
Je suis la raison qui s’égare et le cœur que l’on froisse



La mer ce soir borde mon rivage à la tombée du jour
apaisante
et se retire
tout doucement
quand hier elle déchirait mes côtes de ses lames
Je suis le participe présent qui se demande s’il est toujours d’usage
Et là en cet instant, pour la première fois, terre ferme sous tes pas parcourue de longs et doux frissons
Je deviens fertile et me ravive à la caresse de ta flamme

Un instant je retombe et m’emporte le néant

Je suis les jours colère
l’énervante énervée la névrose sans entrave la dérision par dépit la tentation du pire et l’envie de ne pas y céder
Je suis la hantise des mots qui viennent à retardement, s’affirment dans la douleur en disparaissant, et les fantômes qu’elle réanime
En les fuyant je me fuis en les suivant je me nuis
 

Je suis
Le paradoxe de la douceur qui tyrannise faute d’espace pour se vivre, l’éternité qui se dérobe, le silence qui tempête et plus tard l’effort en quête de forme pour sortir de l’oubli
La vérité qui se dérobe dans l’instant sans raison et se révolte le lendemain d’avoir été chassée de la maison
L’évidence qui se demande ce qu’elle donne à voir
la répétition qui sait qu’elle échappe à la redite
l’indicible qui persévère à ne plus l’être


Je suis les mots que l’on retient, l’inquiétude qu’ils manifestent, leur invention doutant de l’être
Je suis la pensée qui me traverse, sa fulgurance qui émeut et l’impuissance à dire qui obsède
Je suis le passé qui impose ses reproches au présent, et bientôt la connexion qui brûle de ne pas s’être faite. Je suis l’oubli dans l’intensité de l’instant et l’angoisse qui désespère sans futur ni passé ni présent,
le siège de l’intranquillité
l’insistance du désir, la poussée qui l’anéantit, la survie dans l’ivresse, la souffrance de l’effacé, le retour à l’inexistant
l’abolition des mots,
la douleur de vivre que l’on rejette,
la décomposition (vitale) que l’on déteste
et peut-être aussi ce qui aime à ne pas être dit

Je suis la nuit qui s’offre lumineuse quand tarde le sommeil
Le relief de tes pas qui s’invitent auprès de moi
l’ombre de ta voix
quand tu me quittes
la chance d’être avec toi quand elle s’entête

je suis le corps qui se disloque sous la foudre d’un regard
Le sexe déchiré qu’aucun miroir ne répare
L’âme évaporée qu’un sourire anonyme égare

A l’aube d’un amour éternellement renaissant

je suis la lumière sur ton visage, la tendresse de nos pensées, la joie dont elles m’inondent

De nuage en rocher
mes pieds cherchent où se poser
quelque part dans l’inarticulé

C’est dans l’après coup que l’on nomme pudeur l’impossibilité à parler de soi.

Virginie Megglé

Janvier 2018

 

 

 

 

 

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06/01/2018
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