Chaque visage est le Sinaï d'où procède la voix qui interdit le meurtre - Lévinas

Manifeste: la suite

Ce texte, d'Erik Porge, est l'une des contributions proposées lors du débat public organisé par la coordination à l'initiative du Manifeste pour la psychanalyse sur les enjeux de celui-ci et les suites à lui donner.
Débat qui s'est tenu le dimanche 14 mars de 14 heures à 19 heures,
à l'amphithéâtre de la CMME, 100 rue de la Santé,
75014 Paris.





ÉBAUCHE D’UNE CRITIQUE DE L’ARGUMENTAIRE DU « GROUPE DE CONTACT » ET DE SES PARTISANS EN FAVEUR DU PROJET DE LOI MATTEI



J’ai extrait et regroupé en cinq rubriques les arguments et défauts d’arguments, que j’ai entendus ou lus, en essayant à chaque fois de présenter les objections qui m’apparaissent. L’exposé nécessite d’avoir bien à l’esprit le texte du projet de loi Mattei (que j’appellerai PLM) voté par le Sénat et approuvé par la Commission des Affaires culturelles, familiales et sociales de l’Assemblée nationale.

L’argument comparatif
1. Le PLM est mieux que les autres projets (notamment celui dit « Gouteyron ») car les autres projets sont soutenus par d’autres que nous, et surtout un, proclamé bête noire, et/ou les psychothérapeutes.
Il manque toutefois une étude, comparative justement, entre les risques et la viabilité des deux projets législatifs. A vrai dire, il me semble qu’on peut les renvoyer dos à dos. D’autre part et surtout, on perpétue et on épaissit un lourd conflit qui date de la dissolution de l’EFP.
2. Une telle loi (Mattei) est mieux que pas de loi, car une pire pourrait être votée. C’est l’argument : cette loi est bonne parce que celle qui n’existe pas est pire.

L’argument utilitariste (voire corporatiste)
Le PLM permettrait à des analystes non médecins et non psychologues d’être embauchés dans des institutions de soins, donc il défend la psychanalyse laïque.
Mais : même pour les psychologues les embauches sont rares et les critères restent à la discrétion des institutions. D’autre part s’il faut des psychothérapeutes, la concurrence sera rude avec ceux pratiquant les TCC, prônées par le rapport Cléry-Melin et celui de l’Inserm. Donc, des psychothérapeutes, mais pour quoi faire ?
D’autre part, rien n’empêche dans le PLM un psychanalyste ni médecin ni psychologue de demander à s’inscrire sur les listes nationales de psychothérapeutes, sans vouloir la dispense de l’inscription due à l’appartenance à une association de psychanalyse.
Surtout : user de la possibilité de cette appartenance (même si cela ne devait concerner qu’une personne) engage l’institution dans son entier, ses buts et son fonctionnement. Toutes les associations de psychanalyse ne pourront pas être reconnues par l’État comme garantissant la formation qui permet aux psychanalystes d’être dispensés d’inscription sur les listes nationales de psychothérapeutes. Il faudra qu’elles comportent un cursus de formation acceptable par l’État, c’est-à-dire équivalent à celui de l’IPA, dont le modèle est le plus proche du « consensus » des « bonnes pratiques professionnelles ». Les associations de psychanalyse deviendront donc ipso facto formatrices de psychothérapeutes et la psychanalyse sera considérée comme une forme de psychothérapie.
Ce n’est pas la reconnaissance de la psychanalyse laïque, c’est la reconnaissance de la psychothérapie laïque.

L’argument de la force protectrice
Le PLM reconnaît « la spécificité de la psychanalyse et le rôle irremplaçable des associations dans la formation et la qualification de ses membres » (« Des responsables d’associations psychanalytiques prennent position », 29.2.04).
Mais : il ne reconnaît pas tant la spécificité de la psychanalyse – qui heureusement tient à autre chose que ce que la loi reconnaît – que des associations, déjà légales, supposées formatrices ; les deux choses (spécificité de la psychanalyse et association formatrice) ne sont pas du tout pareilles et le glissement de l’une à l’autre est rhétorique.
Cela suppose donc la reconnaissance par l’État de celles des associations dites formatrices qui fourniront des critères et des modalités de formation convenables. Il paraît évident que toute association déclarée ne sera pas validée.
La loi est bonne car elle reconnaît les associations qui l’approuvent.

L’argument de la faiblesse par bénignité de la loi
Cet argument s’oppose pourtant au précédent.
On interprète le PLM ainsi : l’État ne demande pas les annuaires des associations mais l’annuaire des annuaires,
Ou : l’État ne demande rien, ni liste d’analystes, ni annuaire. Il suffit qu’ils existent quelque part et de toute façon les annuaires existent,
Ou : l’État ne demande que la liste des associations.
Cela n’empêche pas les mêmes partisans du PLM d’énoncer par ailleurs qu’il faudra une autorégulation des associations (mais pourquoi si l’État ne demande rien ?) et que la validation de celles-ci se fera en fonction de leur filiation historique (scissions, recompositions…) freudienne (alors, toutes les associations ne seront pas validées ?). En fait d’autorégulation, vu la façon dont les choses se sont engagées, il s’agit tout simplement de ce que les associations se ralliant au PLM régulent l’ensemble des associations. « L’auto » veut dire que ces associations roulent pour elles.

Les zones de silence
Outre le caractère fallacieux de leur argumentaire, les alliés du PLM laissent dans l’ombre un certain nombre de questions importantes :
Quel sera le sort des analystes non médecins et non psychologues qui sont hors institution ou pas reconnus comme analystes par celle-ci (à condition de ne pas se satisfaire de l’argument cynique : qu’ils viennent chez nous !) ?
Quels seront les critères de formation exigibles des associations qui se rallient au PLM ? Sans doute des décrets d’application les définiront, mais il sera trop tard pour s’en plaindre.
Des psychanalystes — la psychanalyse n’ayant pas de statut juridique — seront en fait possiblement reconnus comme psychothérapeutes en faisant valoir leur inscription à une association de psychanalyse. Mais celle-ci ne devient-elle pas alors association de formation de ceux qui ont une existence légale, à savoir les psychothérapeutes ? Oui, la psychanalyse aura trouvé son abri : dans la psychothérapie.
Croyant sans doute l’avoir déjà trouvé, cet abri, les partisans du PLM ne se soucient d’ailleurs guère des liens de ce projet avec les rapports Cléry-Melin et de l’Inserm, qui sont de véritables machines de guerre contre la psychanalyse.

Ce qui est aussi soigneusement passé sous silence c’est qu’un projet tel que le PLM a été voulu depuis longtemps par des analystes de l’IPA mais aussi des lacaniens, qui ont œuvré dans ce sens, au niveau des ministères plus que de leurs associations. Un certain nombre d’associations ont déjà anticipé les conséquences du PLM et sont donc toutes disposées à l’accueillir. Rappelons tout de même que la remise des annuaires à l’État a été d’abord une proposition émanant d’un psychanalyste, que le gouvernement n’a fait que reprendre à son compte, et alors même (réunion chez Mattei du 12 décembre) que celui-ci envisageait la possibilité d’un retrait de l’amendement Accoyer. En ce sens il est fondé de dire que ce n’est pas l’État qui demande les annuaires puisque des analystes vont au-devant de la demande de l’État. Si l’ensemble des associations avaient soutenu la position émise dans un premier temps de refus de toute réglementation de la psychanalyse, il est probable que l’amendement Accoyer aurait été retiré sans substitut. Cette volonté législative de certains analystes va perdurer et il faudra désormais l’inclure comme paramètre dans la transmission de la psychanalyse, pour laquelle, si on compte sur sa vitalité, une ère nouvelle est ouverte.


Erick Porge



Voici la contribution proposée par Michel Plon lors du débat public organisé par la coordination à l'initiative du Manifeste pour la psychanalyse sur les enjeux de celui-ci et les suites à lui donner.
Débat qui s'est tenu le dimanche 14 mars de 14 heures à 19 heures,
à l'amphithéâtre de la CMME, 100 rue de la Santé,
75014 Paris.




RIEN NE VA PLUS

Il m’est revenu, au sein de ce petit groupe de coordination dont Sophie Aouillé vient d’évoquer l’historique, de rappeler en quelques mots le contexte social et politique général dans lequel s’inscrit l’entreprise gouvernementale visant à réglementer, encadrer, voire pour certains à protéger l’exercice de la pratique analytique.
Dire que le monde dans lequel nous vivons ne va pas bien relève de cet exercice que l’on peut qualifier de lapalissade : le malaise, bien loin de s’atténuer, ne fait que croître. Depuis Freud et depuis Lacan nous savons qu’il y a deux manières de se situer au regard de ce malaise : la première manière, première dans l’histoire de l’humanité, est constituée par ce que l’on appelle la police ; la seconde manière, infiniment plus récente, porte le nom de psychanalyse. Entre ces deux conceptions du malaise, entre les modalités qui caractérisent l’appréhension et le traitement que ces deux approches en proposent, il y a un antagonisme fondamental, irréductible, qui peut aller, dans certaines circonstances historiques, jusqu’à la tentative, tentative parfois localement réussie, d’une élimination de la seconde par la première.
Bien des choses, une actualité on ne peut plus récente sur laquelle je n’aurai pas l’indécence d’insister, témoignent de ce que non seulement ça ne va pas mais que ça va même de plus en plus mal : de là à penser que « la psychanalyse va mieux » comme cela a pu être écrit récemment, il y a un pas que le manifeste qui nous réunit ce soir n’est pas, pas du tout sur le point de franchir.
S’interroger aujourd’hui sur l’utilisation qui est faite du terme de terrorisme par les pouvoirs publics ne signifie pas que l’on soit enclin à ne pas tenir compte de la barbarie et de la cruauté – deux termes utilisés par Freud tant en 1915 dans Considérations actuelles sur la guerre et la mort qu’en 1933 dans Pourquoi la guerre ? son échange épistolaire avec Albert Einstein – dont témoignent les inspirateurs et les auteurs de ces actes ; mais ce constat sans concession ne saurait dispenser de réfléchir à l’utilisation que font de ce terme de terrorisme les États considérés comme étant des démocraties. Comment ne pas réaliser, comprendre, entendre que face à l’existence et au développement de ces formes de violence extrême, les États, bien loin de développer une réflexion sur les origines de ces phénomènes allant dans le sens d’une responsabilisation des citoyens, usent de ces circonstances pour mettre en place des mesures, des lois et des réglementations qui entretiennent un climat de terreur justifiant en retour de ces mesures dont le caractère liberticide est de plus en plus manifeste. Pensez à la liste des lois votées sous l’impulsion de l’actuel ministre de l’Intérieur depuis deux ans, pensez aux lois Perben sur la justice. Récemment le philosophe Giorgio Agamben a attiré l’attention de tous sur cette évolution aussi sournoise qu’insidieuse qui tend à faire que les États, y compris les États réputés démocratiques, revêtent cette parure juridique que constitue l’État d’exception. Il en va bien là, il pourrait en aller là, plus rapidement que nous pouvons le penser, de l’instauration d’une de ces conjonctures dans lesquelles la première manière de traiter de ce qui ne va pas est conduite à bâillonner sans tarder la seconde manière, celle qui se défie de toute perspective d’aide, de guérison ou d’éducation octroyées et se fonde prioritairement sur la liberté des sujets de choisir les modalités sous lesquelles ils désirent se confronter à leur existence.
A ces conditions géopolitiques alléguées comme étant à même de justifier du caractère thérapeutique et sécurisant de mesures allant toutes dans le sens d’une restriction croissante des libertés, s’ajoutent les données économiques résultant de ce qui est qualifié de processus de globalisation : les maîtres mots en sont l’efficacité et la rentabilité qui appellent des méthodes fondées sur une conception positiviste de l’action humaine en quelque domaine que ce soit, toutes méthodes pensées et construites autour de l’idée du mesurable qui sous-tend les possibilités les plus variées, les plus raffinées, voire les plus intimes d’évaluer et de contrôler les faits et gestes des citoyens. Le domaine de la santé n’échappe pas à ces impératifs et l’on ne saurait reprocher au ministre responsable de ce secteur de masquer ses intentions, que celles-ci soient explicitées au niveau des projets de loi ou préparées de manière plus détaillée dans les différents rapports, qu’il s’agisse du rapport Cléry-Melin, du rapport de l’INSERM ou des directives de dépistage concernant la santé mentale des enfants et des adolescents, pour ne citer que quelques projets dont nous avons connaissance.
Au regard de cette conjoncture générale, politique et économique ici hâtivement évoquée, génératrice d’un malaise toujours plus grand, il ne saurait échapper que toute forme de coexistence entre les deux manières de se confronter à ce qui ne va pas, entre la police et sa conception benthamienne de la société d’une part et la psychanalyse d’autre part, ne peut être que de l’ordre d’un provisoire qui ne saurait durer, que de l’ordre du leurre. La psychanalyse ne va ni mieux ni plus mal, elle n’est telle, psychanalyse, qu’à demeurer inscrite dans la perspective de l’impossible et du subversif. A nous de nous employer pour que puisse survivre ce paradoxe qui consiste à faire que du précaire demeure. Rappelons-nous les mots de Freud, les derniers, en 1939 : « Le combat n’est pas fini. »


Michel Plon





Voici la contribution de
Henri Rey-Flaud & Bernard Salignon


IL N’Y A PAS D’« ÊTRE-ANALYSTE »

Le savoir du psychanalyste
Le consentement donné à l’amendement Accoyer par plusieurs écoles analytiques à travers l’acceptation de remettre la liste de leurs membres, outre qu’il relève d’une forme de lâcheté morale, s’inscrit en complète contradiction avec les principes maintenus par Freud tout au long de sa vie.
En son temps, la dérive de la première Internationale avait été de vouloir soumettre l’exercice de la psychanalyse à des critères de compétence étrangers à elle-même (la qualité de médecin en l’espèce qui revient aujourd’hui comme un serpent de mer). Contre cette prétention Freud référa cette pratique à la formation singulière du sujet, fondée en premier lieu sur sa propre analyse. On considère généralement qu’il s’agirait pour le candidat analyste d’avoir atteint un degré certain de connaissance de lui-même. Encore faudrait-il préciser la nature de cette connaissance. Le savoir produit par la cure découvre sa singularité de se réduire à un savoir sur rien — soit exactement sur l’objet primordial de son désir, savoir qui n’est articulable dans aucun savoir articulé. Le procès de la cure qui conduit l’analysant jusqu’à la traversée du fantasme soutient un travail de déconstruction d’une histoire aliénée qui dégage le sujet de tous les réseaux de certitudes, d’a priori, de présupposés qui ont constitué l’étoffe de son moi. Ce que Lacan avait exprimé un jour de 1973 près de Montpellier en disant que la fin de l’analyse advenait quand on avait reconnu qu’il n’y avait rien devant, rien derrière, rien à droite, rien à gauche et rien au-dessus. Cette vérité a été manifestement évacuée par ceux qui s’apprêtent à se laisser enrôler dans des listes. Essayons de mettre en lumière l’erreur de fond, impliquée dans ce refus.

L’événement et le souverain
Chaque analyste au début de chaque séance remet les compteurs et les pendules à zéro. Contre tout processus d’installation sa pratique est référée au surgissement de l’événement qui ne se fonde que sur l’exclusion de tout fondement. Parce qu’il est sans cause, l’acte analytique est ainsi saisissement de ce que l’ancienne langue appelait la chëance (mot qui désignait alors le coup de dés qui jamais n’abolira le hasard), ce que les Grecs dans une autre culture que la nôtre appelaient kairos. Ces références signifient tout simplement qu’il n’y a pas d’être-analyste, ce que prétend précisément instituer la liste. Cette vérité trouve sa confirmation dans la passe qui, selon un processus qui ne cesse pas de s’effectuer, se constitue d’un pas qui n’a de sens qu’à être dépassé par un autre pas. Au nom de quoi le pas, signifiant de la négativité, promeut dans la passe un pas-analyste. À l’envers, la liste produit une image gelée qui identifie l’analyste à sa fonction et le fait fonctionner. La logique qui préside à la position de l’analyste est antinomique avec cette pratique de fonctionnaire.
Contre Aristote, la logique piercienne, promue par Lacan dans le Séminaire IX, pose qu’un ensemble qui partage le même attribut essentiel (la mort, dans l’exemple canonique qui compte Socrate parmi les hommes) se fonde de ce qu’il y a un Un qui est immortel (Dieu). L’énoncé que tous les hommes sont mortels, fait tomber la mort, selon la loi de l’inconscient, dans le refoulement originaire où elle est négativée. Ce que restitue la formule : Dieu est inconscient, qui signifie que chaque sujet croit inconsciemment à sa propre immortalité. Nous retiendrons que la logique de l’inconscient est une logique de l’exception, qui suppose un point d’extériorité qui échappe au système établi. Dans l’ordre social du monde, l’analyste occupe la position de ce surnuméraire, comme dirait Badiou, qui, échappant au compte, permet le comptage.
Parce qu’il exclut l’exception (et nous sommes ici, je pense, au cœur de notre question), le général, dont la liste constitue le paradigme, se présente comme le retournement du singulier universel. L’universel a un dehors, le général est tautologique. La conséquence directe est que la loi du général abolit la notion de sujet au sens analytique du terme. La loi du général, sans extérieur, ni altérité, instaure un ordre de la non-différence, établi sur la méconnaissance de l’arbitraire du signe, monde où la répétition ne rappelle plus du même, mais de l’identique et dont le modèle, produit sur la forclusion du sujet de l’inconscient, est le camp qui, dans un temps que nous touchons encore, réalisa l’opération qui avait été jusqu’alors réservée au trépas : transformer des sujets en objets, réduits à leur chosité : point n’est besoin de rappeler ce que fut dans cet espace la fonction des listes. J’en arrive à ma conclusion.

Conclusion
S’il est un mot qui doit définir l’acte analytique, c’est celui de souveraineté que Jacques Derrida référait au « sans alibi », c’est-à-dire au défaut de tout lieu de retrait qui pourrait dégager l’intéressé de sa responsabilité. De ce que le seul Autre qu’il reconnaît dans sa pratique soit la mort, le souverain est celui qui fonde la communauté en y échappant. En quoi il est imprenable à la comptabilité des lois du « ministère de la mort » qui sont « écrites avec des lettres dans la pierre », selon la terrible formule de Paul. Voilà pourquoi il n’est donné à personne de tenir les comptes du souverain.
Les académies poétiques, on le sait, dressent, à chaque moment de la culture, la liste de ceux qui ne sont pas poètes. Elles n’ont enregistré ni Molière, ni Baudelaire, ni Rimbaud, ni Du Bouchet. Lorsqu’elles auront été remises à l’État, les listes auront, elles aussi, dressé le répertoire de ceux qui n’étaient pas analystes et qui, sur le deuil de la passe, se sont, un jour, résignés à faire l’impasse sur la psychanalyse.

Henri Rey-Flaud & Bernard Salignon






Et ci-dessous, la contribution de Pierre Bruno lors de cette même réunion:


Intervention à la réunion du Manifeste pour la psychanalyse Je souhaite d’abord que tous ceux qui sont concernés par ce débat s’accordent sur une condition préalable : ne pas en masquer les lignes de force, c’est-à-dire tenir compte de l’ensemble des prises de position en présence. À cet égard, accréditer une polarisation « Tous contre Miller », c’est accréditer une contre-vérité qui brouille les enjeux. Il y a en effet au moins trois réponses distinctes à l’amendement Mattei, sans oublier que dans cette position tierce introduite par notre manifeste et par d’autres, il y a sans doute des points de vue pas forcément homogènes sur tout. C’est heureux, parce que l’addition des dires ne supprime pas leur singularité. Pour ma part, je ne suis pas entré dans ce débat avec le réflexe épidermique de maintenir à tout prix la psychanalyse dans un no man’s land isolé de la société. Mais j’en suis venu à conclure que, pour permettre à la psychanalyse de continuer à s’inscrire sans dénaturation dans la société civile, il fallait la préserver de toute réglementation d’État. Ce n’est pas une conclusion abstraite, c’est un jugement synthétique a posteriori – si vous me permettez ainsi de rappeler, grâce à Kant, ma formation ni médicale ni psychologique. Cette conclusion s’étaie sur le fait que l’amendement Mattei rançonne la psychanalyse en ne lui offrant sa liberté qu’à condition de se reconnaître dans le miroir de la psychothérapie. Sans même parler du rapport à la suggestion, je rappellerai que la psychothérapie prétend pouvoir faire désirer celui qui ne veut pas désirer, là où l’efficacité de la psychanalyse se fonde sur la reconnaissance de son impouvoir à cet égard. L’amendement Mattei n’est pas un « abri » pour la psychanalyse profane, mais sa tombe, ou pire un syllogisme : X est psychanalyste. Tout psychanalyste est psychothérapeute. Donc X est psychothérapeute. On ne peut s’accorder avec la conclusion tout en niant la deuxième prémisse. D’être inscrit comme psychanalyste dans une association de psychanalyse autorise ainsi à faire usage du titre de psychothérapeute. Qu’en est-il maintenant avec l’amendement Gouteyron et autres, qui est défendu par l’École de la cause freudienne ? Ce n’est pas, à mon avis, une alternative recevable, et ce pour deux raisons. 1. L’Association mondiale de psychanalyse, dont fait partie l’ECF, a pris une position pour le moins contestable lors de la mise en place en Italie de la loi du 18 février 1989 sur la psychothérapie. La section clinique italienne a été transformée en institut agréé de formation à la psychothérapie, avec pour conséquence que, pour les postulants à l’entrée dans le cursus de quatre ans, le choix du psychanalyste parmi les enseignants est fortement induit, tandis que rien n’empêche un élève, une fois son diplôme en poche, de s’auto-déclarer psychanalyste sans plus de considération pour sa cure. C’est l’amendement Mattei à l’envers : devenez psychothérapeute, vous serez autorisé à user du titre de psychanalyste. Mais, dans ce cas, l’envers vaut l’endroit. Je dois dire que ce précédent historique jette un doute sur la radicalité affichée de la position de l’ECF. 2. L’amendement Gouteyron, dont l’objectif n’est d’ailleurs pas aisément lisible, sans doute parce qu’il ménage une position d’attente, regroupe quatre collèges dans un même conseil. Certes, le collège des psychothérapeutes est distinct du collège des psychanalystes, mais englober la psychanalyse sous l’intitulé « pratiques thérapeutiques relatives au psychisme » est à mon sens doublement faux (en dehors du fait que c’est une paraphrase de « psychothérapie »). C’est réduire d’abord la psychanalyse à une thérapie, c’est aussi négliger que la psychanalyse a un effet au niveau du pulsionnel, qui ne relève pas du tout-psychique. En outre, la prérogative accordée au Conseil de « délivrer » aux associations qui en relèvent (dont les associations de psychanalyse) « des recommandations relatives aux procédures déontologiques qu’elles mettent en œuvre » laisse perplexe. J’ajoute enfin que la critique freudienne des identifications groupales comme l’élaboration par Lacan de la catégorie de discours invitent les psychanalystes à penser l’incidence d’une cure sur le tissu social lui-même, et que le temps est venu de prendre la chose au sérieux.

Pierre Bruno.










Et voici la réponse de René Major, parue dans Libération, à l'article que Marilia Aisenstein a fait paraître dans Libération (et que l'on peut trouver dans la rubrique "archives, etc...")



Dans son article, paru dans la rubrique Rebonds le mardi 9 mars, Marilia Aisenstein nous apprend que la psychanalyse va mieux. Elle serait sauvée. Voulez-vous savoir de quoi elle souffrait et comment elle s’en est sortie? C’est très simple. Notre Ministre de la Santé, à peine sauvé lui-même de la canicule, a convoqué certains psychanalystes qui s’agitaient dans les couloirs du pouvoir depuis quelques années, pour les consulter à propos de l’amendement Accoyer qui a soulevé tant de protestations dans les médias, sur les sites Internet et dans de grandes assemblées qui réunissaient ce que Mme Aisenstein appelle «des intellectuels de haut niveau et certaines personnalités» qui, selon elle, manquaient sérieusement d’information. « Des freudiens en révolte », « des fronts du refus » : tout cela lui parut « indécent ». Un freudien serait-il pour elle quelqu’un qui ignore le refus ou la révolte ? Comment peut-on penser la révolution freudienne comme « un devoir de réserve » ou un acte de soumission ? L’homme qui n’a pas hésité à dissoudre la Société psychanalytique de Vienne plutôt que de la voir assujettie à une politique d’Etat, faut-il le rappeler, n’était autre que Freud !

De quoi souffrait donc la psychanalyse ? D’une agression du monde extérieur ? Non. D’une maladie auto-immune. Vous savez, ces maladies où l’organisme détruit ses propres défenses contre toute agression. Une partie de ses représentants en étaient atteints. Le Ministre de la Santé a proposé de les protéger (sic). C’était le 12.12. Une date mémorable. Comme on dit le 11.9 pour le 11 septembre 2001. La veille du 12 décembre, l’un de ceux qui étaient atteints de la maladie avait fait publiquement la proposition (parue dans Libération du 11.12) de dresser la liste qui pourrait être remise au Ministre de ceux qui, selon lui, auraient besoin d’être protégés. Le Ministre leur avait bien suggéré de demander simplement le retrait de l’amendement Accoyer, le gouvernement se montrant disposé à retirer sa proposition de réglementation. Fi donc ! Nous voulons être protégés, répliquèrent-ils.

Alors, le Ministre Mattei allait leur sortir de son sac à malices l’amendement éponyme que Mme Aisenstein résume en ces termes : « Qu’un psychanalyste, dès lors qu’il est enregistré régulièrement dans l’annuaire d’une association de psychanalyse, peut se prévaloir du titre, désormais protégé, de psychothérapeute ». Ce qu’elle salue comme « un événement historique, unique au monde » (resic). Historique, en effet, ce tour de passe-passe où la psychanalyse se voit reconnue par effacement, en devenant une psychothérapie comme une autre.

Le rapport de l’INSERM, commandé par le Ministère de la Santé, le confirme. La psychanalyse est une psychothérapie comme l’est la thérapie cognitivo-comportementale ; cette dernière étant, selon des critères à courte vue, jugée plus efficace (comme les drogues) par les rapporteurs. Mme Aisenstein se souviendra peut-être du mot de Lacan, puisqu’elle ne se refuse plus à s’y référer, disant que « tout ce qui se fait désormais sous ce label de psychothérapie tourne court. Non qu’elle n’exerce pas quelque bien, mais qui ramène au pire ». Bravo M. Mattei. Vous protégez les psychanalystes et ceux qui les consultent en leur infligeant le pire, avec l’assentiment de certaines associations qui prétendent les représenter. Et ce n’est qu’un début. Le compte-rendu de la Commission des Affaires culturelles, familiales et sociales du 3 mars, qui revoyait votre projet de loi, anticipait sur ce qui resterait à surveiller et à contrôler : par exemple « les conditions du transfert entre le patient et le psychothérapeute » et le recours au Conseil de l’Ordre des médecins. Et ils croient vraiment ou feignent de croire que vous reconnaissez la spécificité de la psychanalyse, ce que Freud a défendu sous le nom de « psychanalyse laïque » comme ne relevant d’aucune profession traditionnellement affectée à la maladie. Cette psychanalyse-là est aussi un analyseur de la laïcité, du malaise social et culturel actuel. Alors, devenir des psychothérapeutes agréés par l’Etat (faut-il rappeler que le titre de « psychanalyste » n’a aucun statut légal), non merci ! Il faut vraiment se méfier de ceux qui veulent sauver la psychanalyse. Il y a de sinistres précédents, aussi bien en Allemagne qu’au Brésil plus récemment.

Le 12 décembre 2003 restera, en effet, un événement dans l’histoire de la psychanalyse. Malheureux, du point de vue qui réjouit Mme Aisenstein. Peut-être heureux d’un autre point de vue. Un nouveau clivage traverse désormais le milieu psychanalytique français. Il ne passe plus par la division entre « freudiens » et « lacaniens » mais entre ceux qui acceptent une compromission avec l’Etat et ceux qui la refusent.

Les Etats Généraux de la psychanalyse, qui se sont tenus en l’an 2000 à Paris, avaient déjà anticipé l’événement et pris nettement position. C’est pourquoi ils ont lancé une pétition sous le nom du « Front du refus » qui fait « honte » à Mme Aisenstein. La « honte », c’est son mot. Qu’elle n’aille pas croire que nous ne connaissons que le refus. Nous avons créé un Institut des Hautes Etudes en Psychanalyse qui se propose de réaliser enfin le projet de Freud dans « L’analyse laïque ».

« Le Manifeste pour la psychanalyse »1, rédigé par des analystes membres de divers groupes ou pas, explicite les raisons psychanalytiques de notre opposition au projet de loi en cours ou à tout autre projet visant à réglementer directement ou indirectement la psychanalyse.

Ces pétitions, et quelques autres, comptent déjà plus de 700 premiers signataires, parmi lesquels on trouve des membres de toutes les associations dont Mme Aisenstein voudrait faire croire qu’elles se rangent unanimement sous la bannière du dit « amendement Mattei ». Dans ces pétitions, personne ne parle au nom des autres. Chacun signe de son nom. Allons, Mme Aisenstein, encore un effort pour être démocrate!


René Major


Paru dans Libération, le quotidien, le 15 mars 2004




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