Chaque visage est le Sinaï d'où procède la voix qui interdit le meurtre - Lévinas

Frères et sœurs, sur la piste de l'hystérie masculine 1

"Ce qui pose problème ce ne sont pas les souffrances que l'on a subies mais la place où l'on se tient."


Juliet Mitchell

 

Quelques éléments de réflexions à l'occasion de la parution en France



aux


Éditions des Femmes

Collection
La psychanalyste


du dernier livre de

Juliett Mitchell
 



 
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Frères et soeurs


Sur la piste de l'hystérie masculine  


Traduit de l’anglais par Françoise Barret-Ducrocq.




Frères est sœurs, sur la piste de l’hystérie masculine qui vient de sortir en France, au Éditions des Femmes, est un livre précieux, dont le titre Anglais

Mad men and Medusas,
Reclaiming hysteria and the effect of sibling relations on the human condition [1]

ne rendait pas vraiment bien compte de la réalité du contenu.

Lors de la soirée organisée en son honneur au mois de juin par son éditrice, Juliet Michell a tenu à remercier Antoinette Fouque et les Éditions des Femmes non seulement pour leur longue et fidèle hospitalité mais aussi d'avoir su restituer au titre de ce livre son sens premier,

Frères et soeurs 
             sur la piste de
   l'hystérie masculine 




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Pour son auteur, à travers ce titre, il s'agit moins d'affirmer l'existence d'une hystérie typiquement masculine que de pointer l’objet de la recherche dont témoigne patiemment l’ouvrage à travers une observation rigoureuse et néanmoins généreuse. Il n'y a pas pour elle une hystérie masculine et une hystérie féminine. Il y a l'hystérie...  Celle-ci touche aussi les hommes et il n'est pas anodin, nous laisse entendre Juliett Mitchell, que la psychanalyse à la suite de Freud ait fini par ne plus la considérer, comme si elle n'existait plus, alors qu'elle est bien présente, active peut-être même en chacun de nous. Juliett MIchell nous livre ici des clefs précieuses pour accéder à une meilleure compréhension des phénomènes qui entrent en jeu dans ce symptôme, et de ce fait à une meilleure appréhension de la santé.

C'est donc sur cette piste qu'elle nous invite à penser autrement la clinique de l’hystérie, ses causes et sa genèse, pour les aborder sous un angle nouveau, à travers l'analyse fouillée des relations entre frères et sœurs et bien sûr en re-visitant le travail et les études de Freud. Avec intelligence, perspicacité et bienveillance. Tout en tenant compte  des avancées post freudiennes.

L'ouvrage, il faut le dire, est une somme d'érudition, et pourtant, même s’il témoigne de la culture scientifique de son auteur, il n’est jamais pédant, jamais indigeste ; les connaissances venant, à point nommé, participer à une démonstration tout en souplesse. Ce qui est remarquable quand il s’agit d’hystérie !

Frères et sœurs, sur la piste de l’hystérie masculine est un livre épais, intimidant, oui mais un beau livre, riche et extrêmement bien écrit. C'est-à-dire un livre qui traduit clairement une pensée fine pour rendre compte à chaque mot de la complexité des interactions des phénomènes psychiques, personnels et/ou interpersonnels. Et tandis que l'on en savoure les lignes une à une, on se réjouit de constater que la suivante nous apporte tout autant que la précédente, et que, ensemble, elles forment une somme complexe oui mais apaisante et nourrissante.  

Réexamen audacieux de la priorité de l'œdipe dans la genèse des névroses, il tend à affirmer la prévalence des relations horizontales (entre frère et sœur ou germains) sur les relations verticales (parents/enfant).  Ou, si ce n’est la prévalence, tout du moins l’égalité d’importance. Tandis qu’à travers le complexe d’Œdipe, Freud mettait en évidence la particularité des relations verticales, parents enfant, Juliet Mitchell  ose s’en prendre à ce roc, pour démontrer que le sentiment de colère lié à la sensation d’être déplacé, suite à la naissance d’un frère ou d’une sœur ou de tout autre être humain (proche) est à l’origine de l’hystérie, et que celle-ci est et reste – au-delà des apparences qui l’ont fait disparaître de la clinique et des nomenclatures psychiatrique et psychanalytique - universelle. L’auteur argumente sa thèse, tout en finesse, en partant du principe que la naissance d'un frère ou d'une soeur déclenche la haine contre la personne qui en prenant votre place (auprès de votre mère) menace de vous rendre inexistant ; mais elle souligne aussi - contrairement aux affirmations de Mélanie Klein -  que la haine de la mère envers le bébé précède celle du bébé envers sa mère, dans la mesure où la première peut se sentir  à nouveau déplacée par son enfant, comme elle l'aura été, par un frère ou une soeur (ou tout autre germain)  alors qu'elle-même était encore enfant   [2]

Tandis qu’elle évoque la difficulté essentielle de se remettre de cette catastrophe  [3]- que représente pour plus d'un, plus d'une, l’arrivée d'une frère ou d'une sœur, elle raconte aussi comment l’absence de frère ou de sœur peut s’avérer tout aussi catastrophique. L’auteur explique comment en effet ce même problème se pose - mais diversement – chez l’enfant unique, pour qui le fait qu'aucun nouveau-né n'apparaisse à sa suite lui laisse supposer que "l'autre" est mort; et qu’il l’a peut-être tué. Cette supposition -  éminemment anxiogène -  étant alors à l'œuvre dans l'inconscient.
Ainsi, chaque humain attendrait un frère ou une sœur, et la situation se révèlerait aussi douloureuse pour celui ou celle chez qui cette sœur ou ce frère n’arrive jamais… La menace qu’il arrive représentant une aussi grande mise en danger (perpétuelle) que l’arrivée réelle, l’enfant craint incessamment d’être remplacé par un autre  (frère ou sœur) et s’imagine en même temps que si il ou elle n’est pas là, c’est qu’il l’a peut-être tué [4] .

On le voit, le prétexte de l'hystérie masculine est l'occasion d'une découverte somptueuse et fournie de nos mécanismes inconscients. Découverte étant bien à entendre au sens premier: mise à découvert qui invite à ouvrir les yeux et l'entendement sur ce qui en temps ordinaire est dissimulé au regard et inaccessible à la conscience; il s’agit de mettre en lumière quelques vérités qui pré-existent – indépendamment de notre volonté - comme en dehors de nous, comme malgré nous, c'est-à-dire qui ne dépendent pas d'une volonté consciente d'agir ; mais dont pourtant notre vie ne cesse de dépendre.





 





Notes:


1] Allen Lane/ The Penguin Presse, 2000, London

2]  Soulignons qu’à l’occasion d’une naissance, une mère reconnaît, revit les sentiments enfantins premiers à travers le bébé qu’elle vient de mettre au monde.

3] Voir en fin de livre (p. 477) quelques beaux passages sur la nuance que fait l’auteur entre catastrophe et traumatisme. Ainsi qu'à cette occasion de beaux moments sur les rêves.

4] Signalons au passage que la découverte soudaine d’un aîné jusque-là ignoré (dissimulé) peut s’avérer tout aussi catastrophique. On pense alors ici, à Into the wild, film de Sean Penn.




Frères et sœurs sur la piste de l'hystérie masculine -  L'article, deuxième partie

Frères et sœurs sur la piste de l'hystérie masculine - Troisième partie : présentation et citations 

24/08/2008
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